CHAPITRE CXCIII

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La sonnerie de midi a mis fin à notre intervention. Je ne sais pas si, comme Thibaud me l’a glissé à l’oreille, nous avons réussi à convaincre les élèves de la classe mais une chose est sûre, ils ont maintenant toute l’information voulue pour réfléchir à la question.

Objectivement, je ne pense pas que l’on ait convaincu ceux qui s’opposent au projet de loi mais Stéphane m’avait déjà expliqué que notre objectif était davantage de rallier les indécis et surtout de faire passer un message à tous ceux qui n’y avaient pas réfléchi, le ventre mou, pour reprendre son expression.

De fait, le garçon qui s’était vigoureusement élevé contre le Mariage pour tous, n’avait pas eu l’air convaincu par nos arguments mais c’est normal comme me l’avait dit Stéphane. Tout d’abord, il est très difficile de faire changer d’avis quelqu’un qui s’est forgé une opinion sur un tel sujet car les différentes formes d’idéologie sont plus souvent liées à des convictions profondes, un cadre de vie, un ressenti émotionnel et ne sont pas très sensibles à une argumentation rationnelle. De plus, montrer en public que l’on se range aux arguments de l’autre signifie aussi que l’on reconnait une forme de défaite ce qui est bien sûr très difficile à admettre pour n’importe qui.

‘Sauf peut-être de la part de gens intelligents qui ne mettent pas leur amour propre en dessus de la recherche d’une certaine éthique…’

Mais franchement, ce n’était pas le plus important. Ce que je retiendrait de cette intervention c’est bien sûr que Thibaud y a parfaitement tenu son rôle mais surtout qu’il a fait son coming-out à une classe d’inconnus et puis surtout qu’il a osé leur dire que nous étions un couple gay et ça je ne l’aurais jamais imaginé.

‘Ca veut dire qu’on va pouvoir se comporter comme tous les amoureux du lycée, se tenir la main et s’embrasser dans les coins déserts !’

C’est ce que je lui ai dit pendant notre déjeuner à la cantine.

-« Alors comme ça, dans deux ans et demi, il faut que je m’attende à une demande romantique de ta part ?

-« Heu… » répond-il en rougissant.

-« J’ai pas dit que j’étais contre ! »

Son visage s’est éclairé et je crois que si nous n’avions pas été au milieu d’une foule de lycéens, il m’aurait embrassé.

‘Il faut lui laisser un peu de temps, qu’il s’habitue à ses nouvelles prérogatives !’

Nous nous étions donnés rendez-vous sur les marches du théâtre Graslin à 19 heures et un quart d’heure avant, tout le monde était là.

-« On y va ? » propose Gabriel.

Le Katorza est situé juste à côté, à 50 mètres du théâtre et deux minutes après nous étions devant le cinéma.

-« Quand même, c’est génial d’avoir un film à l’affiche qui porte le nom du club, non ?

-« N’oublie pas que c’est le club qui a été nommé d’après le livre mais, oui, c’est super !

-« Il ne reste plus qu’à espérer que tout le monde n’aille pas voir le film sinon notre couverture sera grillée !

-« Oh, pas de risque, ne t’inquiète pas, les films LGBT n’intéressent pas les hétéros !

-« Allez, on entre ! » reprend Gabriel qui manifeste son impatience.

On était les premiers dans la salle, c’est vrai que nous étions très en avance mais cela m’a déçu.

‘Oui, on dirait qu’il y a peu de risque que tout le monde découvre la véritable signification du Geography club !’

Bien sûr, je m’étais assis à côté de Thibaud et cela m’a rappelé notre premier cinéma ensemble, à la Toussaint.

‘Waouh, c’était il y a tellement longtemps !’

Bien avant qu’il ne se passe la moindre chose entre nous, au tout début du chemin qui allait mener à ma prise de conscience que je n’étais pas hétéro. Je me suis penché vers Thibaud et je l’ai embrassé. Il a été surpris parce qu'il m’a regardé avec des points d’interrogation dans les yeux.

-« Ca me rappelle notre premier film ensemble…

-« Oh oui, à moi aussi ! J’étais tellement heureux d’être assis à côté de toi dans le noir…

-« Moi aussi, même si je n’avais pas encore compris pourquoi ! »

Il a pris ma main dans la sienne et l'a caressée doucement. J’ai souri en me disant que nous avions beaucoup de chance de nous être trouvés et puis j’ai regardé nos amis.

