La culotte moche 

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David avait complètement déstabilisé Loreleï avec ses théories fumeuses. Mais il l'avait cueillie alors qu'elle était fragile. Encore un mec « sympa ». Traduction : gentil jusqu'à l'éjaculation. Pourtant, ses exigences étaient minimales : on baise, on rigole. Point. Pas d'engagement.

Au début, ils étaient toujours contents. Parce qu'ils avaient juste entendu « baise ». La partie amitié, ils avaient zappé. Et quand elle rappelait que la non-exclusivité s'appliquait aussi à elle... ça ne rigolait plus du tout.

Elle ne cherchait pas le grand amour. Juste à ne pas avoir froid toutes les nuits. Et les coups d'un soir, ça demandait trop de travail. Un peu de stabilité, c'était sympa aussi. De la complicité, quoi.

Elle se demandait quel était son problème. David, lui, croyait avoir la réponse :

  • Tu es trop directe, Loreleï ! Ça fait peur, ça déstabilise. Nous, les hommes, nous sommes toujours des chasseurs !
  • Des chasseurs en vans ? Sérieux, David, avec toutes tes réflexions d'extrême gauche, tu me ressors le vieux truc des mecs qui chassent quand ils séduisent ?
  • Mais parce que c'est vrai ! Peu importe que tu cites Karl Marx pour choper. Quand il s'agit de baiser, tu deviens un droitard de base : tu as besoin de dominer.
  • Mais c'est désespérant ! Je vais finir seule !
  • Non, il faut juste que tu apprennes à jouer. Tu laisses les mecs faire le premier pas. Et arrête de coucher le premier soir !
  • Mais si j'ai envie de baiser ?
  • Et bien non. Tu laisses l'illusion de la retenue. Petite proie qui attend le chasseur. Comme ça, il prend la confiance, avant de te prendre, toi.
  • Mais je ne sais pas jouer, faire semblant. Je n'ai même jamais simulé.
  • Jamais ? Il paraît que toutes les filles le font.
  • Je ne comprends pas la logique. Si tu simules, le mec ne comprendra jamais ce qui te fait jouir. Et donc tu n'auras jamais de plaisir. La simulation, c'est inefficace. Je ne prends pas mon pied ? Je dis stop. On discute ou on arrête. Mais je ne vais pas endurer un truc pénible par politesse.
  • C'est clair. Tu n'es pas polie.
  • Non, je suis brute. Donc, ta théorie de merde... (elle marqua un temps) Je vais essayer. Tu vois, je vais faire des efforts. Je suis un être riche en contradictions.

La moue sceptique de David ne lui avait pas plu. Cependant, elle était dans une impasse. Elle pouvait bien tester une tactique validée par son pote antispéciste-pas-si-gauchiste-que-ça-finalement.

Loreleï eut une autre idée : arrêter les rencontres sur internet. Peut-être qu'elle aussi était une chasseuse ? Qu'elle cherchait la difficulté ? Une fille sur un site de rencontre, en plus à Paris ? On n'est loin du paquet de figolu dans une réunion qui s'éternise. Tout le monde se jette dessus, sans même regarder l'emballage. Elle avait fini par supprimer sa photo de profil de Meetic. Mais même sans, elle recevait toujours beaucoup de propositions.

Comme elle aimait bien les échanges virtuels, la sensation de liberté qu'ils procuraient, elle continuait à échanger sur des forums. C'était la belle époque du début des années 2000, où des communautés se créaient autour de sujets variés. Souvent, le thème du forum n'avait plus rien à voir avec les discussions.

Loreleï aimait ne plus avoir de corps, être jugée uniquement sur ses propos, son esprit. Elle partageait pour la première fois ses pensées et ses aventures sans retenue. Elle se sentait bien dans ses différentes communautés.

Le grain de sable, elle ne le vit pas vu venir. Un mec, plus jeune, qui aimait son ton cash. Qui riait de ses déboires. Pierre essayait visiblement d'attirer son attention, mais sans lourdeur.

Il lui envoya un message privé. Un acrostiche formant le mot cunnilingus. Elle rit. Elle répondit : « Merci, mais je ne fais plus de rencontre sur internet. »

Il argumenta. Que ce n'était pas un site de rencontres, que c'était comme une rencontre « en vrai ». Qu'elle lui plaisait et qu'il sentait bien que lui aussi. Et puis, qu'est-ce qu'ils risquaient ?

Ils continuèrent à échanger. Une véritable complicité s'installait. Il était fort, le fourbe.

Alors, Loreleï accepta. Il avait proposé une expo à la Maison du Japon. Il avait précisé : « entre amis... et on laisse venir ». Un ami qui envoyait un calligramme qui faisait mouiller... Loreleï était sceptique quant à sa capacité à refréner ses envies. Car même si la seule photo qu'ils avaient échangée était très banale, il y avait du potentiel.

Et Loreleï n'oubliait pas le conseil de David. « Ne pas coucher le premier soir » devint son mantra. Ayant peu confiance en ces capacités à jouer les proies, elle décida de mettre en place des garde-fous. Un : pas d'épilation du maillot. Deux : mettre une culotte moche.

Elle avait ressorti une vieille culotte qui ne prenait l'air que quand elle avait ses règles. Ancien bas de maillot de bain aux bandes vertes et rose fluo. Immontrable. Parfait.

Un jean moulant, un haut noir transparent, mais avec un débardeur en dentelle : sexy et décontractée. Parfait pour une expo « entre amis et on laisse venir ».

Devant la Maison du Japon, elle le repéra immédiatement : il venait de garer son scooter. Franchement mignon. Un brun, de la même taille qu'elle. Elle se félicita d'avoir opté pour des ballerines. Les hommes n'aiment pas souvent que les femmes soient plus grandes qu'eux. Théorie du chasseur, encore ?

Il avait les yeux aussi pétillants que ses messages le laissaient présager. La visite de l'expo se passa dans une ambiance détendue, ils avaient l'impression d'être déjà potes. Il lui proposa de venir chez lui : il avait prévu un second casque. Elle accepta, se disant que des baisers n'engageaient à rien. Que ce serait un avant-goût. Sainte Culotte Moche veillait sur elle ce soir-là.

Arrivés chez Pierre, son débardeur à elle et sa chemise à lui volèrent rapidement, laissant toute la place à leur peau. Alors qu'il glissait sa main vers les boutons du jean de Loreleï, celle-ci se redressa. Elle lui expliqua qu'elle avait prévu d'être sage. Qu'elle ne s'était pas épilée. Et qu'elle portait l'Horrible Culotte Moche. Pierre roula de rire. Du canapé sur le sol. Il se leva, toujours hilare, et partit dans une imitation de Chewbacca. Ils riaient maintenant tous les deux.

  • Franchement, je m'en fous de ton épilation. Sauf si ça te gêne et que tu te sens mal à l'aise. Et pour la culotte, j'ai plusieurs solutions : je te l'enlève avec les dents. J'ai toujours rêvé de faire ça, et je ne risque pas d'abimer ta lingerie préférée. Ou alors, je tourne le dos et tu l'enlèves. Bref, j'ai envie de toi. Avec ou sans poils.
  • Écoute, si je peux réaliser un fantasme... Je suis plutôt serviable.

Pierre fut comme ses messages le laissaient présager : imaginatif, drôle, à l'écoute. Et il maitrisait le cunni aussi bien sur peau que sur papier.

Reprenant son souffle, Loreleï pensa que, franchement, elle avait beaucoup de vertu, mais très peu de patience.

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