Episode 2

4 minutes de lecture

    Twitto flamboyant, @laddin était connu pour son blog politique initialisé lors de la campagne de 2007.  Il était l’un des adversaires les plus acharné du pouvoir en place. Il vivait d’expédients, rédigeant de temps à autres des articles à la pige pour les plus grands journaux online. Son humour caustique lui attirait pas mal de détracteurs (trolls) mais, aussi de nombreux lecteurs avides de ses saillies contre l’omni-président et sa clique.


    Piqué au vif par cette affaire, mes automatismes de journaliste d’investigation s’étaient réactivés. Je téléphonai donc à une de mes sources qui travaillait au sein de la brigade de police chargée de l’enquête :

        -   On a rien, pas un indice sur le meurtrier… Le seul truc que l’on sait, c’est qu’il n’y a pas eu effraction. Alors, on a épluché ses fréquentations dans le milieu gay, mais aucune ne correspondait au signalement de  l’homme qu’on a vu sortir de chez lui. On a une image issue d’une caméra de surveillance, mais le type avait une capuche sur la tête… Mince, taille moyenne, tout ce qu’il y a de plus banal.

        - Et en relation avec son activité politique, vous n’avez rien non plus ?

        - Tu veux parler de son blog ? On a bien épluché les commentaires de ses derniers billets.  Mais, si tous ceux qui insultent les blogueurs sont des tueurs, on ne saura bientôt plus où donner de la tête ! L’équipe informatique est sur le coup pour analyser les adresses IP, mais pour le moment, on n’a rien de tangible de ce côté-là non plus. On a juste affaire avec des papis de l’UMP en colère ou de jeunes militants FN excités qui ont plus de gueule que de muscles… Je te dis, on a rien… Ou presque.

        -  Presque ?

        -  Oui.  Il y a tout de même un mail étrange… On n’a pas pu retrouver la trace de son émetteur, car il était planqué derrière un VPN*… Il y est dit : Suivre sans suivre est la pire des bassesses. IRL tu seras éliminé et ma Time Line tu n’encombreras plus.  

        -  Cela ressemble à du langage de twittos ça !

        - Oui, mais il avait des milliers d’abonnés. Cela va nous prendre du temps.

        -  Si tu veux, je peux aider… Je suis moi-même très présent sur ce réseau social. Je te communiquerai des pistes. 


    Alors, j’avais commencé mes recherches en me faisant plus assidu sur Twitter. Je repérai assez rapidement le petit groupe de blogueurs qui avait bien connu @laddin. Ils étaient tous sous le choc. C’était l’incompréhension totale. Ils passaient des heures à broder sur des complots à l’origine de l’assassinat de leur ami. De plus, leurs petites réunions dans un bistrot de la petite couronne parisienne semblaient bien tristes.  On le voyait rien qu’en lisant les tweets qu’ils émettaient depuis. L’un d’entre eux s’était occupé de sauvegarder son abondante production web de telle sorte que ses billets puissent survivre bien après son décès.


     Pour poursuivre mon enquête, je décidai de me lancer IRL. Jusque-là, même si  les occasions n’avaient pas manquées, je n’avais jamais osé franchir le pas.  Pourtant, cela faisait bientôt trois ans que je traînais sur ce réseau racontant des blagues et lançant des jeux de mots traitant de l’actualité. Citoyen non encarté, j’y militais  aussi un peu contre le gouvernement en place. Là, j’avais croisé bon nombre mythos, fachos et divers personnes en dépressions. C’était encombré de chômeurs, retraités, malades de longue durée, télé-travailleurs, auto-entrepreneurs, femmes au foyer ou en maternité… Le tout saupoudré d’accros du net en tout genre : informaticiens, journalistes web, étudiants et employés de bureau s’ennuyant ferme derrière leurs écrans. L’apparition du web mobile avait apporté son flot de fans des réseaux sociaux qui restaient connectés en permanence et qui au fil de leurs poses numériques ne perdaient rien du dernier buzz du moment.   


    Pour commencer, j’optai pour la rencontre avec l’un des twittos politiques que je lisais le plus fréquemment. Il semblait très ami avec la victime. De nombreuses photos d’eux avaient été publiées sur le net lorsqu’ils participaient ensemble à des rencontres de blogueurs ou assistaient à des meetings politiques. Ses Live Tweets (LT) comico-politique me l’avait fait connaître. J’avais échangé de petits mots avec lui et posté des commentaires sur son blog. Nous n’étions pas toujours d’accord, mais nos relations virtuelles étaient cordiales et sympathiques.


    Ayant repéré son principal lieu de vie, je me présentai un soir dans le troquet. Je le reconnus de suite assis dans le fond du bar, un smartphone à la main. Je m’approchai timidement de lui et je me présentai en mentionnant mon pseudo. Il fut très étonné. Je ne ressemblais en rien à mon avatar. Il m’avait imaginé plus jeune, mais en fait, j’avais à peu près son âge : la quarantaine bien sonnée. 


     Pour fêter cette rencontre, je commandai des bières, connaissant son appétence pour ce genre de breuvage. Je le félicitai pour son blog et les fous rires qu’il m’occasionnait à la lecture de ses dizaines de tweets quotidiens. Il souhaita en savoir plus sur moi. Je restai, cependant, très évasif sur ma profession. J’indiquai seulement que j’écrivais un roman. 


     Nous nous quittâmes après avoir englouti moult pressions, plutôt bien éméchés. Je filai avant le dernier métro satisfait du résultat de cette entrevue. Il m’avait invité à la prochaine réunion des blogueurs qu’il organisait régulièrement.


NDLR :

VPN : Virtual Private Network - Réseau privé virtuel dont l’usage permet de masquer les adresses IP.  

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