33 - Trop c'est trop...

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Chirutll en avait presque fini de télécharger ses technologies, et était absorbé par ses réflexions au sujet de Chara, lorsque soudainement je me suis dit "M**** ! Il fallait poser un autre question à Centralis ! A propos de ce rêve de l'autre jour"...

-Fondation SCP, rêve, chapeau melon ! je déclarai, habitué aux recherches par mots-clé.

-Annule tout, intima l'officier à la machine avant qu'elle ne puisse donner des résultats.

-Mais... Pourquoi ? Il y a des dossiers confidentiels ?

-Pas le moins du monde... En tout cas, pas en ce qui concerne cette recherche-là. Une rencontre avec un membre de la Fondation était déjà prévue ; vous pourrez lui poser des questions en personne, c'est tout.

-Ah ? En quel honneur ?

-Vous verrez bientôt. Mais rien de quoi s'affoler, je vous rassure. Il arrive dans quelques instants.

Comme pour lui donner raison, une ombre se profila derrière la porte opaque. L'officier intima vocalement à la porte de s'ouvrir, et un personnage roux au visage sympathique entra dans la pièce.

-Les voilà ! sourit-il amicalement en se frottant les mains. Enchanté de faire votre connaissance, M. Voltar. Ou plutôt, enchanté d'enfin vous rencontrer ! J'ai beaucoup travaillé sur vos dossiers, à vous et votre ami Alterrien.

-J'espère que nos affaires ne sont pas trop graves ! plaisanta Chirutll.

-Ne vous inquiétez pas, tout est sous contrôle ! Enfin, presque... Je me présente : Docteur Jünger, scientifique de la SCP, où vous êtes tous deux enregistrés sous le matricule SCP-932-Rv-Beta-A. Ah, et M. Voltar est aussi connu sous le matricule SCP-955-Rv.

-Attendez, quoi ? je m'étonnai. Comment...

-Deux secondes, assura l'homme. Officier, j'aimerais parler à ces deux gens en privé...

-Bien sûr, docteur. Si vous avez besoin de moi, n'hésitez pas à m'appeler.

C'est d'une manière assez robotique, comme un bon petit soldat, que ce dernier quitta l'alcôve en refermant la porte derrière lui. Lorsque nous fûmes seuls, je repris :

-J'ai DEUX matricules dans la Fondation SCP ?!?

-Eh bien, oui. Vous êtes un cas à part, M. Voltar ! Ne vous méprenez pas. Si la plupart des entités que nous sécurisons peuvent se montrer très dangereuses, au fond nous sommes là surtout pour archiver les anomalies scientifiques, arcaniques et astrales et garder un œil sur elles. En tant que ressortissants de l'Epreuve, vous êtes déjà des anomalies ; vous avez transcendé les dimensions pour arriver dans Revaltia. Mais vous, mon cher, êtes aussi une anomalie sur le plan spirituel à l'échelle multi-dimensionnelle.

-Et... Qu'est-ce que ça veut dire ?

L'homme me fixa droit dans les yeux d'un regard sournois et annonça :

-Einstein à travers les dimensions !

Sur l'hologramme le plus proche s'afficha la tête de ce grand scientifique de renom. En-dessous, différentes lignes du temps, toutes titrées différemment... Revaltia, Anthropia, Mystiqas, Astraloth, Pandemonis et Amenlagerl. Les deux premiers m'incitèrent à croire qu'il s'agissait des différentes dimensions existantes...

-Ceci sont des graphiques de la vie d'Albert Einstein selon les principales dimensions. Voyez-vous quelque chose ?

-Euh... non, elles sont toutes pareilles ! Mêmes dates de naissance, de mort, même dates pour ses travaux importants...

-Eh bien, pas exactement. A Anthropia, votre dimension, il a développé la théorie quantique. Dans la dimension de la magie, il a créé une nouvelle échelle pour quantifier le Muthane. Dans celle des Grands Anciens, il a découvert d'autres divinités endormies. Je continue ?

-Que voulez-vous dire ?

