Redescendre sur terre

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Une fois par semaine, Lian me recevait chez elle. Un appartement neuf, moderne, vaste et clair. Peu de meubles. Elle ne se cachait pas de soutirer ses revenus à un parvenu roulant sa bosse au milieu des magouilles immobilières. Elle assumait à la fois, son rôle de secrétaire particulière et celui d’accompagnatrice attitrée.

Très portée sur l’esthétisme artificiel, Lian s’engagea dans la spirale de la chirurgie plastique. Le jais intense de ses cheveux encadrait son beau visage en amande accentué par le menton pointu, fin, délicat. Pour éviter de se raser les sourcils et de les redessiner au crayon à la manière des Occidentales, elle préférait les épiler, poil après poil, à l'aide de sa petite pince dorée. À son avis, pas au mien, ses yeux bridés gâchaient l'harmonie de son visage.

Souvent, elle nous contemplait nues dans son miroir. Me prenant à témoin, elle soulignait ses défauts. Tout y passait : le nez ? Trop plat ; les yeux ? Trop tirés ; les lèvres ? Trop fines ; le ventre ? Trop mou ; les fesses ? Trop étroites ; les cuisses ? Trop molles et les seins ? Rikiki. Devant tel déluge de critiques j'avais honte de mon corps. Était-ce là le moyen indirect de me juger, celui de me signifier la médiocrité de mes détails corporels ?

« Ne jamais se laisser aller. Pas de relâchement ! »

Je détestais ces séances d'auto-critiques. J'en sortais blessée, surprise de la voir aussi amère envers elle-même.

Elle voulait remplacer ses simples yeux en amande par un magnifique regard à l’occidentale. Pour l'obtenir, elle dut subir une intervention très rapide, qui l’obligea à garder un bandage autour de la tête pendant dix jours. J’étais sa canne blanche. Je l’accompagnai pour le retrait des fils à l’hôpital. Le médecin était content de sa cliente. Elle devrait patienter trois mois avant d’envisager une autre intervention : le gonflement de sa poitrine que je trouvais pourtant harmonieuse.

J'aimais ses petites pommes fermes. J'aimais leurs pointes dressées réagissant à chacune de mes caresses gourmandes. Pourquoi vouloir changer la nature des choses, si l'on ne sait pas écouter ceux qui nous en vantent les qualités ?

Quoi que je dise, mon avis ne l'intéressait pas. Seule la représentation idéale de son corps la faisait fantasmer.

Je n’eus pas le courage de voir le résultat de cette intervention qui, à mon sens, prenait des proportions imbéciles.

C'est à cette période précise que mon père décéda suite à une mauvaise grippe.

L'homme qui recevait les larmes des pleureuses payées pour l'occasion n'était pas mon vrai père. Il remplaça mon géniteur au pied levé, lorsqu'il fallut combler le vide provoqué par l'absence du dit paternel. Mon père vivait caché, poursuivit par une foule d'individu demandant sa mise à mort. Qu'avait-il donc fait de pire que d'abandonner sa famille ? Le silence infligé par ma mère à chacune de mes questions, confortait en moi la puissance du drame qu'il avait du causer. Mes études me permirent d'envisager les possibles agissements qui poussaient des personnes à crier vengeance. Tout cela restait de l'ordre du probable, de l'envisageable, du possible, sans que je ne puisse jamais confirmer mes craintes. Était-il réellement un meurtrier, un être abjecte qui engendre la haine ? Ne connaîtrais-je donc jamais son histoire, celle qu'avait omis de me raconter ma grand-mère, celle que se refusait de me révéler ma mère ?

Éprise de vérité, je fouillais le passé, recoupais les dates, les événements, Avec mon amie Kimou, nous étions parvenues à composer un dossier sur ce fantôme. Une association de journalistes nous facilitait le travail. Je sentais bien que nous n'avions pas les mêmes objectifs. Chaque investigation se soldait par une mauvaise piste, un témoignage erroné, imprécis ou une absence de preuve. Démarche difficile car l'homme changeait de nom, d'adresse. Jusqu'au jour où Kimou m'annonça qu'elle renonçait à poursuivre le combat et détruisit par le feu tous nos documents. Désolée autant que découragée, j'abandonnai mes recherches tout en gardant une certaine frustration au fond de moi, comme s’il me fallait attendre encore longtemps pour connaître la vérité.

Les seules larmes versées provenaient du visage des trois vieilles pleureuses payées pour l'occasion.

Je profitais de la situation en invoquant une douleur profonde, pour m'éloigner de Lian et me rapprocher de ma mère. Elle avait besoin de me raconter sa jeunesse et de te transmettre la part romantique de ton grand-père. Ses souvenirs nous rapprochèrent toutes les trois. Pendant les quinze jours de vacances accordées par ma société, maman ressentit la nécessité de nous emmener voir son frère cadet qui était resté dans leur village natal.

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