CHAPITRE LXXXVI

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Sébastien est arrivé à la maison dix minutes après moi et j'ai juste eu le temps de finir mon goûter avant que l'on reparte. Depuis lundi, j'attends de revoir Stéphane et toute la journée, j'ai pensé à cela.

-"Tu sais comment ça va se passer ?" demandé-je plein d'impatience.

-"Non pas du tout. Actuellement il est dans le Pôle Anesthésie et Réanimation chirurgicale et d'ici à quelques jours, il sera transféré dans un autre Pôle.

-"Parce que ce sera moins intensif ?

-"Oui, c'est ce que je pense...

-"Et tu as les horaires pour les visites ?

-"Oui, c'est entre 14h et 20h.

-"Ah c'est bien, c'est large."

Nous sommes arrêtés à un feu rouge et c'est tellement rare à Nantes que ça mérite d'être signalé. Dans la citée des Ducs, plus de feux rouges ou presque. Ils ont cédé la place aux ronds-points ; il y en a de toutes les tailles et même des doubles ronds-points qui créent parfois une certaine perplexité chez les automobilistes qui découvrent la ville. C'est censé fluidifier le trafic mais à cette heure-ci, je ne perçois pas réellement les effets bénéfiques de cette mesure car cela fait quelques minutes que nous faisons du surplace rue Paul Bellamy, une artère qui mène au centre-ville.

...

-"C'est là !"

Nous sommes dans le couloir du 3e étage et nous nous sommes arrêtés devant la chambre qui porte le numéro 318. Sébastien frappe doucement et appuie sur la poignée de la porte. Il se tourne vers moi et je vois que lui aussi est crispé bien qu'il essaye de me sourire.

-"Bonjour !" lance-t-il en rentrant dans la chambre.

-"Heu bonjour !"

Je suis surpris et je crois que j'ai sursauté. Je ne m'attendais pas à ce qu'on lui réponde. Malheureusement ce n'est pas la voix de Stéphane qui a répondu à Sébastien, c'est celle d'une femme assise sur une chaise à côté d'un lit. Je regarde la personne allongée dans ce lit, ce n'est pas Stéphane, c'est un homme plus âgé, aux cheveux blancs qui a les yeux fermés.

Je tourne la tête et j'aperçois Stéphane. Il a un grand pansement qui lui cache presque tout le crâne et il parait dormir tranquillement. C'est impressionnant.

'Oh Stéph !'

Je m'approche doucement du deuxième lit de la chambre ; Sébastien est déjà là, il tient la main de Stéphane dans la sienne et pour la première fois je vois des larmes couler le long de ses joues. Je détourne les yeux pour ne pas m'effondrer en pleurs à mon tour et je vois le regard bienveillant de la dame âgée qui observe la scène ; solidarité et compassion des proches de personnes hospitalisées qui comprennent ce que l'on peut ressentir pour en être passées par là ...

-"Heu je vais vous laisser, de toute façon ça fait presque une heure que je suis là et vous avez besoin d'être seuls avec lui.

-"Merci madame..."

Elle s'approche de son mari, c'est en tous les cas ce que je présume, se penche au-dessus de lui et vient déposer un baiser sur son front.

-"Allez, ne fais pas de bêtise, je reviendrai demain !" dit-elle d'une douce voix à l'homme inconscient.

Elle prend son manteau et se dirige vers la porte.

-"Courage et bonne journée !

-"Merci madame, bonne journée à vous aussi."

Je m'approche de l'autre côté du lit et presque timidement je viens toucher l'autre main de Stéphane ; elle est chaude mais elle ne répond pas et demeure inerte.

'Il est vivant mais il ne sait pas que je suis là !'

Je relève les yeux et je croise ceux de Sébastien qui me regardent ; il a les yeux rouges et il essaie de sourire mais cela ressemble plus à une grimace douloureuse.

-"Viens de mon côté Didi, viens !"

Je fais le tour du lit et le rejoint. Il m'enlace et pendant quelques minutes nous restons silencieusement dans les bras l'un de l'autre en regardant Stéphane sans retenir les larmes qui nous déchirent le cœur...