-Je veux dire qu'il a vécu exactement au même moment à travers toutes ses incarnations, et a dans tous les cas fait progresser l'humanité d'un grand pas. Et c'est comme ça pour tous les individus qui sont nés avant la Divergence... Mais vous ! Vous... "Thauroji Voltar à travers les Dimensions !"

Changement de graphes. Et cette fois-ci, rien n'était pareil... Les différentes versions de "moi" n'avaient aucune eues la même vie. Une avait vécu au 30ème siècle en Belgique, une autre au 2ème en Grèce, une autre encore au 11ème siècle en plein océan pacifique... Et puis, trois sur mes six Avatars étaient féminins ?

-Que voyez-vous ? s'enquit le docteur Jünger.

-Euh... Beaucoup de différences...

-Oui. En fait, aucune de vos vies n'est comparable aux autres. Vous êtes le seul être à n'avoir aucun lien entre vos vies. Et aussi, le seul être à posséder des incarnations de sexe opposé.

-Tu es plus intéressant que je ne le pensais, Thauroji ! fit Chirutll. Vous avez une idée de pourquoi cette anomalie s'est déroulée ?

-C'est ce que je cherche à savoir. Pour le moment, une seule hypothèse est plausible, et elle a un lien avec la mère spirituelle de M. Voltar : je veux parler évidemment de Célestia, la déesse de la Bonté. Cependant...

-Cependant ? je répétai.

-Cependant, cette théorie n'est pas complètement valide. Aurelia, votre soeur, n'a pas la même anomalie que vous. Elle est restée au 2ème siècle après Jésus-Christ durant chacune de ses incarnations. Elle a même vécu à vos côtés, dans le monde des Dieux. Mais rassurez-vous, vous n'êtes pas le seul cas particulier ! Il y en a un autre...

-Un autre dont les incarnations diffèrent ?

-Non ! Ce spécimen-là n'a existé QUE dans Anthropia. Nous n'avons trouvé aucune trace sur ses autres incarnations. Vous savez de qui je veux parler... Il s'agit même de votre ami d'enfance.

Je m'étranglai sous la surprise. La gorge soudainement nouée, je pris le verre d'eau que l'officier m'avait donné plus tôt et le but d'une traite.

-XENTHORES ??!!?? je m'écriai, du liquide ruisselant sur mon costume.

-Lui-même ! fit le docteur Jünger comme si de rien n'était. Là, il y a une explication logique ; lors de naissance de demi-dieux ou semi-démons, l'âme de l'enfant se fracture en différentes pièces pour se répartir entre les six dimensions. Dans le cas de Xenthores, bien que l'identité de sa mère nous soit encore inconnue, nous savons qu'elle était très faible en donnant naissance. Si faible que l'esprit de l'enfant devait posséder une puissance infime... Pour cette raison, cet esprit ne put se diviser, et dut concentrer toute son énergie dans un monde aléatoire. Ce monde, c'était donc Anthropia.

-Attendez, articula Chirutll. Vous êtes en train de dire que Xenthores aurait pu s'incarner dans n'importe quelle dimension, sur n'importe quelle planète, dans n'importe quelle ville, au sein de n'importe quel couple, et pourtant il arrive juste au bon endroit pour faire copain-copain avec Thauroji ? Je ne connais pas les statistiques, mais...

-Les probabilités sont si infimes qu'on peut les considérer équivalentes à zéro, confirma Jünger. Cette rencontre ne peut pas être un hasard : l'âme de M. Sides a dû se sentir attirée par celle de M. Voltar.

-C'était le destin... je murmurai presque inaudiblement. Y a pas d'autre moyen...

Un silence s'installa dans la pièce, si intense et subit que je crus que Chirutll et le docteur étaient capables d'entendre mes réflexions.
Les doigts carapacés de l'Alterrien se refermèrent sur une sorte d'appareil de stockage de données qui était apparu plus tôt sur le bureau. Il l'observa ―en tout cas, c'était ce qu'il semblait faire, puisqu'on aurait presque pu croire qu'il réfléchissait à la manière d'avaler l'objet― avant de le dématérialiser dans son Inventaire technomagique.
"Télécharger des données..." je pensai. "C'est bien pratique... Je devrais probablement emporter toutes les informations disponibles sur mes autres vies. Peut-être que ça me sera utile..."

