CHAPITRE CXXII

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Mercredi, j'ai mangé à la cantine et puis je suis parti directement pour l'hôpital Bellier sans repasser par le foyer.

'Moins j'y mets les pieds, mieux je me porte !'

J'ai fait le trajet en vélo mais comme il faisait beau, c'était plutôt agréable. Il n'y avait pas trop de circulation et en moins d'une demi-heure, j'étais sur place. Cela fait presque un mois et demi maintenant que Stéphane a eu son accident et même si le docteur qui le suit a dit à Sébastien que ce n'était pas encore alarmant, je ne peux m'empêcher de me demander s'il se réveillera un jour...

Il était exactement comme quand je l'ai vu la semaine dernière, allongé sur le dos comme victime d'un sort maléfique, le teint pâle, les yeux fermés. Je l'ai embrassé et je me suis assis à côté de son lit.

'C'est comme dans un mauvais conte où le héros est plongé dans un sommeil éternel par le charme d'un sorcier...'

Je soupire et lui caresse doucement le visage.

'Est-ce qu'il rêve ou bien est-ce comme si on avait appuyé sur le bouton pause de sa vie ?'

J'ai mis de la musique, Les Beatles, l'album rouge, mon préféré et je lui ai raconté tout ce qu'il m'était arrivé ces derniers jours. J'en avais gros sur le cœur et cela m'a fait du bien d'extérioriser mes sombres pensées.

Tout s'est effondré autour de moi depuis l'accident et encore davantage depuis mon placement provisoire dans ce foyer et même si j'essaye de ne pas le montrer à mes amis ou à Sébastien, je sens que je longe dangereusement un gouffre dans lequel le moindre faux pas, la moindre faiblesse, risque de me faire tomber. Pour l'instant je serre les dents et je parviens à garder l'équilibre mais pour combien de temps ?

...

Au retour, je me suis arrêté au foyer pour déposer mon sac de cours et je suis reparti en bus aussitôt, je ne voulais pas risquer de croiser les deux ou trois caïds dont Jimmy m'a parlé. Sébastien m'a dit qu'il me ramènerait. Je suis arrivé très en avance à la maison et j'ai été surpris de voir que la porte du garage était ouverte.

'Séb est déjà là ?'

Effectivement, il était là et quand je l'ai vu, j'ai repensé à l'impression que j'avais eu lundi soir au téléphone. Il n'était pas habillé et traînait en pyjama avec sa robe de chambre sur le dos. Il n'était pas rasé et à priori pas lavé et surtout il avait des cernes sous les yeux qui laissaient à penser qu'il n'avait pas dormi d'un vrai sommeil réparateur depuis plusieurs jours.

-"Oh Didi, tu es déjà là ?"

-"Oui, je suis allé voir Stéphane en début d'après midi mais je ne voulais pas rester au foyer...

-"Je te comprends, ça va, ce n'est pas trop dur ?

-"Ca va mais je ne veux pas rester là-bas...

-"J'espère que monsieur Frot aura de bonnes nouvelles pour nous tout à l'heure.

-"Oui, j'espère aussi mais toi, tu n'es pas allé travailler ?

-"Non, j'ai démissionné lundi... je suis incapable de travailler et je n'ai pas la force de faire semblant.

-"Oh... mais ton patron, qu'est-ce qu'il a dit ?

-"Je lui ai expliqué et il comprend. Ne t'inquiète pas, il me réembauchera dès que tout sera réglé...

-"Ah d'accord... heu tu ferais bien d'aller te préparer, monsieur Frot ne va pas tarder.

-"Oui, tu as raison.

-"Bon, moi je vais faire un peu de ménage en attendant !"

...

Il est arrivé à 16 heures pile. J'aime bien les gens qui sont à l'heure, ils font l'effort d'être ponctuels et rien que par cela je sais que je peux compter sur eux. Et c'est exactement l'impression qu'il m'a faite !

On s'est installés dans le salon et Sébastien qui avait meilleure mine, a attaqué tout de suite.

-"Alors, avez-vous trouvé quelque chose pour nous sortir de là ?

-"Je vais vous présenter la situation d'un point de vue juridique et les différentes options qui s'offrent à nous.

-"D'accord, on vous écoute...

-"Je vais commencer par mettre à plat votre situation familiale, vous me corrigerez si je me trompe. Stéphane a adopté Diego en février 2001, il y a douze ans. C'est une adoption plénière c'est à dire qu'elle est irrévocable et crée des droits et obligations très forts. Il était marié avec Gabriella Orsini. Actuellement, seuls les couples mariés peuvent adopter, pas les couples vivant en concubinage ou pacsés, c'est d'ailleurs pour cela certainement que Stéphane s'était marié avec Gabriella Orsini ?

