CHAPITRE CLVII

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J'ai vu mes amis partir un à un, appelés par monsieur Zeiger, et rejoindre leur famille d'accueil. Quand Thibaud est parti, avec son binôme, Joris, on s'est regardés intensément ; j'aurais voulu l'embrasser mais devant tout le monde je n'ai pas osé. Léa qui était encore là m'a gentiment chambré.

-"Allez, t'inquiète pas, tu le reverras demain !"

Je n'ai pas relevé mais j'ai vu que les profs souriaient comme pour montrer qu'ils compatissaient devant la manifestation de mon désarroi.

'Vous pouvez rigoler, ce n'est pas drôle !'

Finalement tout le monde est parti et je me suis retrouvé tout seul avec les profs. Cela m'a inquiété mais monsieur Zeiger m'a rassuré.

-"Excuse-moi, Diego, j'ai oublié de te prévenir, tu vas venir avec nous, ta famille d'accueil ne pouvait pas venir et nous allons te déposer.

-"Ah d'accord..."

J'ai eu peur, je me suis demandé si je n'allais pas être logé avec les profs !

...

Les Neumann sont très sympas. Il y a les parents, Helmut et Anna, et deux enfants, Filip 10 ans et Lorraine, oui, je sais, c'est un peu surprenant de donner un nom de quiche à leur fille, qui va au lycée et qui m'emmènera dans sa classe demain et vendredi.

Je me suis installé dans le bureau, reconverti en chambre d'ami, et nous sommes vite passés à table. Je ne suis jamais venu en Allemagne et même si je me débrouille bien en allemand, j'appréhendais un petit peu comme tout le monde, cette partie du voyage. J'ai vite été rassuré et j'ai retrouvé les automatismes que j'avais développés avec Tobias l'été dernier dans le camping en Ardèche.

D'ailleurs, je vais revoir Tobias samedi ! Je l'avais tenu au courant du projet de voyage et on avait fixé un rendez-vous dès que le programme nous a été donné. On a prévu d'aller à la patinoire et je me fais une joie de le retrouver. Avec du recul, je crois que j'étais un peu tombé amoureux de lui sans en avoir conscience car la scène de notre séance de masturbation après la fête au bord de la piscine est revenue plusieurs fois dans mon esprit quand je m'interrogeais sur ma sexualité.

Anna avait préparé un repas typique, rôti de porc avec des Knödel, c'est-à-dire des boulettes de pomme de terre râpées mélangées avec de la farine et de l'œuf, précédé d'une bonne soupe et suivi d'un Apfel strudel, gâteau aux pommes, avec un peu trop de cannelle pour moi mais auquel j'ai fait honneur, bien sûr. Ils m'ont posé tout un tas de question sur moi, sur ma famille et prudemment je me suis tenu à la version des Règles de Nantes, ne voulant pas m'embarquer sur un terrain délicat avec des personnes que je ne connaissais pas. Je leur ai cependant expliqué que mon père avait eu un accident et qu'il était à l'hôpital.

-"Also ist es schlimm ? Ah et c'est grave ?

-"Ja leider ! Wir hoffen dass er aufwachen wird aber es ist nicht sicher... Oui malheureusement ! Nous espérons qu'il se réveille mais ce n'est pas sûr...

-"Oh Diego ! Du muss stark bleiben, ich bin sicher dass es sich verbessern wird !" Oh Diego ! Tu dois rester fort, je suis sûr que ça va s'arranger ! s'écrie le petit garçon.

-"Ja ich hoffe, danke Filip !" Oui, je l'espère, merci Filip !

On a rapidement changé de sujet de conversation et j'ai parlé de ma rencontre avec Tobias cet été et de notre rendez-vous samedi à la patinoire.

Je n'ai pas trainé et peu après le repas, j'ai demandé à Anna si je pouvais aller au lit parce que j'étais en train de m'endormir dans le fauteuil. Elle a acquiescé en rigolant et Filip qui partait aussi se coucher m'a montré l'étage et les commodités.

-"Morgen, werde ich Lorraine und dich zum Gymnasium fahren." Demain, je te conduirai au lycée avec Lorraine. vient me dire Helmut.

-"Ach ja danke ! Ah oui, merci !

-"Bitte, Wecker um sechs einhalb ! Je t'en prie. Réveil à six heures et demi !

-"Waouw ! Ach ich meine, es ist früh ! "Wouaw ! Heu je veux dire, c'est tôt !

Il a rigolé et est reparti pour certainement raconter à sa femme que les adolescents français étaient comme les allemands, qu'ils n'aimaient pas se lever tôt !

Sébastien ne m'a pas appelé, c'est donc qu'il n'est pas passé voir Stéphane. Il doit avoir beaucoup de travail, son patron lui a fait comprendre qu'il n'y avait eu personne pour le remplacer pendant trois semaines et que les clients s'impatientaient.

'Je vais lui envoyer un sms et demain, je l'appellerai !'

...

J'ai bien dormi, je me suis endormi vite en pensant à Thibaud et à ce séjour qui commence sous les meilleurs auspices. Certes, l'histoire de la photo nous a fait peur mais à priori cela n'a pas causé trop de dégâts et maintenant que tout le monde est au courant nous n'aurons plus à nous cacher et pourrons vivre pleinement notre relation au grand jour.

'Du mal naît parfois le bien !'

