19 - L'enfer du voyage

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Dverg avait enclenché Raidō dès que la Translatoire eut prononcé "estomac"... J'eus le vertige rien qu'en voyant l'espace se plier à la volonté de la Rune du voyage... Puis vint la dématérialisation en ondes.

Il me semblait tout voir, je me sentais voler dans les airs, j'avais l'impression d'aller plus vite que n'importe quel transport... Cela aurait pu être génialissime si ma vision n'était pas doublement distordue par Raidō et les ondes ; si chacune de mes molécules, transformées en énergie, ne paraissait pas vouloir se casser loin de mon corps et vivre sa vie indépendamment ; si tout n'était pas accompagné par un insoutenable son strident...

Cinq minutes... Cinq minutes durant lesquelles tous mes sens étaient en alerte rouge puissance mille, comme si j'avais du "death metal" à cent dix décibels dans les oreilles, un million de fourmis carnivores se frayant un passage dans ma chair, une aberration devant mes yeux, le chaos dans ma bouche et l'anarchie dans mes narines... Je n'aurais jamais cru qu'on sentait cela quand on était transformé en ondes. Le pire, c'est que ce n'est pas le corps qui ressent tout ça —puisqu'il est dématérialisé et donc inactif—, mais l'âme qui le suit à la trace.

J'étais pourtant habitué aux téléportations ! J'avais fait l'expérience de me transformer en électrons instables ou en vifs photons, j'avais même, durant l'épreuve, vomi après m'être transformé en chaleur pure grâce à Xenthores, mais les ondes ? Je doutais qu'il puisse avoir de pire moyen de déplacement.

Lorsque la torture se finit enfin, on se retrouva tous affalés sur le sol meuble d'une forêt dense mais calme. J'ai vomi, Kernn aussi. N0-V04, lui, ne dégueula pas —d'ailleurs il ne le pouvait, il mange des capsules d'énergie et non des aliments biologiques—, mais il était visible qu'il était dans un pire état que moi. à propos de Kernn... L'insolent a vomi à répétition pendant dix minutes au moins, puis il se releva et tapa des arbres comme s'il ne s'était rien passé. Tous les autres se sentaient visiblement mal... Même Ametara était pantelante de sueur, mais c'était d'une autre source.

-J'ai pensé à un truc, fis-je après m'être rincé la bouche et lavé le visage avec de l'eau invoquée par Tarek. J'ai vu un portail menant directement à Delphes, sur l'arbre-monde. D'accord, ça peut être difficile pour certains d'y aller, mais ne serait-ce pas plus simple que j'y aille, accompagné de ceux qui y sont les plus aptes, pour y aller en éclaireur ? J'y vais, je vais voir la Pythie, je prends la prophétie et je reviens comme si de rien n'était !

-Il y a toujours le risque de Ratatosk, me gronda Dverg. Yggdrasil, on n'y accède pas d'un claquement de doigts en principe, mais les mages des runes peuvent aisément y accéder. Et, hors nous deux, il n'y a personne ici qui serait à l'aise dans ses branchages, crois-moi.

-Quant on sera sur l'arbre-monde, mes parents pourront m'aider, indiquai-je. J'ai vu mon père à l'action contre Ratatosk, je sais qu'il peut nous être d'un grand soutien.

-Hep, hep, hep ! Du calme, l'électrique. Je te signale que la seule arme de Ratatosk, ce sont ses cris. Si tu es resté bêtement sur une branche, il n'allait pas te faire grand-chose, il n'est pas très offensif. Mais plus on se rapproche du tronc, plus on empiète sur son territoire, et il faudra que tu m'explique comment l'épée de Hydunn, aussi puissant soit-il, peut dévier des ondes sonores.

-On se trouve près de Delphes, pile dans le même monde, en principe la branche sur laquelle on se trouve est la même, non ?

-Ce n'est pas comme ça que ça marche, l'électrique. On se trouve bel et bien sur une autre branche. Et, même si, par miracle, l'écureuil ne montre pas le bout de son museau, on aura quand même plusieurs semaines de marche. Cela ne nous avance à rien. Il y a actuellement un seul moyen de voyage plus rapide, mais son gardien opère surtout des voyages interstellaires ou intermondiaux.

-Tu parles du Bifröst ?

-Oui.