Alors que j'initiai la procédure de téléchargement, le scientifique reprit :

-Quoi qu'il en soit, reprit le membre de la Fondation SCP (pendant que j'initiai la procédure de téléchargement), n'oubliez pas que nous avons un casier à votre nom, M. Voltar. Je ne crois pas que vous soyez une menace, mais vous restez une anomalie, à l'échelle multi-dimensionnelle. Vous pourriez potentiellement montrer certains comportements imprévisibles. Je suis là pour vous avertir ; si de tels comportements s'annoncent et se montrent dangereux pour la population, ce sera notre devoir de vous neutraliser. Ensuite, j'imagine que vous savez ce qu'on pourrait vous faire...

-On m'enfermera dans une cellule de laquelle je ne peux m'échapper et vous ferez des batteries de tests sur moi ?

-Précisément. Mais ne vous en faites pas, dit-il d'un sourire mitigé, je suis certain que tout ira bien. J'ai plus d'inquiétudes en ce qui concerne M. Xenthore Sides... et particulièrement pour votre autre ami, Atherach Frostbane.

-Nous avons déjà la situation en main, assura Chirutll.

-En êtes-vous sûrs ?

Un silence profond s'installa dans l'alcôve. Seul le léger vrombissement des machines restait audible. Au fond, c'était vrai... Chaque jour nous rapprochait toujours un peu plus de notre rencontre avec une démone du Génocide. Et à notre tête, moi, Xenthores et Witz, avec le même but : sauver l'âme de notre ami. Mais plus on progressait, plus je me disais que cette cause était perdue d'avance... Nous avions vu la puissance de la Démone du Génocide juste à l'instant ; autrefois, elle arrivait à résister à un véritable barrage de tirs énergétiques... Et encore, elle n'était pas aussi puissante qu'au moment de notre quête... Désormais, elle était même capable de réduire en poussière des villes entières. Comment pouvions-nous prétendre être capables de neutraliser un monstre du genre ?
Ces réflexions dans la tête, je pris l'appareil de stockage informatique qui était apparu sur le bureau, contenant toutes les informations recelées sur mes autres vies.

-C'est tout pour moi, annonça le chercheur. Si vous avez des questions, je peux encore y répondre.

-Des questions ? Chirutll répéta. Ah, oui, Thauroji en a une !

-Ah, euh... Moi ? je fis, confus, sortant d'une espèce de transe. Laquelle ? AH, OUI, BIEN SÛR ! Mr. Jünger, je crois avoir rencontré un SCP mais nous ne savons pas lequel.

-J'ai une vaste connaissance des entités sous notre surveillance, assura le scientifique. Décrivez-moi son physique et ses aptitudes si vous en avez été témoin, et je saurai probablement vous le définir.

-Son physique ? Je ne sais pas vraiment, ses traits étaient flous et je ne l'entendais pas bien... Mais ce que je voyais clairement, c'était son costume gris, son air mystérieux et son chapeau melon. Je l'ai vu en rêve, et il m'a tendu un morceau de papier sur lequel était le symbole de la Fondation. Alexandra Nightfire a théorisé qu'il s'agit d'un oniropathe...

Dès que j'eus prononcé "chapeau melon", l'homme me regarda comme si j'étais le messie... J'exagère peut-être un peu, mais c'est l'expression que ça m'a fait.

-...quoi ? je m'enquis après un silence conséquent.

-C'est... C'est SCP-990, alias "l'Homme des Rêves"... Une entité de classe KETER-NEDOLOCEN qui a disparu peu avant la Révolte des Exanthropes... Pendant des millénaires, personne n'en a plus jamais entendu parler, et là, maintenant, vous m'affirmez qu'il a refait surface ??!!??

-Apparemment oui... Vous en parlez comme s'il s'agissait de la meilleure chose qu'il soit arrivée dans la Fondation !

-Pas la meilleure, évidemment, fit Jünger. Mais vous ne vous en rendez pas compte... Cet homme était notre espion, notre oracle : un homme capable de déjouer n'importe quel complots, où qu'ils se trouvent. Grâce à lui, des dizaines, des centaines de scénario de fins du monde ont été évités ! Nous avons dû mettre les bouchées doubles depuis qu'on a perdu contact avec lui. Dites-moi, que vous a-t-il dit ?

