CHAPITRE LXXXVIII

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En rentrant du centre-ville, je suis allé prendre le goûter chez Thibaud ; il a insisté et malgré une certaine réticence liée au fait que je n'ai pas envie de parler à toute sa famille de ce qui nous arrive, j'ai cédé encore une fois. Je découvre un nouveau Thibaud, très volontaire et persuasif ; d'habitude c'est moi qui le bouscule un peu, qui l'encourage à faire des choses comme s'inscrire au Geography club, à sortir de sa coquille et là, c'est le contraire. Il sait que je ne vais pas bien, que je suis malheureux et c'est lui qui me pousse à m'échapper de mon sombre quotidien. C'est un véritable ami et je lui suis reconnaissant de tout ce qu'il fait pour moi.

C'est dans le tram que j'ai eu une idée de cadeau pour Alexis. Enfin, ce n'est pas vraiment un cadeau de Noël mais je sais que c'est quelque chose qui lui ferait véritablement plaisir.

-"J'ai trouvé pour Alexis ! m'exclamé-je

-"Tu as trouvé quoi, une idée de cadeau ?

-"Oui mais ce n'est pas un cadeau qu'on achète...

-"C'est quoi ? Explique !

-"Tu sais qu'Alexis t'en veut ?

-"Oui, ça je l'ai bien compris, tu peux me croire !" répond-il alors qu'une ombre de tristesse parcourt son visage.

-"Quand j'ai discuté avec lui pour comprendre pourquoi il se comporte comme ça avec toi, il m'a dit qu'il avait perdu tous ses copains du foot et de l'école mais aussi qu'il avait changé de chambre pour aller dans celle d'Hugo et je crois que c'est là qu'on pourrait faire quelque chose...

-"Heu comment ça ?

-"Le cadeau ce serait qu'il ait sa propre chambre, il a treize ans et à mon avis il doit avoir besoin d'un peu d'intimité le soir, si tu vois ce que je veux dire ?"

-"Heu..."

Pour qu'il n'y ait pas d'équivoque, et après avoir vérifié que personne ne nous regardait, je fais quelques mouvements rapides de la main droite de bas en haut. Thibaud a rougi et je me dis que c'est la première fois que nous faisons allusion entre nous à l'activité préférée pluri hebdomadaire voire quotidienne de tout adolescent.

-"Moi, j'ai ma chambre, toi aussi et lui, il doit partager la sienne avec ton petit frère. Ca doit être la galère !

-"Oui, c'est vrai. En fait... heu je sais qu'il se branle le matin dans la douche parce qu'Hugo l'a surpris un jour et qu'Alexis lui a dit sèchement de déguerpir. Hugo est venu pleurer dans ma chambre parce qu'il ne comprenait pas et je lui ai expliqué comme j'ai pu.

-"Ah oui, pas facile...

-"Non, mais bon maintenant Hugo prend sa douche le soir avec moi parce qu'on a deux douches en vis à vis ou le matin avant Alexis.

-"Oui, donc tu vois un peu le malaise. Toi ou moi, on peut se faire plaisir quand on veut mais lui, il est obligé d'attendre le matin quand il est enfin seul et puis j'imagine aussi que le soir, il ne peut pas traîner dans sa chambre parce que Hugo se couche beaucoup plus tôt. Et quand il a des copains qui viennent, il ne peuvent pas être tranquilles parce qu'Hugo est là...

-"Oui c'est vrai quand Alexis a un copain qui reste dormir, Hugo vient dans ma chambre.

-"Donc je pense que ça lui ferait super plaisir d'avoir sa propre chambre et que ce serait un motif de grief en moins vis à vis de toi !

-"Oui, c'est vrai et tu penses à la salle de jeu, bien sûr ?

-"Oui exactement ! Mais évidemment je crois qu'il faudrait que t'en parles d'abord à Hugo, que tu lui expliques, et puis à tes parents. Alors, qu'est-ce que t'en penses ?

-"Que c'est une super idée ! Et je me demande pourquoi personne ne l'a eue avant toi !

-"Oh ben ça c'est parce que vous êtes habitués à vivre comme ça et puis que l'idée de la salle de jeu était vraiment excellente quand vous étiez petits mais qu'elle n'est plus aussi pertinente maintenant puisqu'il n'y a plus qu'Hugo qui l'utilise et il pourrait jouer aussi bien dans sa chambre.