En effet, le Bifröst... un pont arc-en-ciel qui relie Asgard, le monde des dieux, à tous les endroits du Multivers. Evidemment, on ne va pas aller déranger Heimdall, le gardien en question, juste pour nous déplacer de quelques milliers de kilomètres... Alors que les voyages qu'il opère se compte en trilliards d'années-lumière.

-Donc ça va être ça à chaque fois ? gémit Witz. Téléportation horrible, marche dans le froid, repos, téléportation horrible, marche dans le froid, repos etcaetera ?

-T'as tout compris, fit Ametara. Bienvenue dans Revaltia !

-C'est joyeux ! Renchérit l'archer d'un air morne. ça sera une partie de plaisir !

-De toute façon, dans un premier temps c'est moi qui vous transporte, fit Olivia. Entia pourrait appeler à elle quelques aigles géants, Tarek peut en appeler un grâce à Horus et Thauroji peut voler de lui-même. Cela me facilite la tâche.

Tandis qu'Entia sifflait en direction du ciel, Tarek leva sa baguette en prononçant un mot en égyptien que je n'ai absolument pas compris. Un hiéroglyphe en forme d'oiseau apparut progressivement devant l'aegyptomage, et, quelques secondes plus tard, une sorte de piaf gigantesque se matérialisa à la place du symbole. Ce n'était pas un vrai oiseau, on aurait dit un faucon fait de rayons de soleil, tant il était translucide et brillant.
Peu après cette apparition suivirent un cri strident à travers les feuillages. Deux grandes formes descendirent sur nous, arrachant au passage une cime d'arbre. Les deux aigles d'Entia me paraissaient déjà bien plus sûrs que l'oiseau arcanique de Tarek...

Les vents glacés se déchaînaient déjà lorsque Tarek enfourcha son serviteur et qu'Entia, Dverg, N0-V04 et Miku montèrent deux à deux sur les aigles. Je vêtis ma forme de demi-dieu et réunit mon courage pour placer mes ailes angéliques dans le sens du vent "gelé" pour mieux décoller, et je me lançai.

J'eus un peu de mal à passer la couche de branchages, mais en raison de la saison aucune feuille ne me gêna. La grisaille du ciel ne me plaisait déjà pas, alors devoir stationner là, en plein air, avec le vent frais qui me fouettait le visage... Ce voyage allait s'annoncer insupportable.

Lorsque les aigles géants m'eurent rejoints, Olivia et les autres s'extirpaient des branchages, totalement désorientés, en lévitation dans les airs. J'eus de la peine pour Miku, installée avec peine sur un aigle géant, elle qui n'avait rien pour se réchauffer ni même se protéger du vent qui se déchaînait autour d'elle.

Olivia amorça le départ, puis me fit un signe de la main. Je l'ai rejointe à tire d'aile —sans mauvais jeu de mots— ;

-Si tu te sens faiblir, me dit-elle alors, n'hésite pas à me le faire savoir. Tu ne seras pas une charge très difficile à porter, avec tes ailes.

-Merci, lui répondis-je avec une voix tremblotante à cause du froid, mais ça va peut-être bientôt arriver... Je me les gèles !

-Alors fais bien attention, parce qu'il ne fera pas toujours aussi chaud qu'au Népal.

Je la laissai ensuite pour aller rejoindre l'aigle d'Entia.

Peu après, je remarquai une vaste tache bleue dans ce gigantesque ciel gris, et m'en enquit tout de suite à Entia... Qui me redirigea vers Miku. Je pris mon courage à deux mains, et, en trois battements d'ailes, j'avais rejoint l'aigle de N0-V04 et de la Kitsune. L'Exanthrope faillit avoir une attaque cardiaque en me voyant arriver ; il croyait sans doute qu'un gros prédateur avait voulu attaquer leur aigle...

-Miku ? Criai-je pour bien me faire entendre dans ce vent.

-Oui ? hurla-t-elle en retour.

-Pas trop froid ?

-Si, c'est intenable ! Mais je n'y peux rien !

-Désolé, je ne peux rien y faire non plus... A moins que tu ne veuilles bien que je te passe ma tunique ?

-Thauroji, même si je ne savais pas que tu te les gelais aussi, j'aurai refusé... Je... C'est compliqué !

-Ah ?

-On en reparlera une prochaine fois, tu veux, mon chou ? Cela m'évoque des mauvais souvenirs...

-Oui, je voulais te demander un truc !

-Quoi ? hurla-t-elle par incompréhension.

-Je dis : "je voulais te demander un truc" !

