Trou noir 1/

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Mes yeux sont lourds. La lumière qui filtre à peine, à travers mes paupières entrouvertes, m’éblouie. Plus je force pour ouvrir mes yeux plus j’ai l’impression que je n’y arriverai jamais. Pourquoi cette simple chose normalement si facile est impossible. Je lutte, je lutte, mais rien n’y fait, j’ai l’impression de n’avoir plus aucune force. J’ai envie de bouger et mon corps aussi est complètement inerte et pesant.

Une porte claque et mes yeux, enfin, s’écarquillent. Je suis dans une chambre baignée par le soleil, dans la position de l’étoile, mes yeux fixant le plafond blanc qui semble bouger au rythme de mes battements de cœur. Il frappe si fort dans ma poitrine que je sens mes tempes sur le point d’exploser. Au fur et à mesure que je reprends mes esprits, je commence mon inspection visuelle, sans bouger ma tête qui me fait horriblement mal. Le peu que je peux voir dans ces conditions ne me dit rien. Les affiches sur les murs de groupes de Heavy metal, les étagères remplies de livres, le cerisier à fleur derrière la fenêtre qui ondule devant ce ciel bleu magnifique. Un instant, je le regarde m’envoûter et me ramener à mon enfance quand, allongé sur le dos, dans le jardin de ma grand-mère, je m’évadais dans mes pensées pour oublier les disputes incessantes de mes parents.

Et même si ce souvenir me revient, je prends conscience que mon prénom lui m’échappe. Et j’ai si peu de certitude. Je suis un homme, oui, je suis un homme. Jeune, je crois. Ce qui se trouve sous la couette, en érection matinale me le confirme. Un visage presque flou m’apparaît. Brun les cheveux suffisamment longs pour laisser des boucles se former sur ma tête, les yeux bleus marine et un visage presque féminin tant il est délicat et élégant.

Sur l’un des murs se trouve un miroir et j’ai presque peur de me lever pour découvrir que je me trompe sur mon identité. Mais il faut bien que j’en aie le cœur net.

Assis maintenant sur le bord du lit laissant le sang dans ma tête se calmer, je respire profondément avant de me lever et de me diriger vers mon reflet. Je le reconnais immédiatement, même si mes cheveux sont très courts. Mon corps est musclé, mais plutôt fin, même si, comme pour mes boucles, cela ne correspond pas tout à fait à ma mémoire.

Mikaël, je m’appelle Mikaël, avec seulement un K, car mon père, cet idiot, comme disait ma mère, ne savait pas l’écrire quand il est allé faire la déclaration en maire. J’ai ce flash sur mon prénom qui m’arrive comme un éternuement violent et incontrôlable.

Au-delà de mon identité et de ces quelques bribes de vie, je ne sais même pas quel jour nous sommes. Je continue mon inspection visuelle et découvre sur le sol des vêtements éparpillés. Les miens de toute évidence, car je suis nu comme ver, mais aussi ceux d’une femme. Enfin, je le suppose à la lingerie en dentelle rouge. Je prends mon boxer et le passe et en fait de même avec mon jean. Je trouve une jupe noire, courte et sûrement moulante, de l’autre côté du lit.

De nouveaux souvenirs m’apparaissent au fur et à mesure de mon inspection. Marie et Thierry mes parents, Alexis mon petit frère du genre premier de la classe, pas du tout comme moi qui passait tous mes mercredis en colle pour m'être battu avec mes camarades. Je repense à cet adjudant-chef qui m’avait appris à canaliser mes pulsions au club de judo de la petite ville où j’habitais enfant. C’est lui d’ailleurs qui m’avait donné l’envie de devenir militaire dès mes dix-huit ans.

C’est ça, je m’appelle Mikaël et je suis militaire.

Je souris bêtement en repensant à celui que j’étais enfant, et qui était l’opposé de celui que j’étais devenu grâce à l’armée. Rigoureux, respectueux, posé, sérieux, très sérieux, ne buvant pas la moindre goutte d’alcool et ne sortant pratiquement jamais, à part pour faire du sport.

Enfin, peut-être pas si sérieux… Je suis là, dans ce lieu inconnu, attendant que ma mémoire daigne me revenir.

Dans l’appartement ou la maison, j’entends du bruit, mais j’ai peur de sortir et de tomber nez à nez avec des étrangers. Que vais-je faire pour me sortir de ce pétrin ? J’espère bêtement qu’en me concentrant vraiment un miracle vienne me délivrer de cette impasse. Mais à part continuer à m’habiller, je n’ai pas vraiment d’éclair de génie.

J’attrape mon pull et le passe, quand une forte odeur d’alcool, me transporte dans un bar ou plutôt une boite de nuit, avec beaucoup de monde. J’ai un shot à la main et l’avale d’une traite, mais il n’est pas mon premier, je le sais. La tête me tourne. Je sais que c’est une mauvaise idée, mais j’ai l’intime conviction que je dois l’impressionner. Mais qui dois-je impressionner ? Je sens, au bout de mes doigts, tous ses verres que je porte à ma bouche, quand je suis de nouveau projeté dans un bar ou une fille au visage flou me regarde et me remercie. J’entends cette voix dans ma tête « Franchement ce n’était pas nécessaire, tu n’as renversé que quelques gouttes ». Mes mains tremblent et mon cœur va exploser dans ma poitrine. Comme je n’arrive pas à parler, je porte le verre à mes lèvres et bois pour la première fois de ma vie de l’alcool. Je ne montre pas mon étonnement, je sais que je veux qu’elle ne me prenne pas pour un cul-coincé. Mais qui… Bon sang qui est cette fille en face de moi ?

Le retour dans la chambre est presque violent et me fait asseoir sur le lit. Je ressens encore dans ma poitrine ce martèlement . Mais au fond, il n’est pas vraiment désagréable, il est plutôt comme cette sensation après un fou rire… Du bonheur à l’état brut, comme si je m’éveillais d’un profond sommeil.

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