16. Adieux

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 Suite aux derniers évènements, le sommeil l'avait fui. Ses choix le tourmentaient, mais sa voix ne cessait de lui rappeler ses obligations. Il préféra sortir à l'aube, déambulant dans les ruelles. Foulant les pavés irréguliers de la cité, la nostalgie le gagnait, chaque façade lui rappelait un souvenir. Les marchands ambulants installaient déjà leurs échoppes. Instinctivement, il s'était retrouvé devant les ruines du Fou du Roi. Arsen s'assit sur le perron d'en face. Il n'avait que très peu de temps pour se renseigner sur la cause qui avait amené à ce désastre. Bientôt, les autres quitteraient la Sirène Endormie sans se soucier de sa présence ou non. Et il ne pouvait demander au voisinage sans risquer de se faire reconnaître par d'ancienne connaissance... En se dépêchant, il pourrait rejoindre la place du marché pour mener une courte investigation et rejoindre ses compagnons.

La porte derrière lui s'ouvrit brusquement.

« C'est bien ma chance ! Encore un ivrogne qui cuve sur mon perron. Allez ouste! Ou tu vas tâter du bâton !

Arsen se redressa faisant face à son interlocuteur.

– Excusez-moi ... Je ne pensais pas déranger. Il ne reconnut pas le voisin du Fou du Roi. Vous êtes nouveau dans le voisinage ?

– Ha ! Un colporteur... Écoute, j'ai tout ce qu'il me faut à la maison...

– Vous vous méprenez, je me demandais juste ce qu'était ce terrain. Il pointa du doigt les décombres de l'ancienne auberge.

– Il s'agit de la maison du lâche Zacharia Ortaga ! Les gens du quartier y ont mis le feu bien avant que je m'installe...

– Pourquoi et ou sont passés ses occupants ?

– Car c'était la famille d'un traître pardi ! Quant à eux, je ne sais pas ce qu'il en est advenu, morts sans doute ! Mais je me suis installé plusieurs années après les faits ! Il faudrait demander à quelqu'un d'autre… »

Il remercia distraitement l'homme, devait-il demander de plus amples informations auprès de Lorianna ? Non, cela ne ferait que confirmer ses doutes et augmenter le chagrin pour eux deux…

Pour l'instant, il devrait se contenter de ces maigres informations, le jeune barde rebroussa chemin. Devant la Sirène Endormie se trouvait le reste du groupe prêt au départ. Arsen tendit quelques cids à Ruben afin qu'il règle pour lui sa nuitée, prétextant devoir seller Nonchalante. Dans la ruelle adjacente menant à l'arrière du bâtiment, le garçon d'écurie avait pris l'initiative d'équiper la monture et finissait de poser la bride. Le traître lui déposa un sou dans la main et le félicita pour l'entretien de son cheval. Lorianna l'attendait à l'entrée de la venelle. Les traits tirés et les yeux rougis par une nuit de pleurs ou peut-être par une dispute avec son époux...

« Alors tu allais encore partir sans donner d'explication…

– Je vous assure, pour le bien de tous, oubliez cet homme. Il ne vous apportera que du chagrin…

– Comme tu voudras Zacharia Aed'el Ortaga, si tu préfères que l'on se quitte ainsi… »

Auparavant, Lorianna utilisait son nom entier seulement lorsqu'elle était énervée ou contrariée. Devait-il en passer par là pour lui faire tourner la page ?

Derrière elle, le groupe se mit en route, c'est alors que Zach la remarqua, plus loin au coin de la venelle, une petite fille les espionnait, ne laissant dépasser qu'une tête rousse du mur. Démasquée, elle sortit penaude.

« Ça va maman ? »

La fillette semblait avoir retrouvé un peu de courage. Maintenant, il se rendait compte de l'erreur d'avoir accepté le rôle de lige ! Il aurait tant aimé être le père de ce petit être. Vivre une vie auprès de Lorianna aurait dû lui suffire. Mais ses rêves de gloire avaient tronqué son bon sens, finissant à cette désastreuse situation.

« Oui, ma chérie rentre à l'intérieur je vais arriver.

– Tu as de la chance d'avoir une si jolie enfant.

– Elle aurait pu être tienne... La pique le heurta en plein coeur, mais il lui était difficile de lui en vouloir devant ce futur qui aurait pu. Un silence gêné s'installa, rompu par Lorianna.

– Je suis désolée pour ta famille... Elle confirma implicitement ce qu'il craignait depuis la veille.

La voix lui sommait de nier le lien de parenté, mais il était trop las de jouer cette comédie.

– Merci... Mais maintenant je suis le barde Arsen. »

Il avait tant changé ! Un nouveau silence attristé se fit, ni lui ni elle ne souhaitaient mettre fin à cette discussion. Préférant se complaire dans cette douleur, au lieu de se faire leurs adieux. Mais ce fut l'aubergiste qui y mit un terme. Apparaissant à la sortie de la ruelle, sa fille le tenant par la main.

« Lorianna, le travail attend…

Elle s'en alla sans un regard pour Zach. Alors qu'il dépassait le tavernier tenant par la bride sa monture, celui-ci le retint par le bras.

– Sieur, je ne sais pas qui vous êtes, mais ne réapparaisser plus devant elle, s'il vous plaît !

– C'était bien mon attention, en contre-partie prenez bien soin de votre famille, au revoir. »

Voilà, le fil était coupé... La rue principale lui semblait étroite et les passants étouffants, un poids pesait sur son coeur, mais il se hâta malgré tout de rejoindre les autres, souhaitant ainsi tourner la page au plus vite. À la sortie de Bangkhut, le flot de colporteurs et de badauds entrant et sortant de la cité créait des files, et c'est là qu'il aperçut son groupe peinant à sortir. Alors qu'il parvenait à leur hauteur, un tumulte se créait derrière lui. Lorianna, ses jupons retroussés, traversait la foule en courant, elle lui parvint suante et haletante.

« Arsen ! Tu as oublié quelque chose ! »

Il se pencha sur l'encolure de Nonchalante afin d'écouter son ancien amour. Elle l'attira vers lui, apposant ses deux mains sur son visage comme autrefois pour y déposer un baiser. Cette brève effusion suscita chez les chevaliers d'Azur des exclamations et des roucoulades. Mais elle laissa les deux amants avec des larmes de tristesse aux commissures des yeux.

« J'aurais dû te le rendre il y a bien longtemps... »

Elle dénoua de son poignet une ficelle usée par le temps et attacha les cheveux de Zach en queue de guerrier bas masquant la pointe de ses oreilles dans la masse bouclées.

« Adieu Zach... » puis elle s'en retourna dignement sans se retourner.

Quand il passa les portes de la ville, il se jura de ne plus y revenir…

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