-Quoi ? beugla-t-elle pour me demander de quoi je parlais.

Je pointai du doigt le cercle de ciel immaculé, plus loin.

-Ah, ça ? ça, c'est Katmandou, mon chou !

-QUOI ? ça, c'est Katmandou ? La capitale du Népal ?

-Oui ! Une ville beaucoup basée sur les traditions Bouddhistes. Pas une ville qui est très développée, mais qui possède tout de même les technologies climatiques !

-Pardon ?

-C'est vrai que tu viens pas de ce monde, mon chou... Beaucoup de villes possèdent des sortes de "champs de force" qui montent jusqu'à la stratosphère et qui leur permet de gérer le climat à leur guise... Là, les autorités de Katmandou ont décidé qu'il ferait plein soleil !

Je n'avais même pas pensé à un truc du genre... Déjà ébloui par la technologie d'Ataraxia avant même d'avoir aperçu la moindre petite parcelle d'agglomération, je laissai Miku en la remerciant... Et elle me répondit "de rien, mon chou" en mimant un bisou. Y avait décidément un problème avec cette femme-renarde. Pourquoi elle se comportait comme ça ? Je laissai cette question en suspens. Pour le moment, on avait une longue route à parcourir.

Pendant une petite heure, j'ai tenu le coup, en me laissant planer au gré du vent. Ensuite, épuisé, je me laissai emporter par les tempêtes d'Olivia... à choisir, je ne sais pas si je préférais la téléportation des ondes pendant cinq minutes, ou me les geler dans un cyclone miniature propulsé à la vitesse de quarante kilomètre-heure dans un climat frais, et cela pendant une beaucoup plus longue période.
Dans le ciel, Je remarquai encore un ou deux Champs de Force climatiques dans les nuages sans voir un seul petit bout des villes qui les produisaient.

Trente minutes plus tard, les vents nous déposaient en plein milieu de nulle part selon Miku, qui affirmait qu'aucune ville n'était présente dans les environs... Chirutll informa alors, en regardant sa carte holographique, que nous n'étions pas loin au sud d'un village dénommé "Chainpur".

En faisant bien attention à la forêt environnante, on a cuisiné notre tout premier repas. C'est de la citrouille et plein d'autres légumes qu'Entia a fait sortir du sol ; avec ça, on a pu faire une de ces soupes... Autant dire que le potage à la citrouille, c'est mon préféré. Et surtout, boire un truc chaud dans tout cet environnement froid faisait un bien fou. N0-V04 avait prit la peine, pour mieux manger, de nous confectionner des assiettes, des couverts et des bols dans du bois taillé. Tout le monde mangea son steak et sa soupe avec avidité, comme nous n'avions pas mangé depuis longtemps. Après ce repas assez simple, deux heures de marche nous attendaient... Il fallait reprendre des forces.

Dès que l'heure du départ fut venue, nous avons remballé nos affaires. Olivia, à cause de la fatigue, ne tenait pas debout ; Kernn jura, sous l'insistance d'Entia et de Chirutll, de la porter sans faire d'histoire. Alors notre Alterrien aux quatre bras porta la femme-ninja sur son épaule, tel un vulgaire sac de patates, durant tout le trajet... On a bien essayé de faire autrement, mais il ne fallait pas s'attendre à ce qu'un Ureegr CINÉTIQUE fasse preuve d'un peu d'intelligence et de compassion pour qu'il porte Olivia dans ses bras, comme un prince charmant porterait sa dulcinée... Mais bon, il était le seul membre du groupe qui était apte à porter de lourdes charges pendant longtemps.

Deux heures... Deux heures de marche pendant qu'Olivia était portée la tête en bas par un rustre. Y a pas à dire, cette équipe ne comportait que des bras cassés.
Nous nous sommes arrêtés en pleine forêt, et Chirutll a ressorti les tentes.

Evidemment, je ne vais pas raconter toutes les étapes unes par unes... C'était juste pour donner les infos sur notre quotidien à partir de ce moment. Et, j'ai envie de dire, les maniaques de la précision pourront encore vérifier les étapes sur une carte pour voir comment on avançait.

Ferdinand s'avança au milieu de notre futur campement :

-Très bien ! Maintenant qu'on a bien voyagé, on va se reposer un peu. Il faut conserver notre énergie. Nous avons quelques heures ; après quoi, le cycle recommencera. Ametara nous retéléportera, puis Olivia nous refera voler, puis nous remarcherons deux heures de plus. Enfin, le soir, re-téléportation mais cette fois-ci par voie électronique.

