Une Soirée Mémorable
de
Charlie V.

Mes paupières sont lourdes, ma gorge est sèche, et une sensation de pesanteur a envahi chacun de mes muscles. J’ouvre un œil qui est aussitôt agressé par la lumière du jour. Une vive douleur me saisit dans le dos et près de la nuque lorsque j’essaye de m’assoir. J’opte pour quelques minutes de repos supplémentaire, espérant qu’elles me seront bénéfiques. D’ailleurs, je remarque que je suis à moitié ensevelie dans du sable bleu marine. Au vu de mon état, si un paléontologue passait dans le coin, il courrait chercher son matériel pour faire la plus belle découverte de sa vie !
À chaque rafale, le vent rabat sur moi une couche supplémentaire de sable. Il me faut m’extirper de là avec le peu de force qu’il me reste. Douleurs, fatigue, chaleur, je dois passer outre ou accepter de périr ici. Dans un grognement qui vient du fond de ma gorge, je roule sur le côté pour me dégager puis dans un dernier effort, relève mon buste.
Assise, je scrute les alentours : des dunes sombres à perte de vue s’étendent jusqu’à l’horizon. Des coraux géants s’élèvent çà et là ; leur couleur oscille entre le bordeaux et l’indigo. Certains sont tâchés de blanc. Il n’y a aucune trace de civilisation. Quant à un point d’eau où je pourrais me rafraichir, il existe seulement dans mes rêves. Le ciel est bleu, sans nuage. Deux cercles pâles s’y dessinent, un plus gros que l’autre. Il est rare de voir ces deux lunes en même temps, cela n’arrive que tous les trois cent ans. Mais je n’ai pas vraiment le loisir de profiter de ce spectacle.
Je masse mes tempes, enlève les grains logés dans mes cheveux, baille et soupire.
« Qu’est-ce que je fous ici ? »
Ma propre voix manque de vitalité. La seule réponse vient du vent qui m’assène une gifle cinglante faite de millier de petits cailloux que je recrache aussitôt. J’ai si soif ! Et ma tête me lance comme si… comme si j’avais bu ? Ai-je bu ? Je ne m’en souviens pas. Peut-être suis-je déshydratée ? Depuis combien de temps suis-je ici à rôtir au soleil ?
Bon, pas de panique. J’ai regardé les soixante-douze épisodes de « L’Humain contre le monde sauvage ». Je sais donc quoi faire pour survivre ! Enfin… en théorie. Première étape : se protéger du soleil ! Je porte une combinaison semblable à celle des motards, elle ne comporte qu’une pièce et la matière est si épaisse qu’elle est impossible à déchirer. Tant pis, je refuse de me laisser abattre. Deuxième étape : rester hydraté. Cependant, la perspective de collecter mon urine dans ma botte remplie de sueur de pieds ne m’enchantent pas des masses.
Et boire ça ? Moi vivante, jamais !
Je repousse cette idée, d’autant plus que je n’ai pas très envie de faire pipi maintenant. Troisième étape ! Troisième… étape ? Je me grappe la tête. C’était quoi déjà ? Ne pas céder à la panique ? Ne pas s’inquiéter d’être seule au milieu de nulle part alors que j’ignore dans quelle direction aller ? Marcher dos au soleil ? Ah, non, ça, c’est ce que font les enfants lorsqu’ils sont perdus…
Je me lève tant bien que mal et fais quelques pas pour évacuer le stress qui s’installe dans mon corps.
Soudain, je distingue une masse à moitié incrustée dans une dune un peu plus loin. Je ne l’ai remarquée qu’à cause de la bande réfléchissante rectangulaire dessus. Elle est grise, informe mais lorsque je pose la main dessus, je comprends qu’il s’agit de la même matière que ma combinaison. Je tire dessus de toutes mes forces et libère un homme. Je lui retire son casque et découvre un visage familier, celui de mon ami Jadis – Kévin, de son vrai nom, qu’il trouve trop commun. À la façon lâche que son corps à de bouger comme celui d’un pantin, je crains le pire. Je place deux doigts sur sa gorge. Rien. Il est mort.
De colère, j’arrache mes gants et les jettent sur le sol, le cœur serré. Un souvenir s’infiltre dans ma mémoire. Hier soir, nous étions dans un bar, lui et moi, à siroter des cocktails. Sans alcool, parce que Jadis y est parfaitement intolérant. Enfin, c’est ce qu’il a déclaré après sa dernière cuite ! Il a juré que plus jamais il n’y toucherait. Et si ma mémoire ne me joue pas des tours, il a tenu parole.
Je le revois accoudé au comptoir, ses cheveux qu’il venait de faire décolorer chez le coiffeur et sa peau d’ébène brillante… tout pour se faire remarquer. Mais ce soir-là, ni lui ni moi n’avons attiré de potentiel prétendant.