Helmut m'a réveillé et j'ai filé sous la douche avant de descendre prendre le petit déjeuner. Là encore, on a fait dans le typisch Deutsch avec saucisse et pain noir, cela a de quoi surprendre au saut du lit mais finalement cela passe très bien et puis ça va me tenir au corps pour toute la matinée.

Lorraine est sympa mais un peu timide et comme ma nature ne me porte pas de prime abord vers les autres, la conversation n'a pas été des plus nourrie mais je crois que cela ne nous dérangeait ni l'un ni l'autre. Arrivés au lycée, elle m'a présenté à ses amis et ce sont eux qui ont animé nos échanges en me posant des tas de questions.

La surprise a été l'arrivée de Bérangère et Louane dans la classe accompagnées d'une grande fille blonde chez qui elles logeaient.

'C'est bien ma veine, Bérangère !'

Cela m'a rappelé qu'il fallait que j'aille lui parler ou en tous les cas que j'essaye car je ne sais pas si de son côté elle en a envie. Nos rapports sont restés très froids depuis notre rupture. En fait nous n'avons plus aucun rapport. Elle m'a clairement signifié qu'elle ne voulait plus me voir et de mon côté après avoir été blessé par sa réaction, j'en ai pris mon parti et je l'ignore également.

En première heure, enfin trois quart d'heure puisque les cours durent seulement quarante cinq minutes, la classe avait allemand et nous avons été le centre d'intérêt de tous, bien sûr. La prof s'est adressée à nous en nous souhaitant la bienvenue et puis nous a demandé de nous présenter.

Heureusement, monsieur Zeiger nous avait prévenus et hier soir avant de m'endormir, j'avais un petit peu préparé l'exercice de style.

-"Guten Tag, ich heiße Diego und ich bin vierzehn Jahre alt, fünfzehn in ein paar Tagen. Ich spiele Fußball und betreibe Schwimmsport. Ich lebe mit meinem Vater... er ist Lehrer von Beruf. Ich lerne Deutsch seit fünf Jahren und ich habe es sehr gern. Bonjour, je m'appelle Diego et j'ai quatorze ans, quinze dans quelques jours. Je fais du foot et de la natation. Je vis avec mon père ; il est prof. J'apprends l'allemand depuis cinq ans et j'aime beaucoup ça.

-"Danke Diego, das war ganz schön !" Merci Diego, c'était très bien !

Les filles se sont présentées à leur tour et puis le cours a commencé. En fait c'est un cours de littérature et nous avons suivi la présentation d'une œuvre Die Blechtrommel de Günter Grass, Le tambour, qui raconte comment un enfant décide d'arrêter de grandir et surtout son analyse de la société allemande sous le nazisme. Ce n'était pas facile de suivre mais heureusement la prof a passé deux extraits de film, avec les sous-titres pour nous, ce qui m'a permis de bien comprendre.

-"Also, was ihr Franzosen daran denkt ?" Alors, que pensent les français de tout ça ?

La question nous était destinée et il y a eu un grand silence. J'étais placé derrière sur le côté alors que Louane et Bérangère étaient au milieu devant moi et je ne voyais pas leur visage mais je les ai senties complètement perdues alors je me suis lancé.

-"Ach so, es war nicht leicht für uns alles zu verstehen aber ich glaube ich habe meistens verstanden. Ich weiß dass mein Vater dieses Buch in seiner Bibliothek hat aber leider habe ich es nicht gelesen..."Heu, ce n'était pas facile de tout comprendre mais je crois que j'ai compris l'essentiel. Je sais que mon père a ce livre dans sa bibliothèque mais malheureusement je ne l'ai pas lu...

Elle a souri et un murmure amusé s'est élevé dans la classe et quand on sait que c'est un énorme pavé, je me demande si ce n'était pas une reconnaissance ironique qu'eux non plus !

-"Und über den Thema ? Et sur le fond ?

-"Ich finde den Thema mutig und weise...Je trouve le sujet courageux et sage...

-"Wieso ? "C'est à dire ?

-"Ich meine, ich weiß nicht ob in Frankreich viele berühmte Schriftsteller über die Töten des Algerienkrieg geschrieben haben. Es ist gut für die Demokratie...Je veux dire que je ne sais pas s'il y a beaucoup d'écrivains français réputés qui ont écrit sur les morts de la guerre d'Algérie. C'est une bonne chose pour la démocratie...

-"Interessant ! Was denkt ihr von Diego's Meinung ?"Intéressant ! Que pensez-vous de ce que vient de dire Diego ?

Cela a donné lieu à des échanges sur la conscience des peuples des atrocités commises au cours de leur histoire notamment par des régimes totalitaires ou au nom des religions et c'était super intéressant.

Le cours est passé très vite et nous avons enchaîné avec de l'anglais et des maths et là encore j'ai beaucoup apprécié ce que nous avons découvert. Je trouve que les élèves allemands ont de la chance, ils paraissent plus proches que nous de leurs profs tout en ayant beaucoup de respect et l'ambiance en classe est positive. Je crois que si jamais j'ai la chance d'aller étudier à l'étranger, c'est une expérience que je saisirais car cela doit vraiment beaucoup apporter.

A treize heures, la journée de cours s'est terminée et j'ai mangé avec Lorraine et ses amis. Je l'ai ensuite laissée partir à sa répétition de musique et j'ai rejoint Thibaud comme nous l'avions convenu pour passer l'après midi ensemble.

'Un peu de romantisme, rien que nous deux, enfin...'

...

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