Xenthores sembla désapprouver... Désapprouver quoi ? Entre les moyens de téléportation et la durée du trajet total, je ne sais exactement ce dont il était mécontent... Pourtant, voilà, tout le monde savait que c'était le moyen plus rapide que nous puissions avoir.

Alors que certains s'organisaient pour monter le camp, Ferdinand s'approcha de moi ;

-Salut, Thor' !

-Salut Ferd' ! Que puis-je faire pour toi ?

-Il vaut mieux effectuer une ou deux patrouilles... N0-V04, Miku, Chirutll, toi et Entia devriez le faire.

-Et pourquoi nous ?

-Parce que tu sais voler sans utiliser de magie avec tes ailes. Qu'il n'y a personne de mieux qualifié qu'Entia et N0-V04 pour inspecter une forêt. Que N0-V04 ne sort jamais sans garde du corps. Et que la double vision de Chirutll est très utile dans ce genre de milieu. Voilà pourquoi.

-Pourquoi il faudrait faire des patrouilles ?

-On ne sait jamais ce qui peut traîner dans ces forêts. Rien que pour les monstres, il vaut mieux prévenir que guérir.

Je lui donnai ridiculement mon accord —ridiculement, parce que je me devais d'accepter— avant de m'envoler.

Durant cette ronde, rien de spécial. rien du tout. J'avais beau regarder, je ne voyais rien. Dix minutes plus tard, je revins au camp en déclarant "R.A.S. !". Même constat pour Entia et Chirutll. N0-V04, quant à lui, signala craintivement la présence d'Ents, au sud. Entia le rassura ; les hommes-arbres d'Ataraxia sont neutres et ne s'attaqueraient jamais à nous... Si nous ne les dérangeons pas.
Cette explication ne sembla pourtant pas apaiser l'Exanthrope qui commença à renifler violemment l'air, comme il a l'habitude de le faire.

Trois heures passèrent et on décida de reprendre la route. Re-horreur ondulatoire, re-air frais dans la gueule, re-marche de deux heures... Et enfin, le soir, je devais encore me concentrer, assisté de Ferdinand, pour nous faire avancer d'une centaine de kilomètres. Désormais, c'était notre quotidien. Chaque jour de ce cycle infernal. Ouaip ! Une partie de plaisir, comme dirait Witz !

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ça faisait un petit bout de temps que je restais dans le silence. Il est temps que Thor' s'arrête d'écrire, il va finir par terminer le livre tout seul !

Ce que Thauroji ne disait pas, c'est qu'à chaque arrêt il montait un petit autel et priait Hermès juste devant. Et Entia priait avec lui. Et aussi Witz.
Hermès ? Pour les ignares, c'est le dieu grec du voyage. Comme ça, c'est dit.
Boh, y a bien Tarek qui montait aussi son petit autel, mais je ne savais pas en quel dieu cet honneur était dédié. Et puis, oublions pas Ferd qui, une fois par jour, s'agenouillait, regardait le ciel et joignait ses mains en psalmodiant. Yup ! Une troupe bien hétéroclite ! "C'est un nordique, un égyptien, un chrétien, un sataniste et trois grecs qui entrent dans un bar"... Ouais, on pourrait en faire une blague. Je ne connaissais pas la religion de tous les autres et en fait je m'en foutais.

Le soleil est vite tombé. Forcément, en hiver les nuits sont longues ! Et comme on l'a énoncé —quoiqu'une petite piqûre de rappel ne fait pas de tort—, Noël (ou le Jour des Réjouissances, je m'en contrefous) était proche. Donc le solstice d'hiver aussi.

Dès que Chirutll, Thauroji, Entia, N0-V04 et Miku furent partis pour inspecter les environs, je braisai un bon gros porc à la broche. Certains plaçaient le campement, ce qui était super rapide, hein, les tentes de Revaltia c'est pas non plus des bêtes trucs qu'on plante dans le sol après trente minutes. Bref ! A peine avais-je fini de cuire le bon gros morceau de viande que les cinq autres revenaient d'exploration ; que dalle aux environs. De nouveau, le froussard s'est encore affolé de la proche présence de quelques Ents. Juste pour le soigner de sa couardise, j'étais bien tenté de le prendre par le col métallique et de lui mettre un ou deux pains.

