Le fou qui marche nu

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Je suis un fou.

Cela n’étonnera personne, me direz-vous, car ne le sommes-nous pas tous ?

Or, depuis quelques temps, je ne marche plus droit. Rien de plus normal pour un fou.

Seuls les pions ne dérogent jamais de leur ligne !

Sur ma route, je retire de vils oripeaux, cousus de doutes, de peur, de sombre pour qu’Il ne reste que moi.

Nu.

L’avancée est belle, fluide, évidente. Elle déconcerte, interpelle, choque parfois.

Mais je reste nu. Et fou.

Les voix tristes résonnent, tournent, se fondent dans le lointain à mesure que mon pas gagne en vigueur.

C’est alors que sur le chemin se dessine des pauvres âmes en peine, portant une massive penderie sur leur dos vouté par l’épreuve.

Elles me hèlent, je m’arrête et me saisis bien volontiers de leur fardeau, le temps qu’elle prenne un brin de repos.

Et quelques guenilles tombent à terre.

Je me baisse, m’en empare, et les pose sur mes épaules afin d’épargner leurs propriétaires déjà trop affligés.

— Ce chandail te va si bien. Je te l’offre !

Un présent ne se refuse pas venant d’un être dont le cœur ne demande qu’à se nourrir.

Alors je prends. Je souris, je porte.

— Tu dois avoir froid aux pieds ! Prends donc ma seconde chaussette.

Un pan couvert, l’autre non, je reprends ma pénible avancée, ralenti par cette diable de garde-robe.

A mes côtés, les âmes blessées dansent et flattent notre nouvelle gémélité.

Et je sens que devenir un au lieu de nous, les rassure. Comment les en blâmer ?

— Ton nez coule ! Mets donc ce bonnet, cette écharpe ! Être nu ne va à personne !

Oui, peut-être. Je doute, je m’affaisse, je m’étouffe mais ne pipe mot.

— Allons à droite ! Ou à gauche ! Et si nous marchions droit ? Qu’en dises les autres ?

Je vacille, le pas ralentit. Mon épuisement se fait écho aux leurs. Mes pensées confuses.

— Habillé de pied en cap, te voilà comme nous ! Voilà la marche à suivre quand on ne veut plus être fou ! L’union fait la force !

— Ne peut-elle faire la farce ? A quoi bon rester ainsi vêtu, alors que le soleil brille si fort ?

— Il pourrait te brûler, car il me brûle !

— On pourrait en jaser, car on médit sur moi !

— Et si tu te plantais une épine dans le pied ? Regarde, cela m’est jadis arrivé !

Et les voix tournent, flottent, me perdent.

Le fou en moi se fane, à force de porter cette lourde penderie, d’où choient toujours plus de tissus mités.

Et voilà qu’à l’horizon m’apparait un autre fou, nu comme un nourrisson qui vient de voir le jour.

Il me sourit, je rosis. Nos regards se croisent, se reconnaissent, nos cœurs s’enlacent pour mieux s’embraser d'une fougue inédite.

Une main ferme tente de me retenir sur le droit chemin, je la repousse.

Je tourne alors la tête, et aperçois mon reflet dans le miroir de la penderie.

Horreur, me voilà devenu un amas d’habits.

Je m’en plains, on me raille. A quoi bon vouloir exister en dehors de l’apparence dont on nous afflige ?

D’un geste rageur, j’abandonne le meuble lourd sur le rebord du chemin, et retire un à un ces maudites frusques qui ne sont en rien les miennes.

Il ne reste alors que moi. De nouveau moi. Pleinement moi.

Avec hardiesse, l’autre fou s’approche et me tends la main. Je la saisis, non sans émoi.

D'un bond enjoué, il m’entraine vers ce soleil dont il est à craindre qu’il me calcine de son ardeur.

Mais à chaque pas, je le sens me réchauffer.

Et dans un même élan, nous courrons de travers, comme deux véritables fous, vers un demain où il ne sera besoin que d’être nous.

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