Alors, que faisons-nous là, perdu au milieu du désert ?
« Bordel de merde ! » fais-je en apercevant une moto des sables un peu plus loin.
La machine est semblable aux motoneiges, chenilles à l’arrière pour propulser le véhicule, et skis à l’avant pour fendre le sable. Avec sa couleur sombre, j’aurais vraiment pu la manquer. Petit à petit, les pièces de puzzle s’imbriquent dans ma tête. La soirée dans ce bar était si ennuyeuse que Jadis a voulu sortir faire un tour.
« Ça te dirait, une soirée mémorable à regarder les aurores australes dans le désert ? »
Je le revois faire tourner les clefs autour de son doigt, un sourire immense sur le visage.
« Tu veux juste me montrer ton nouveau joujou, avoue ! lui avais-je lancé.
- Bon, parce que je suis un gentil garçon, je vais accepter ta demande et t’emmener faire un tour !
- N’inverse pas les rôles ! »
Il adore… adorait faire ça. Quel crétin ! Je m’appuie sur le siège de la moto et regarde son corps inerte. J’essaye de ne pas penser à son état ; si je me laisse aller au chagrin, je risque de perdre un temps précieux pour ma survie. C’est donc lui qui nous a amenés ici. Ma seule hypothèse est que nous avons eu un accident. Peut-être qu’un animal est passé devant notre trajectoire et que Jadis a essayé de l’éviter ? En tout cas, la moto a l’air d’être en bon état. La clef est encore dessus mais lorsque je la tourne, il ne se passe rien.
« Allez, on ne s’énerve pas, tenté-je de me calmer, elle va démarrer. »
Je retente ma chance qui a sûrement pris des vacances depuis hier soir, mais le moteur reste silencieux. Je peste contre moi-même pour mon manque de savoir. Cette fichue bécane est ma seule chance et je suis incapable de la réparer. De rage, je hurle contre le monde avant de décocher un coup de pied à cette traitresse.
Mon corps est bouillant, la sensation de soif est à son apogée. Je dois trouver un coin d’ombre et me reposer. M’agiter dans tous les sens ne m’aidera pas à réfléchir. Je quitte mes bottes qui me donne l’impression que mes pieds sont en feu et ouvre ma combinaison pour profiter de l’air que m’accorde le vent. Ici, pas de pervers pour reluquer mon soutien-gorge ! Puis je grimpe sur une dune et observe encore les environs. Je regarde avec envie la fine ombre accordée par l’un des coraux à proximité. C’est décidé, il sera mon meilleur ami pour un moment ! Mon attention se reporte tout de suite sur mon ami. Je ne peux me résigner à laisser son corps au soleil ou être enseveli par le sable.
« Tu m’en auras fait voir de toutes les couleurs, espèce de sac à patates ! grogné-je en le tirant par les épaules jusqu’à la zone ombragée. Tu nous as crashés au milieu de nulle part, dans le pire endroit du monde, et tu m’as laissée toute seule ! »
Je l’appuie contre le tronc et m’assoie à ses côtés.
« J’espère que tu les as vu, tes aurores australes ! grommelé-je. Moi, je n’en ai aucun souvenir. »
Après un moment à piquer du nez, je m’abandonne dans les bras de Morphée. À mon réveil, mon corps semble avoir perdu quelques précieux degrés. Toutefois, mon problème est toujours le même : je suis bloquée en plein désert. Et lorsque viendra la nuit, la chaleur écrasante laissera place à un froid mordant. J’ignore l’heure qu’il est et combien de temps il me reste avant le coucher du soleil, j’ai laissé mon téléphone dans mon sac avant de partir avec Jadis. Est-ce qu’il a pris le sien ? Je m’approche et, prenant mon courage à deux mains, glisse ma main dans sa combinaison à la recherche de son téléphone. Il est peut-être mon dernier espoir de contacter des secours.
« Est-ce que tu veux de l’aide ? » me fait sursauter la voix d’outre-tombe de Jadis.
Figée de surprise, je le regarde, un tamtam furieux à la place du cœur. Son sourire m’accueille ; une pensée s’impose dans mon esprit. Il est vivant ! Si je m’écoutais, je lui sauterais dans les bras, mais c’est à cause de lui si nous sommes dans cette situation. Je plisse les yeux dans sa direction avec l’envie de lui tordre le cou, l’enterrer et prétexter qu’il s’est perdu dans le désert. Personne ne le saurait jamais !
« Bah t’en fais une tête ! rit-il en se massant la nuque. On est où ? Pourquoi j’ai mal partout ?
- Je ne sais pas, des dunes, du sable à perte de vue, ça ressemble à quoi, à ton avis ? grogné-je.