-Je ne sais pas, je comprenais à peu près le tiers de ses syllabes. C'était comme s'il me parlait à travers un mur d'eau... Mais vu son sérieux, il devait s'agir de quelque chose de la plus haute importance.

-Dommage... dit-il, dépité, avant d'afficher un large sourire. Ce n'est pas grave. Quand les autres chercheurs, à la Fondation, vont apprendre cela, ça va faire un boum ! Pourquoi donc a-t-il disparu pendant tout ce temps ? J'ai hâte de creuser la question... Ce sera tout ? Avez-vous d'autres questions ?

-...Pas vraiment, je crois, fit Chirutll. Mais merci de nous avoir consacré de votre temps.

-Oh, je vous en prie, ce n'est rien ! dit-il en nous tendant deux appareils ornés du symbole de la Fondation. Si vous avez d'autres questions, voilà de quoi me contacter.

J'ai pris les deux appareils et en donnai un à Chirutll. Le temps que je me retourne, l'homme aux cheveux rouges était déjà en train de sortir de la pièce. A travers le cadre de la porte coulissante, l'officier de police nous jetait un regard pour s'assurer de notre sécurité.

-Allons-y, fit Chirutll. Nous avons tout ce que nous recherchions. Nous avons les informations de notre équipe, les informations sur tes autres vies, celles sur Thana-5, sur les technologies que nous recherchions, l'Homme des Rêves et surtout les enregistrements concernant Chara. Tu as besoin d'autre chose ?

-Non, je ne pense pas...

-Super, alors on y va. On doit rejoindre l'équipe sur Ataraxia le plus vite possible.

Le retour ne m'a pas semblé moins intéressant. La taille et la technique de cette structure avait le don de m'épater, où que je regarde. Mais plus nous avancions vers la sortie, plus nous croisions de gens... Et là, soit les gens avaient été avertis de ma présence, soit ils s'étaient tous passé le mot pour me faire péter une case : l'officier devait parfois recourir à la violence pour empêcher une agglomération de se former autour de moi.
Dans l'ascenseur gravitationnel, j'étais entouré d'une véritable nuées de gens, qui tentaient de me serrer la main, répandaient des rumeurs à mon sujet, ou venaient juste pour m'observer... Je n'eus pas vraiment de gêne à les observer en retour, tandis que nous nous élevions vers le rez-de-chaussée de la Tour de Centralis... et je remarquai quelque chose d'étonnant : POURQUOI étaient-ils tous aussi... grands ? Je me qualifiais toujours comme quelqu'un de grand, dans Anthropia. Chirutll faisait à peu près ma taille, mais tous ceux qui m'entouraient à ce moment même semblaient me dépasser d'au moins dix centimètres... Surtout l'officier, qui était plus grand de bien une tête et demi... Je me sentais petit, dans toute cette foule, un sentiment que je n'éprouvais jamais dans mon monde originel. Et à bien y réfléchir, j'avais éprouvé cette sensation bien des fois depuis mon arrivée... Le commissaire Kevher, les YPSO (surtout C1-N37, leur machine de guerre), ma mère, Miku, Ametara, la plupart des professeurs de l'Académie et même l'Ancien étaient en général plus grands que moi. Etait-ce dû à l'évolution ? Au fond, entre mon époque et celle de Revaltia, il s'était écoulé au bas mot trois millénaires...

A la sortie de la Base de Données, les choses ne s'atténuèrent pas vraiment. Au contraire, elles ne firent que s'empirer... C'était une incontestable armada de mâles, de femelles et d'enfants de toutes races, comptant un certain nombre de journalistes, qui se ruèrent tous d'un seul homme pour m'approcher. L'officier dût sortir son arme pour les intimider, mais ce ne fut pas suffisant...

-Vous voulez un peu de solitude ? une voix, gueularde pour surpasser le caquetage de la populace, se fit entendre sur ma gauche. Prenez ma main !

Je me tournai pour trouver un homme aux cheveux noirs, drapés dans des vêtements somptueux.