‘J’espère que tout le monde aura cette chance !’

J’ai adoré le film !

Il met en scène l’idylle entre deux garçons, Russel qui tombe amoureux de Kevin, le sportif accompli qui ne veut surtout pas que son homosexualité soit découverte. Le cadre de l’histoire est leur lycée dans lequel plusieurs élèves gays et lesbiennes ont fondé un club pour se retrouver sans que leur homosexualité soit dévoilée aux yeux de leurs camarades. Bien sûr, il y a de nombreuses péripéties mais finalement tout finit bien dans le meilleur des mondes.

C’est un film américain, avec tous les codes classiques propres à ce genre de film pour les jeunes de mon âge mais, même s’il ne reflète pas la réalité française, je me suis facilement laissé entraîné par l’histoire et parfois identifié à ce que vivaient les personnages.

‘C’est un film qui raconte l’histoire de jeunes gays donc c’est normal que ça me parle !’

Quand la lumière s’est rallumée, nous avons attendu quelques instants avant de sortir. Finalement, il y avait un peu de monde même si la salle était loin d’être pleine et je me suis demandé en regardant sortir les spectateurs s’ils étaient gays eux aussi. Il y avait surtout des jeunes, seuls pour la plupart, quelques couples hétéros et cela m’a surpris et puis des personnes d’âge divers jusqu’à un homme d’au moins soixante ans.

‘Oui, je pense que la plupart sont gays et pour les autres j’espère qu’ils ont tout de même apprécié le film. Après tout, nous, on passe notre temps à voir des films hétéros !’

Nous sommes allés manger dans une pizzéria non loin de là. Tout le monde était content et joyeux. On a levé nos verres au film, au Geography club et on a profité du moment tout simplement. C’est la première fois qu’on fait quelque chose en dehors du lycée tous ensemble. Ca renforce les liens qui se sont créés au cours de l’année, ça nous permet d’encore mieux nous connaître.

‘Et ça donne envie de recommencer !’

On a discuté du film mais très vite aussi du coming out qui est le sujet central et de la façon dont nous imaginons que cela puisse ou pas se passer pour nous.

-« Moi, je ne me sens pas encore capable de le dire, j’ai trop peur de la réaction des autres…

-« Moi, c’est pareil mais je me suis senti minable ce matin quand Thibaud a dit à ma classe que Diego et lui étaient gays… j’aurai jamais votre courage, les gars !" intervient Léo.

-« C’est pas une question de courage, c’est une question d’être prêt. Moi non plus, je n’aurai jamais imaginé oser le dire publiquement, jamais ! Mais Diego m’a donné la force et puis le voyage à Sarrebruck a transformé notre histoire en secret de polichinelle alors je me suis lancé…" déclare Thibaud, visiblement encore étonné de ce qu'il avait fait.

-« Et il n’y a pas que Léo qui a été surpris, moi aussi ! » reprends-je.

Dans le groupe, tous les cas de figure sont réunis. Thibaud et moi sommes maintenant presque complètement sortis du placard. Pour Gabriel et Cassandra, leurs parents sont au courant avec des degrés d’acceptation nettement différents et puis pour les autres, c’est le secret presque absolu puisque seuls les membres du club sont au courant.

-« Ce qui compte, c’est que chacun fasse son chemin et peu importe à quel rythme. Ce qu’il faut c’est être en sécurité, idéalement avoir trouvé une âme sœur et puis avoir des amis ouverts.

-« Ouais ben pour moi, c’est pas demain la veille !

-« Mais si, pour toi aussi ça viendra, Maellis ! »

Nous étions les derniers et il était plus de 23 heures quand nous sommes sortis du restaurant.

-« Ce serait bien de refaire un truc ensemble avant la fin de l’année !

-« Ah oui, c’était super !

-« Je propose qu’on se fasse une sortie resto une fois par trimestre !

-« Qui est pour ? »

Tous le monde a levé le bras et Maellis a fait semblant de noter le résultat dans un procès verbal de réunion.

-« C’est noté et ce sera ajouté aux règles de fonctionnement du Géography club !

-« Vive le Geography club et vive nous ! » reprend Gabriel imité par tout le monde.

‘Oui, c’est exactement ça. Vive le club qui permet à des élèves comme nous, souvent très isolés, de vivre une si belle année et vive nous parce que nous le méritons tous !’

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