Reconnaissance

5 minutes de lecture

Tully avait la mine des mauvais jours :

 " Tu es convaincu de faire le bon choix, l'aristo ?

 - Vous savez comme moi qu'il est nécessaire de mener cette reconnaissance. Surtout si le combat se termine dans la vallée.

 - Je n'aime pas te voir partir seul, là-haut, Mack. Voilà bien longtemps que nous n'avions pas été en désaccord ainsi.

 - Merci pour ta sollicitude, Hogarth mais je ne serai pas seul. Après la tempête d'hier soir, j'ai peur que nous ne manquions de temps.

 - C'est ensemble que nous faisons ça d'habitude.

 - Je sais. J'ai confiance en Solbakken. Et tes blessures, Tully, ne sont pas complètement guéries. Va voir la chamane pour ça et je veux que vous prépariez les hommes pour le combat. Et je voudrais que vous enquêtiez un peu sur le prêtre.

 - Tu le soupçonnes ? 

Et si les choses partent en vrille ici ?

 - Vous savez toujours faire un feu de magnésium ? De la montagne, je le verrai. Vous brûlez tout et on se retrouve à la tour de guet des Kodama. Si je ne suis pas revenu d'ici huit jours, vous vous tirez et vous rentrez à Gardenia. Et faites sanctifier vos armes. Que les démons sentent la morsure de Yuggos. "

Je commençai à m'éloigner vers ma monture quand Hogarth m'appela :

 " Graeme, je ne sais pas ce que contient la lettre que tu gardes dans ta poche. Mais tu as intérêt à mettre de l'ordre dans ton esprit avant la bataille. "

Il utilisait rarement mon prénom. L'instant était grave, il exprimait sa colère d'un ton calme et ferme comme toujours.

 " Ce sera fait. Bonne chance, les amis.

 - Une route pavée et des nuits étoilées pour toi, frère. "

Mon cœur se serra. Aussi lançai-je mon cheval à la rencontre de Solbakken, de Josko, le guide et du fils du palefrenier, Bayle qui nous accompagneraient.

La chevauchée de la matinée chassa les dernières brumes de ma courte nuit. Nous arriverions sur le plateau montagneux au soir si l'ascension se passait bien. Un refuge de berger abandonné au début des évènements nous servirait d'abri. Demain, nous laisserions les montures à la surveilance du jeune Bayle et nous nous enfoncerions dans le royaume hanté des démons. Pour rendre ces terres aux habitants de Rävgård.

Le ciel pesait lourd sur nos têtes. En partie à cause de la tempête qui avait frappé la ville dans la soirée mais surtout du poids de notre mission. Je repensai aux craintes de mes compagnons. Nous séparer ravivait de vieilles dissensions que je croyais éteintes. Hogarth avait raison à propos de mon moral en berne des dernières semaines.

La lettre de Rachel me mettait à la fois en joie et me peinait. Des promesses de lendemains heureux avec une femme belle et tendre, un enfant en chemin dans son ventre chaque jour un peu plus rond, une terre méridionale que j'avais aimée dès les premiers instants. Je n'avais aucun besoin de fermer les yeux pour revoir Rachel, ses yeux verts qui semblaient toucher mon âme quand ils se posaient sur moi, ses mains douces sur mes épaules dures, sa peau cuivrée sous le soleil, ce même astre qui donnait des reflets caramel à ses boucles brunes, ses seins laiteux que j'embrassais dans l'intimité de notre chambre. Je revoyais aussi les coteaux de son pays, ses vergers couverts de figuiers, de citronniers, d'oliviers, cette terre noire et grasse où poussaient tomates, herbes aromatiques et vignes. Autant de pensées apaisantes qui, si merveilleuses soient-elles, ne m'avaient cependant jamais permis d'oublier Akemi dans sa lointaine île des confins orientaux. Akemi dont le souvenir remplissait à chaque fois mon cœur de l'amertume du chagrin.

Aujourd'hui, pourtant, je me retrouvais ici dans ces montagnes nordiques. J'avais renoncé à une vie paisible pour poursuivre ma quête. Moi dont l'existence semblait vouée au combat, à la recherche de la reconnaissance de mon père. Pour expier mes fautes, je continuais de suivre les rumeurs les unes après les autres, à chasser les monstres et les démons à travers le monde dans l'attente d'un signe approbateur de ce souverain qui tyrannisait mon esprit. Et j'entraînais Tully et Hogarth dans mon sillage depuis toutes ces années.

Au détour d'une courbe, dans une trouée des arbres, nous aperçûmes soudain Rävgård, perdu au milieu de la lande couleur rouille. Nous mangeâmes à l'abri d'un piton rocheux notre dernier repas chaud. Là-haut, il serait proscrit de faire du feu.

Pendant l'après-midi, pour chasser les idées noires de ma matinée, je regardai le village se rétrécir et le monde s'ouvrir. Il nous dévoilait une partie de son immensité. De là, je ne distinguais plus les paysans qui s'activaient dans les champs. Je me sentais grand et puissant, presque omniscient et je comprenais le choix des démons d'occuper cette place.

Le soir tombait quand nous franchîmes le col. Le refuge était visible à la limite d'un bosquet de sapins, plus loin sur le plateau. La cabane abandonnée avait subi les outrages du temps, son toit s'affaissait en son centre mais elle suffirait pour nous accueillir cette nuit. Le gosse emmena paître les chevaux dans la prairie. Solbakken et Josko, le guide, préparèrent un repas froid. Pain, fromage, charcuterie, bière et un restant de thé préparé à midi, encore presque tiède. Je m'installai sur un rocher face à l'alpage. Un silence sépulcral régnait ici, la vie avait fui ces montagnes. Je méditai selon les préceptes que m'avait appris maître Yoshinobu dans le village d'Akemi.

Dans le ciel, couraient des bandes de nuages. Une Lune comme un sourire moqueur se levait à ma droite. Elle nimbait le crépuscule d'une lueur fantomatique. Au delà des cumulus traînards teintés de rose délicat, je reconnus les constellations de Virgo et du Chasseur.

Là, quand les ombres de la nuit devinrent épaisses, je l'entendis. À peine plus fort que le battement d'un cœur, le tambour que nous avions entendu quelques nuits plus tôt et qui hantait Rävgård jouait sa mélopée viscérale. L'étrange musique rebondissait entre les cimes. Je restais à écouter un moment puis je tendis le doigt vers l'un des pics qui surplombaient directement la vallée :

 " Lieutenant, quelle est donc cette montagne ?

 - C'est Järntanden, Capitaine. La dent de fer dans votre langue.

 - Y a-t-il des grottes là-haut ?

 - Je l'ignore mais Josko saura vous répondre. "

Demain, je ne traquerai pas, je mesurerai les forces de mon adversaire. Le combat viendrait ensuite. " Ne jamais entrer dans la danse sans connaître l'exactitude du rythme." l'un de préceptes de Delaney.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 19 versions.

Vous aimez lire Shephard69100 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0