En plus du porc, Miss Nature s'est mise en tête de nous donner des concombres et des asperges. ça ne me dérangeait pas trop, mais Thor' faisait la grimace.

On a pas tardé à se coucher. Les tentes nous attendaient, le dispositif d'invisibilité était activé, une journée chiante nous attendait demain, les tours de veilles étaient planifiés et je ne faisais pas partie du premier groupe, résultat : je me suis affalé sur mon lit provisoire. J'ai été étonné de la qualité du matériel de camping, d'ailleurs. Le matelas était parfait. La nuit aurait été sublime... Si ma tente n'était pas située JUSTE A CÔTE DE LA PLANQUE DE N0-V04 !

Ouais, la planque... Si Entia dormait dans un simple buisson, N0-V04 avait installé son lit de racines et de mousse dans un gigantesque trou qu'il avait creusé. Il était entré dans ce trou, puis il avait recouvert l'ouverture d'une couche de feuillages et il nous a fait promettre qu'on recouvrirait le tout de terre.

Rien à faire... Même les feuilles et la terre n'étaient pas suffisants pour couvrir le bruit de ses cris. Ce mec est éternellement envahi par les cauchemars.

J'arrivais pas à fermer l'œil, du coup je me suis dit que j'allais aller voir. Miku était la première de garde ; aussi n'était-elle pas postée à côté du feu toujours allumé, mais devant la fosse de son protégé, à l'écouter hurler. Thauroji avait visiblement eu la même idée que moi ; il s'était emmitouflé dans sa robe de mage, et un cure-dents ressortait de l'ombre de sa capuche. D'où il le tirait ? Me dis pas que Chirutll avait pensé à en prendre dans son Inventaire, c'est ridicule... Quoi qu'en dessous de sa robe, Thauroji avait aussi un pull et surtout un jeans, des poches duquel Thor' enfouissait ses mains. Il avait sans doute pris sa réserve de petits bâtons avec lui. Ah oui ! Un autre détail : Thauroji était exténué de nous avoir tous téléportés en un coup. Même avec l'aide de Ferd', c'était dur. L'autre fulguromage, lui, semblait frais et dispos, comme soulagé d'avoir refourgué le plus gros du travail à son disciple.

-C'est quoi cette merde ? Demandai-je, énervé, en parlant de N0-V04.

-cchht ! me signala Thauroji. Ce n'est pas parce qu'on est réveillés que les autres doivent l'être aussi.

-Là, il marque un point, mon chou !

Miku nous regardait tous les deux en souriant et en se pinçant la lèvre inférieure avec ses dents.

-C'est quoi son problème, à lui ? M'enquis-je en direction de la fosse enterrée.

-Nous sommes en grand danger et il le sait, me répondit la Kitsune. Si j'ai juré de protéger N0-V04, c'est pour une bonne raison ; nous nous promenons en pleine nature —là où tout le monde peut nous attaquer— avec une cible géante marquée d'un panneau "TAPEZ-MOI" en guise de coéquipier.

-Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda mon pote.

-la plus grande criminelle d'Ampéria est sur Ataraxia. Une exanthrope affreuse qui vit pour faire souffrir les autres et achever leur vie en d'atroces souffrances. On dit que même les plus téméraires mages de lave la supplient de les achever.

-Serait-ce cette fameuse "N1-V01" ?

Juste à ce moment, N0-V04 hurla comme si on venait de le marquer au fer rouge. Dans la fosse, des reniflements violents se firent entendre, puis les cris s'apaisèrent graduellement. Miku, quant à elle, acquiesca à Thor', le visage consterné.

-Ne prononce pas ce nom ici, mon chou... Et surtout pas si N0-V04 peut l'entendre.

-Qu'est-ce que... Qu'est ce qu'Elle a à avoir avec N0-V04 ?

-Rien... Sinon que N0-V04 sent qu'il est sa prochaine victime. C'est de ça qu'il essaie de vous prévenir en permanence ; N1... Euh... Vous-savez-qui possède une odeur atroce : on la sent venir de loin. C'est pour ça qu'il ne se sent en sécurité que lorsqu'il est près d'un loup et d'un tigre ; ce sont deux grands prédateurs à l'odorat fin, si Elle tente de l'approcher il le saurait. Comprenez alors l'angoisse qu'il a eue lorsqu'il a appris que les animaux d'Entia n'étaient pas de la partie ! Heureusement pour lui, moi aussi j'ai de l'odorat. Et surtout, je veux plus que tout détruire l'atrocité qui le pourchasse.