-ARRIERE ! hurla l'officier au personnage. Monsieur Voltar, ne faites confiance à personne !

Le personnage, bousculé de partout, parvint à sortir un papier de sa poche et à le montrer au policier. Pas de bol, ce papier était aussi visible par les individus autour de nous. Si certains continuèrent à me témoigner BEAUCOUP TROP d'attention, celle d'autres se focalisa sur l'homme.

-Nouveau plan, Monsieur Voltar ! hurla l'Officier, dont la voix dominait les autres de trois décibels. Faites ce qu'il demande !

Moi et Chirutll avons prit la main de l'inconnu sans plus hésiter. Ce dernier activa un appareil de son autre main, qui provoqua un flash immense... Tout à coup, tout devint silencieux. Lorsque j'ouvris les yeux, nous étions à présent dans un salon luxueux aux proportions gigantesques. L'officier n'était plus là, mais bien l'inconnu qui nous avait sauvé de la foule.

Ce dernier prit son collier, par lequel était accrochée une petite machine... Il la manipula un instant, avant que son apparence ne change du tout au tout. Ses cheveux restaient noirs, mais il paraissait plus grand et fort, son visage plus noble, ses vêtements toujours aussi somptueux mais de couleur différente... Il portait des habits noir et bleu ornés du symbole d'Ampéria, ainsi qu'une cape légère, des épaulières métalliques et... Est-ce que je discernai bien un exosquelette et des armes diverses dissimulées sous les coutures, le temps d'un instant, alors que l'homme réarrangait son costume ?

-Bienvenue ! Je me présente... Je suis...

-Le Prince Brandon Frakt, le devança Chirutll. Beau-fils de l'Impératrice actuelle, enfant aîné de l'Empereur, et héritier du trône.

-Bravo ! fit le prince en croisant mon regard stupéfait. Alterrien, veuillez quitter la pièce, je vous prie. J'aimerais discuter en privé avec M. Voltar.

Je me crispai le temps d'un instant. J'aurais aimé qu'on ne m'assène pas des formalités à chaque minute...

En ce qui concerne les ordres du Prince, qu'aurions-nous pu faire ? Obéissant à la demande, Chirutll sortit de la pièce, visiblement irrité, et je m'enfonçai dans le canapé flottant qui s'offrait à moi. Nom de Zeus... C'était bien un siège digne de recevoir des fesses impériales... Si luxueux, et surtout si confortable !
Installé sur le mur devant moi, un hologramme affichait, telle une peinture, une image qui ressemblait clairement à une photo officielle de famille, avec les deux parents au-dessus et leurs trois enfants devant eux. A gauche, une femme aux airs hagards les côtoyait, et, chose étonnante, elle me donnait l'impression de ne pas être à sa place dans ce tableau...

-Je vais être direct, mon cher, annonça le Prince en s'avançant vers l'hologramme. Êtes-vous au courant des affaires de l'Empire ?

-Quoi ? Vous... Vous me traitez d'espion ?

-Bien sûr que non. Je vous demandais si vous aviez quelque connaissances concernant notre situation politique.

-Euh... Non, je n'en connais rien. Je crois avoir entendu que l'Impératrice actuelle n'était pas très aimée...

-Fostri, ma belle-mère, précisa le Prince en pointant la femme hagarde sur la photo. En effet, personne ne l'aime beaucoup... Et pourtant, elle était très prometteuse ! En réalité, elle a été forcée à monter sur le trône. Et vous savez pourquoi ?

-Pas du tout, monsieur...

-Les YPSO sont passées par là, voilà pourquoi. Il y a six ans, le palais de mon père a été attaqué par N1-V01 et ses disciples, de tous les flancs à la fois. Le Champion d'Ampéria lui-même, un Alterrien d'une puissance incroyable, ne put rien faire contre cela... Hors l'armée de ces fanatiques Exanthropes, s'était joints aux YPSO des cohortes d'Ents, tous les prisonniers du palais et une légion de la Secte de l'Oeil. Nos gardes ont été impuissants... Lorsque l'attaque fut finie, ma mère fut retrouvée découpée en morceaux et mon père immobile dans la salle du trône.