...

Nous sommes arrivés alors qu'Hugo et Alexis étaient en train de goûter dans la cuisine. Alexis avait les cheveux mouillés et je me suis dit qu'il rentrait juste du foot.

-"Salut Diego, vous arrivez au bon moment, juste pour la brioche !" déclare Alexis

-"C'est ce que j'avais calculé !" répond Thibaud en souriant.

-"Bonjour tout le monde ! C'est vrai que j'y deviens accroc, vous faites les meilleures brioches que j'ai mangées ! Il faudra que je vous demande votre recette, je la donnerai à ma Mamie." réponds-je en m'adressant à la mère des garçons.

-"Bonjour Diego ! Ah tu es trop gentil, je te la donnerai bien volontiers !" me répond madame Winogravski

Je salue Alexis et fais un bisou à Hugo.

-"J'espère que ton papa va pas mourir, Diego !

-"Hugo !" le reprend immédiatement sa mère.

-"Hugo, ça va pas !" renchérit Alexis.

Je vois le petit garçon décontenancé par les interventions de sa mère et de son frère qui se tourne apeuré vers Thibaud avec des larmes dans les yeux.

-"Mais...

-"C'est rien Hugo..." tenté-je d'intervenir.

-"Viens là, Hugo, c'est pas grave, c'est juste que Diego est triste parce que son papa est à l'hôpital et on espère tous comme toi qu'il va bientôt guérir et revenir chez lui mais on essaye de faire un peu oublier tout ça à Diego alors on ne va pas en parler pour ne pas lui faire de peine, d'accord ?" explique gentiment Thibaud à son petit frère.

-"Oui d'accord... je suis désolé Diego, je voulais pas que tu sois triste... " reprend le petit garçon en se tournant vers moi.

-"C'est rien Hugo et je sais que tu voulais me montrer que tu t'inquiétais."

Je m'arrête un instant et lui souris avec le plus de conviction possible malgré le choc que ses paroles viennent de me faire, avant de reprendre.

-"Il a eu un accident et les docteurs se sont bien occupés de lui ; pour l'instant il... il est comme endormi et on doit attendre qu'il se réveille mais c'est un sommeil très très profond et ça peut prendre du temps c'est pour ça qu'on est inquiet mais je suis sûr qu'il va finir par se réveiller..."

J'ai fait de mon mieux pour ne pas me mettre à pleurer mais j'ai senti que j'étais au bord des larmes. Hugo est venu vers moi et j'ai ouvert mes bras dans lesquels il est venu se blottir.

-"Moi aussi, je suis sûr qu'il va se réveiller !

-"Merci Hugo, tu es le plus gentil des petits garçons que je connaisse et si j'avais un petit frère, j'aimerais qu'il te ressemble !"

Pendant quelques instants personne n'a parlé, je crois que nous étions tous à des degrés divers sous le coup de l'émotion. J'en ai profité pour essayer de me calmer et de me reprendre. Puis Madame Winogravski a orienté la conversation sur nos emplettes et j'ai su que le plus dur était passé. J'ai questionné Alexis à propos de son match et pour la première fois depuis que je le connais, j'ai remarqué qu'il n'est pas sorti de la pièce alors que Thibaud s'y trouvait aussi. Peut-être, qu'effectivement, comme me l'a dit Thibaud, il y a quelques progrès dans leur relation.

Je suis resté presque une heure chez les Winogravski et puis j'ai pris congé en remerciant Thibaud de ses efforts pour me sortir de mon marasme. Sur le chemin du retour, j'ai repensé à la terrible phrase qu'innocemment Hugo avait prononcée, "J'espère que ton papa ne va pas mourir ".

C'est la première fois que quelqu'un parle à voix haute de la mort possible de Stéphane ; moi, je n'ai jamais osé le dire tout haut que ce soit avec Sébastien ou avec mes amis. Lorsque cela me traverse l'esprit, tout de suite je verrouille mes pensées et je chasse immédiatement cette idée avec effroi. Mais bien sûr, Hugo a raison c'est malheureusement quelque chose qui peut arriver et seul un enfant qui n'a pas les filtres d'un adulte ou même de quelqu'un de mon âge pouvait formuler à voix haute cette glaçante possibilité.

'Moi aussi Hugo, j'espère que mon papa ne va pas mourir !'

...

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