- On est dans le désert ! »
Il se met à rire, se lève sans trop de difficulté et va examiner sa moto. À la façon dont il marche, il ne souffre pas autant que moi. Dire que j’ai cru qu’il était mort…
« Tu te souviens de ce qu’il s’est passé ? lui demandé-je.
- On s’emmerdait alors on est allés faire un tour avec ma beauté ici présente… Je crois qu’on a dérapé et qu’on s’est mangé une dune. Où est ton casque ? »
Il ramasse le sien – un blanc avec des lignes bleu foncé – puis cherche le mien aux alentours.
« Je n’en sais rien, il n’était plus sur ma tête quand je me suis réveillée.
- Tu ne l’avais pas attaché ?
- Bah, tu ne m’as pas dit de le faire ! protesté-je en croisant les bras.
- T’as de la chance d’être en vie ! s’esclaffe-t-il comme le gros benêt qu’il est.
- C’est toi le conducteur, à toi de veiller à ce que ta passagère soit conformément équipée !
- Je t’ai fourni le casque !
- Oui, bon… J’ai essayé de démarrer ta foutue bécane, mais je crois qu’elle est fichue. »
Soudain, il tend son bras vers moi et m’indique du doigt un cordon qui est accroché à son poignet.
« C’est quoi ? dis-je en me rapprochant vers lui pour mieux voir.
- Un cordon d’arrêt d’urgence. Si je tombe, il s’arrache et la moto s’arrête. Ingénieux, non ? »
Il est si fier de me dévoiler ce détail qu’on pourrait croire qu’il est à l’origine de la conception. Mais non, Jadis est seulement mécanicien. Il se contente de réparer !
« Ça veut dire que si tu le rebranches, on peut repartir ?
- C’est qu’elle en a dans la tête, ma petite Victorine ! fait-il en venant me pincer la joue.
- La ferme, enfonce ce truc dans ta bécane, démarre, et on rentre ! grondé-je.
- T’as eu peur que je sois mort, hein ? »
Je grave son sourire dans ma mémoire et me promets de lui faire ravaler chacune de ses dents une fois rentrés.
« Désolé, j’aurais dû conduire moins vite, fait-il en posant une main sur mon épaule. Allez, grimpe, je vais t’emmener à l’hôpital !
- T’es sûr qu’elle va démarrer ?
- Mais oui ! Bien sûr ! Mon bébé n’attend que ça ! »
Il prend place sur le siège, glisse le bout du cordon dans l’encoche et tourne la clef. La moto toussote, crache une fumée noir mêlée de sable puis son ronronnement devient normal. Les lèvres de Jadis s’étirent, encore, puis il me fait signe de le rejoindre.
« Je vous emmène quelque part, chère autochtone à la longue chevelure noir ? s’amuse-t-il.
- Oui, j’aimerais regagner la civilisation, très cher. »
Je m’installe derrière lui et il enfonce aussitôt son casque sur ma tête ; ses doigts glissent près de mon menton et j’entends un clic. Il m’adresse un clin d’œil et ajoute :
« Hé ! Je ne t’avais pas promis une soirée mémorable ? »
Ah, ça… Il a tenu parole, le bougre ! Avant même que je ne réponde, la moto s’élance dans la direction d’où nous sommes venus. Avec un peu de chance, nous ne sommes pas partis trop loin de la ville.
Le paysage défile à toute vitesse ; derrière nous, les coraux finissent par ressembler à de vagues esquisses et l’étendu de sable s’efface peu à peu. Bientôt, notre mésaventure ne sera plus qu’un mauvais souvenir.
Table des matières
En réponse au défi
FFR (Fight For Read)
Connaissez-vous les FFS ? Fight For Sub, littéralement, combattre pour des abonnements. 100 streamers se confrontent sur des jeux vidéo durant quelques heures, et le gagnant reçoit l'abonnement des 99 perdants.
C'est avec cet esprit que je propose ce défi. Non, il n'est pas question d'abonnement, mais d'entraide pour s'améliorer. La régle principale de ce défi est que CHAQUE PARTICIPANT S'ENGAGE À LIRE LES AUTRES. Si vous n'êtes pas prêts à vous investir, alors passer votre chemin. Ici, nous cherchons à progresser !
Théme :
Je vais reprendre un vieux défi auquel j'avais participé il y a très longtemps et que j'avais beaucoup apprécié.
Votre personnage se réveille au milieu du désert sans se rappeler comment il est arrivé ici. À ses côtés gît son ami(e).
Vous êtes libre d'utiliser le point de vue que vous voulez.
Longueur : Entre 8-15min, pour que le texte reste accessible à tous.
Ce défi est ouvert à tous, débutant ou confirmé.
Ce défi sera réitéré s'il y a suffisamment de participants.
À vos claviers ! :D
Commentaires & Discussions
Une Soirée Mémorable | Chapitre | 9 messages | 1 mois |
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