...

J'ai laissé Sébastien seul avec Stéphane, j'ai senti qu'il avait besoin d'un moment d'intimité avec lui, comme un tête-à-tête mais si l'expression est maladroite dans notre cas. J'ai prétexté que j'avais besoin d'aller aux toilettes et je lui ai dit que je revenais dans dix minutes. Il a compris et a hoché lentement la tête.

-"Merci Didi, c'est gentil ; quand tu reviendras, j'irai me chercher un café pour que tu puisses le voir tout seul toi aussi."

J'ai esquissé un pâle sourire et je suis sorti silencieusement de la chambre.

Je me suis retenu pour ne pas crier dans le couloir ; j'avais envie de hurler ma peine, de la faire partager à tous ceux qui étaient là. J'ai serré les poings et je me suis éloigné à grands pas dans le couloir blanc.

...

Quand je suis revenu, presque un quart d'heure plus tard, Sébastien m'attendait, je l'ai senti.

-"Ca va Didi ?

-"Oui mais c'est dur !

-"Oui... tu veux que je te laisse quelques instants ?

-"Oui je veux bien merci..."

Il a passé son bras autour de mon épaule et puis s'est levé.

-"Je reviens dans dix minutes, je vais chercher un distributeur de boisson et je reviens. A tout de suite."

J'ai hoché la tête et il est sorti.

J'ai jeté un regard vers le deuxième lit comme pour vérifier que l'on était seuls ce qui d'ailleurs n'est pas exact puisqu'il y a une personne qui l'occupe mais de fait, l'état de cet homme ne lui permet pas de communiquer avec nous.

Je me suis rapproché de Stéphane et je l'ai regardé attentivement. Il parait presque serein mais les stigmates de son accident et de son opération sont encore très présents. Son visage est pâle, fermé, je ne vois pas ses cheveux car le haut de sa tête disparaît dans un grand pansement blanc qui lui fait comme un turban de maharadja et il a une marque jaunâtre sous la pommette droite. Il repose sur le dos et seuls ses bras, comme artificiellement disposés, émergent du drap blanc.

Je prends sa main gauche et je la caresse lentement du bout des doigts.

-"Bonjour Stéph, c'est Didi...

Réveille-toi vite s'il te plaît, tu me manques tellement et à Sébastien aussi, à tout le monde ! On est perdu sans toi !"

Je sais qu'il ne m'entend pas, le médecin a dit à Sébastien qu'à ce stade de coma il n'y avait qu'à des pincements, des piqures, que son corps réagissait mécaniquement mais je veux croire tout au fond de moi que peut-être très loin ma voix ou mes caresses l'atteindront.

-"On essaye de tenir le coup mais c'est dur sans toi... je pleure tout le temps et je sais que Sébastien aussi même s'il ne veut pas le montrer devant moi... "

Je me penche au dessus de lui et je guette un signe mais il reste complètement figé dans son monde auquel personne n'a accès. J'embrasse doucement sa joue alors que je sens de nouvelles larmes couler le long des miennes ; je me redresse alors et m'essuie les yeux du revers de la main.

-"Je vais te raconter ce que j'ai fait aujourd'hui au lycée. J'ai rencontré le proviseur, monsieur Lefoll ; il est super sympa et très compatissant avec ce qui nous arrive et il m'a dit qu'il espérait que tu te rétablisses très vite..."

Un hoquet de douleur m'empêche momentanément de continuer et je m'interromps pour laisser couler de nouvelles larmes.

-"Je lui ai présenté le projet de référendum sur le Mariage pour tous et il nous soutient, il est vraiment super..."

Quand Sébastien est revenu, j'étais en train de raconter ce que nous a dit le proviseur, il n'a rien dit ; il s'est assis à côté de moi et m'a écouté lui aussi. Il a pris ma main et l'a serrée fort dans la sienne et nous avons pleuré silencieusement l'un à côté de l'autre...

...

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