-Sincères condoléances...

-Je ne veux pas de vos condoléances. Je veux que vous m'écoutiez. Mon père est vivant, mais a été injecté d'un poison qui l'a réduit à l'état de légume. Cela fait six ans qu'il est alité, incapable de se réveiller, incapable de penser. On a tout fait pour le soigner ou le tuer d'une mort naturelle et mettre fin à ses souffrances. Mais tout ce que nous pouvions faire, c'était arrêter de le nourrir... Or, ce poison qu'il a dans les veines, il parvient par je ne sais quel miracle arcanique à continuer à l'insuffler tous les nutriments nécessaires à sa survie. Et cela pose un énorme problème...

-Lequel ?

-les Empereurs sont extrêmement influents, et risquent de subir les colères de la populace à chaque décision qu'ils font. Pour réduire les risques de se faire assassiner, des malédictions ont été posées sur chacun d'eux. Si un Empereur meurt d'une main autre que la sienne, tous ceux qui ont comploté contre sa mort sont destinés à subir la souffrance éternelle... Une malédiction que même les fous ne seraient pas prêts à subir. Et un Empereur ne peut être destitué de son trône aussi facilement.
Un Empereur peut abdiquer ou refuser le trône, mais jamais sans son consentement. Et si on ne peut pas le tuer sans être maudit, et qu'on ne peut pas élire un nouvel Empereur si le trône est déjà occupé...
La décision fut prise rapidement. Tout ce que nous pouvions faire, c'était marier mon père de force à une femme, qui deviendrait la nouvelle Impératrice. Et cette femme, elle dut être choisie par un vote... Le choix se porta sur Fostri, la meilleure scientifique d'Ampéria, qui avait déjà prouvé son talent de leadership en dirigeant des laboratoires gigantesques à elle seule. Cette femme avait même le soutien de Vincia, la divinité de notre empire, l'incarnation de la Science... Ne semble-t-elle pas une bonne candidate pour le poste ?

-Euh... Oui, je crois...

-Mauvaise réponse. Après son élection, l'Empire s'était trouvé sans dirigeant depuis un bon bout de temps. Nous ne parlons pas que de la Terre, nous parlons ici de milliers de planètes, artificielles ou non, colonisées par les Ampériens ! Et cette chère Fostri a découvert à son insu qu'elle était bien plus à l'aise dans un laboratoire qu'à la tête de centaines de galaxies.
La tâche de l'Empereur est de surveiller chaque planète, chaque continent, chaque district en sa possession... C'est lui qui propose les lois et réformes majeures, qui dirige les opérations militaires et surtout qui surveille les magistrats pour éviter à l'Empire de sombrer dans la corruption.

-Un rôle assez conséquent...

-Je suis d'accord. Mais voilà ; après tant de temps sans dirigeant, l'Empire s'effondrait sur lui-même. Sans superviseur, certains magistrats arrivèrent à détourner des fonds en passant sous les radars, les affaires majeures nécessitaient une grande attention et l'on observait une grande recrudescence des mouvements ennemis. Fostri a dû donner le meilleur d'elle-même pour empêcher la corruption de trop se propager, les affaires impériales de s'aggraver, et les attaques d'organisations comme la Secte de l'Œil de causer toujours plus de problèmes.

Il marqua une pause dans son discours. Il en profita pour demander un verre d'eau, qui lui fut littéralement délivré par un robot sur un plateau d'argent.

-De tout le peuple, une infime fraction saurait reprendre ces choses en main. Seulement, la plupart d'entre eux préférerait aller dans les mines d'Antimatière plutôt que de s'occuper d'affaires aussi importantes. Et les autres, s'il y en a, ne se démarquent pas, restent invisibles aux yeux du monde. Ce que nous devons faire, c'est trouver un remplacement à Fostri... Et pas forcément une femme, les hommes peuvent convenir aussi, à condition qu'ils consentent à épouser l'Empereur.
Mais qui, qui serait assez compétent et courageux pour ce genre de rôle ?

Son regard se porta sur le jeune homme blond au centre du cadre.