-Pourquoi ?

-J'ai... euh... J'ai mes raisons, mon chou.

-Et toi ? demandai-je.

-Qu'il y a-t-il ?

-C'est quoi ton problème ? Qu'est-ce qui ne va pas, chez toi ?

Voyant que je devenais offensant, Thor' a tout de suite essayé de me calmer. Bah trop tard. Miku, elle, cherchait ses mots.

-Tu te promènes en sous-vêtements en plein hiver ! Tu sembles refuser de te réfugier dans ta forme animale ! Même en marchant pendant des heures tu ne cesse de rouler des fesses ! Tu ne t'approches jamais à plus de trois pas d'aucun d'entre nous, si ce n'est ton pote l'Exo ! Si ça, c'est pas avoir une case en moins dans le ciboulet, alors je te le demande : c'est quoi, ton problème ?Au moins, prend un truc ; tiens, moi je n'ai pas besoin de ma robe, je me réchauffe tout seul, alors prends-la !

Je me dévêtit de mon habit de mage et la tendit à la Kitsune, qui refusa.

-Pourquoi ? Prends-la, tu n'auras plus froid ! Miku, ta peau est quasiment bleue...

-Comme si je ne le savais pas... Mais je ne peux pas !

-Mais je vais finir par te la mettre de force ! Si tu continues comme ça, tu vas crever d'hypothermie, sans que je ne puisse rien faire.

-Je ne peux juste pas m'imaginer dans de vrais vêtements, annonça Miku en surveillant le volume de sa voix mais en gueulant presque.

Même Thor', qui essayait de me calmer, fut perturbé.

-Je n'ai pas toujours été comme ça, continua la Kitsune en se frottant les oreilles.

C'est la première fois que je la voyais triste, voire mélancolique.

-Et qu'est-ce qui s'est passé pour que...

Thor' a laisé sa phrase en suspens.

-Une malédiction, fit Miku.

-Tu es maudite ? M'exclamai-je.

-Oui, une stupide malédiction d'Aphrodisie... Je réprouve moi-même ce que je fais, mais depuis, mon subconscient est focalisé sur une seule chose, attirer l'envie des gens.

-Et pourquoi tu es maudite, du coup ? Il y a bien une raison.

-ça, vous ne le saurez pas, mes choux. Ce souvenir me hante presque autant que "vous-savez-qui" hante les cauchemars de N0-V04.

On resta tous les trois plantés là. Thauroji, pour montrer son soutien, s'est assis près de la Kitsune. Et c'est là que j'ai compris pourquoi elle refusait de nous approcher. Plus Miku restait à côté de Thor, moins elle contrôlait ses mouvements. En premier lieu, elle a commencé à caresser le dos du fulguromancien avec ses six queues rousses. Ensuite, de ses mains, elle lui caressait son épaule, touchait ses lèvres, ... C'est au moment où Miku a tenté de prendre la tête Thauroji pour l'embrasser sur la bouche que ce dernier, excédé, la quitta. Les deux s'échangèrent un regard ; celui de Miku était empli de tristesse, comme un appel désespéré à l'aide, tandis que celui de mon pote dégageait plus de la douloureuse compréhension.

Ouaip... Eh ben purain, si vraiment cette femme-renarde détestait vraiment se comporter comme ça, alors cette malédiction était une vraie torture. Forcée à faire inconsciemment des choses qu'elle réprouve... J'ai évidemment jamais expérimenté mais je vois le genre.

Après deux minutes d'un silence gênant (la présence de Miku n'arrangeant pas ce côté désagréable), la Kitsune prit deux de ses six queues pour jouer avec et nous lança :

-Allez vous coucher, mes choux. Demain sera une longue journée, il faut que vous soyez reposés. Ne vous en faites plus pour N0-V04, ses cauchemars ont apparemment cessé. Il a deux ou trois cauchemars de ce genre par nuit, mais le temps qu'il en ait un nouveau vous serez déjà endormis.

-Excellente suggestion ! Fit Thauroji qui me salua de son geste habituel et s'engouffra dans sa tente.

Je fis de même, après avoir jeté un dernier regard à la Kitsune. Cette nuit-là, ni rêve, ni cauchemars de mon côté... Mais j'aurais parié que notre chère camarade aphrodisiaque a envoûté la nuit de Thor'.

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