-"Oui, tout à fait ! Il s'était renseigné et avait retenu cette solution car il savait que si nous faisions la demande tous les deux, elle serait rejetée et que s'il déposait une demande en étant célibataire, elle n'avait dans les faits aucune chance d'aboutir..." reprend Sébastien.

-"Oui exactement ! Je termine sur ce point, ils ont divorcé un an plus tard, Diego étant confié à la garde exclusive de Stéphane et vous même, monsieur Lesquer, vous vous êtes pacsé avec Stéphane Brisset en 2003. C'est bien cela ?

-"Oui, oui, c'est ça.

-"De ces faits, découlent des conséquences juridiques importantes. Seules deux personnes détiennent l'autorité parentale sur Diego, son père et sa mère adoptifs soit Stéphane Brisset et Gabriella Orsini.

-"Et moi, non ?

-"Non. Le PACS ne permet pas l'adoption conjointe par les deux partenaires ; donc un des partenaires peut adopter mais l'autre n'aura pas l'autorité parentale sur l'enfant de l'adoptant.

-"Oh mais c'est dégueulasse ! Heu excusez-moi." m'exclamé-je indigné.

-"Donc cela veut dire que l'assistante sociale a raison..." reprend sombrement Sébastien.

-"Avant d'étudier ce point, je voudrais continuer à vous exposer la situation..."

J'ai regardé Sébastien qui comme moi paraissait sous le choc de ce que venait de nous dire l'avocat. Il a hoché silencieusement la tête et monsieur Frot a poursuivi.

-"Actuellement, il n'y a personne en mesure d'exercer cette autorité parentale. Stéphane est dans le coma, sa mère n'a pas donné de signe de vie depuis des années et vous, monsieur Lesquer, n'avez pas de délégation d'autorité parentale partagée signée par Stéphane."

Il s'est interrompu un court instant avant de reprendre.

-"Je suis désolé mais je dois évoquer l'éventualité que monsieur Brisset meure..."

Nous avons tous les deux acquiescé de la tête et il a poursuivi.

-"En cas de décès de monsieur Brisset, l'autorité parentale sur Diego reviendra à Gabrielle Orsini car dans le cas d'un PACS entre deux personnes de même sexe, l'autorité parentale revient à l'autre parent légal du mineur et non systématiquement au partenaire ; celui-ci est un parent social presque sans droit ce qui pose de très nombreux problèmes dans les familles homoparentales et qui constitue une injustice qui devrait, espérons-le, disparaître avec l'adoption du Mariage pour tous.

-"Mais c'est n'importe quoi, je ne la connais même pas !" m'écrié-je indigné.

-"Et comme je vous l'avais expliqué, c'était un mariage blanc contracté juste pour pouvoir adopter... Gabriella était une amie de Stéphane et après elle a disparu du tableau comme c'était prévu...

-"Oui, je comprends mais légalement elle est la mère adoptive donc elle a l'autorité parentale sur Diego. Vous pourriez la joindre ?

-"Heu... je ne sais pas où elle habite mais Stéphane lui donnait de nos nouvelles de temps en temps. Je vais chercher dans ses papiers...

-"D'accord. C'est important d'avoir son témoignage et puis aussi de l'informer de la situation car elle peut avoir un rôle crucial à jouer dans notre affaire. Je termine avec les conséquences patrimoniales de l'adoption et les faiblesses du PACS à l'égard du conjoint. Diego est l'unique héritier de Stéphane. Autre différence d'avec le mariage, si l'un des partenaires pacsé décède, il ne bénéficiera pas d'une pension de réversion. On s'aperçoit que le PACS ne donne pas les même droits que le mariage !

-"Oh...

-"Qui a acheté la maison ? Vous ou Stéphane ?

-"Les papiers sont au nom de Stéphane...

-"A-t-il rédigé un testament en votre faveur ?

-"Non...

-"Donc malheureusement en cas de décès et contrairement au mariage, le conjoint pacsé n'a que des droits limités sur le domicile familial.

-"Mais c'est injuste ! Sans le salaire de Sébastien, on n'aurait pas pu acheter la maison !" interviens-je.

-"Oui, mais c'est ainsi et jusqu'à ce que la loi sur le Mariage et l'adoption pour tous soit adoptée, ce sont les textes actuels qui s'appliquent. Je suis désolé...

-"Ca veut dire que je ne suis rien pour Diego et que si Stéphane meurt, le juge va nous séparer..." conclut Sébastien sous le choc de ce que nous venions d'entendre.

J'ai senti des larmes couler le long de mon visage.

-"Non, je veux vivre avec toi, avec Stéphane et toi, vous êtes mes parents !

Sébastien m'a regardé tristement, lui aussi pleurait...

...

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