-Sibband, mon frère. Enfin... Mon demi-frère. Un enfant illégitime de mon père, conçu avec une péripatéticienne elfe. Mon père se jura, à sa naissance, qu'il l'élèverait comme un héritier du trône... L'expérience ne fut pas concluante. Peut-être que Sibband aurait été un bon Empereur, si seulement il n'avait pas cet ego surdimensionné... Il avait des drapeaux et des tanks portant son visage, et passait sa journée à ne rien faire, accompagné par ses gardes du corps. Lorsque mon père en eut assez, il l'envoya lui et son précieux Tank en tant que diplomate sur Arcania. Depuis, certaines nouvelles l'ont définitivement écarté du trône... On le soupçonne avoir collaboré dans la destruction d'un de nos vaisseau-planète, et nos espions sur Arcania nous ont prétendu qu'il a fait construire une villa chez nos ennemis, où il se la coule douce en se faisant passer pour quelqu'un d'autre.

Le prince pointa ensuite la fille, sur la droite. L'Empereur posait ses mains sur ses épaules, comme un signe d'affection et d'encouragement.

-Elodie, la cadette. Une impératrice-née. Depuis son enfance, elle avait cette assurance qui impressionnait tout le monde... Elle arrivait sans aucune difficulté à faire taire Sibband lorsqu'il se montrait trop bavard. Sa volonté, son intelligence étaient telles que son arrivée sur le trône n'étonnait personne. Mais elle était une adolescente insouciante, trop insouciante... Un jour, elle se décida à faire un tour en ville sans aucun dispositif de camouflage ni gardes du corps. Des criminels Exanthropes l'ont repérée et l'ont enlevée. Elle s'est défendue, mais n'a réussi qu'à se faire blesser gravement... Une de ses jambes, un de ses bras découpés, un oeil atomisé, et même une partie de son cerveau parti en fumée... Comme ils espéraient une demande de rançon, ils se devaient de la maintenir en vie et ont dû remplacer ses membres perdus par des attributs robotiques, et même son cerveau a été réparé.
Ces Exanthropes... Réparer ma sœur a été leur pire erreur. A son réveil, elle a été victime d'un accès de rage et les a tous exterminés.

-Charmant... je dis pour combler le silence qui s'était installé.

-Je dois dire, même s'ils ont réparé ma sœur comme des cochons, aujourd'hui grâce à des ingénieurs de renom elle n'a plus aucune séquelle ! Si ce n'est qu'elle souffre d'un traumatisme profond et ne peut pas résister à l'envie de tuer lorsqu'elle voit un Exanthrope. Ce trouble a grandement affecté son accès au trône...

Il s'écarta du tableau pour s'asseoir en face de moi.

-Et puis il y a moi. Au vu de ce qui s'est passé avec Sibband et Elodie, je suis de toute ma fratrie le plus éligible. Cela ne signifie malheureusement toujours pas que le peuple m'apprécie. Je peux juste aider ma belle-mère à gérer les affaires militaires, et encore, je ne peux entreprendre des opérations majeures sans son accord. Je reste doué dans les domaines de la stratégie, et j'ai aussi été élevé dans le but de succéder à mon père, ce qui ferait de moi le candidat parfait au trône, si seulement le peuple ne m'empêchait pas d'y accéder. Mais...

Il se leva pour s'approcher de moi. Je me sentis obligé de me lever à mon tour, néanmoins il me dominait d'une tête de haut et me fichait la trouille.

-Mais si il y avait quelqu'un d'autre ?

-Que... Qu'est-ce que vous voulez dire ?

Le Prince me tourna le dos et alla observer la photo de la famille impériale de plus près. A travers les couloirs, on entendit une porte s'ouvrir et se refermer...

-... Avez-vous l'étoffe d'un Empereur, monsieur Voltar ? lâcha-t-il sans bouger son regard de l'hologramme.

Je m'étranglai.

-MOI ??? Attendez... Tous ces discours... Vous voulez que MOI, je succède à votre père ?!?

-Non, je ne le souhaite pas tellement. Mais répondez à ma question : voudriez-vous régner sur Ampéria ?

Je reculai doucement vers le fond de la salle... Cet homme avait bien le regard de quelqu'un qui serait prêt à tuer père et mère pour une couronne sur la tête. Et juste après m'avoir annoncé son rôle important dans l'armée, il me demande si je veux prendre sa place ?!?

-Ne vous méprenez pas, fit-il en voyant mon attitude. Je ne cherche pas à vous tuer, cela ruinerait ma réputation. Je cherche à déterminer si je peux voir en vous un rival... Ah ! Je vois votre regard affolé, qui hurle d'incompréhension "Mais pourquoi moi ?" ! C'est bien simple, pourtant ; vous avez le vote du peuple, Thauroji. Tout le monde vous connaît sous l'identité de l'Empereur Fantôme. Vous étiez un homme brillant, qui aurait peut-être mené le peuple à la fin de la Révolte des Exanthropes avec bien plus d'efficacité que ce traître d'Aegim 1er.

-JE NE SUIS PAS CET HOMME ! Je n'ai RIEN à voir avec l'Empereur Fantôme !

-J'en suis conscient. Au fond, vous êtes SCP-955-Rv, aucune de vos incarnations ne se ressemblent. Alors, quel est le niveau de compétence du Thauroji Voltar qui se trouve devant moi ? Allez, répondez.

-Je... Je suis distrait, paresseux, faible d'esprit, incapable de faire des sacrifices et sensible à l'avis public... Rien en moi ne peut servir à faire un dirigeant, sinon mon intelligence. JE REFUSE !

-C'est bien ce que je pensais... Je prendrai les mesures nécessaires pour enlever votre nom de la liste de votes, je vous le promet.

-Ce... C'est tout ?

-Bien sûr, qu'est-ce que vous croyiez ? dit-il pendant que la porte du fond s'ouvrit, laissant Chirutll entrer. je ne suis pas un monstre. Et en tant que responsable de certaines affaires Ampériennes, laissez-moi honorer le pacte avec Ataraxia en vous fournissant le support financier nécessaire à la destruction de Chara. Que voulez-vous ? Des matériaux, de l'argent, une armée ?

-Nous n'aurons besoin de rien de votre part, merci, protesta Chirutll. Mais merci de votre aide. Nous aimerions avoir un moyen de vous contacter en cas de besoin, et ce serait parfait si vous pouviez nous déposer sur le sol Ataraxien.

-Cela va de soi, fit le prince en nous tendant sa carte magnétique ―la même machine que le scientifique de la SCP nous avait passé plus tôt―. Je vais appeler un robot qui vous téléportera au centre LUMEN le plus proche, où vous pourrez rejoindre Ataraxia. Tous vos frais de transport seront couverts.

En moins de temps qu'on puisse le dire, nous nous trouvions entre les murs d'Omen, la capitale Ataraxienne... Je ne voyais encore rien de cette cité magnifique, puisque nous nous trouvions toujours dans les bâtiments de la société de téléportation, mais... Enfin. Enfin, je pouvais me balader parmi les gens sans attirer aucun regard.
Pourquoi... Pourquoi, pourquoi, pourquoi... Tant d'attentions... Ce peuple acharné, mes dossiers dans la fondation SCP, la rencontre avec le Prince lui-même... J'ai entendu des passants crier mon nom, appris que mon âme était unique parmi des trillions, reçu des menaces de la Famille Impériale Ampérienne...

Une larme tomba sur les pavés aussi blancs et lisses qu'un pré enneigé, et je tombai sur les genoux.

-ça va, Thauroji ? s'inquiéta mon ami d'une autre planète en me tendant son tentacule.

-J'en peux plus, reniflai-je. C'est trop pour moi en une seule journée... Je veux pas qu'on me considère comme le fils d'une déesse, ni un cas à part et encore moins un Empereur...

-Je te comprends. Mais qu'est-ce qu'on peut y faire ! allez, viens, prend ma main.

Remué par quelques sanglots, j'attrapai la pince qui se présentait à moi. Il y eut un flash, et quand j'ouvris les yeux, je libérai entièrement mes émotions et pleurai à chaudes larmes.

Enfin seul... Enfin, je pouvais me lâcher... Je n'aurais pas cru que le Bunker X aurait autant été une source de confort pour moi.

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