Chapitre 35

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35

Samedi 28 juillet 2022, 16h06

   Jon avait souvent ressenti ce genre de mal-être, cette insécurité grondante et qui par la simple force des images et du son, pouvait le prendre au tripe et lui nouer la gorge. Les doigts crispés sur le tissu de son pantalon, les dents serrées et les lèvres tremblantes, il regardait à l'écran ces images insoutenables, engendrées par les actions de ses anciens camarades, de ses plus proches amis.

Roulé en boule devant le poste de télévision, il n'entendit pas tout de suite les pas qui subtiles, se rapprochèrent avec légèreté. Il n'entendit pas non plus les interrogations de Amali, la petite nuance d'angoisse dans sa voix.

Il avait déjà ressenti ça, il le savait. Il s'en rappelait bien, il avait seulement dix ans à l'époque mais, devant son écran de télévision, entouré par les membres d'une ancienne famille d'accueil, il avait écouté le présentateur parler d'attentats multiples, de terrorisme, de dizaines de morts. Il se rappelait très bien du souffle court de sa mère d'accueil, les murmures alarmistes de son père d'accueil, les propos virulents de leur fille aînée. Et ces images... les rues de Paris secouées par la peur, les gens qui couraient en tous sens, se réfugiaient dans les restaurants, il revoyait très bien ces images.

Celles qui étaient diffusées à cet instant n'étaient pas les même, ne vantaient pas les mérites de la même idéologie, mais le constat était là : peur, affolement, morts.

— Jon.

La fermeté du ton de Iverick le tira de sa transe, le ramena brutalement à sa réalité, celle où il ne se trouvait pas à Lyon, mais à quelques dizaines de kilomètres de la métropole, celle où il se trouvait dans la maison souterraine, entouré de personnes qu'il aimait et en qui il avait confiance.

— C'est pas possible, rétorqua t-il à l'ancien caporal. C'est pas possible, ils ont pas fait ça.

— On a sous-estimé leurs intentions c'est un fait, il faut qu'on relativise, qu'on réévalue la situation et qu'on agisse car il est clair que ça... c'était un coup d'essai.

— Un ''coup d'essai'' ? répéta Amali. On parle d'un premier bilan à soixante morts, soixante.

Soixante ? songea Jon, interloqué. C'est peu, compte-tenu de l'immeuble qu'ils ont fait sauter.

Aux pensées qui traversèrent son esprit, minimisantes et abjectes, il sentit son ventre se tordre, un haut-le-cœur le secouer.

— On sait où ils sont repliés ?

— Parce que tu comptes y aller ? s'alarma le jeune homme. Amali, non ils... tu as vu ce qu'ils ont fait ? Ils ont plus de limite, c'est la merde.

— On peut pas non plus rester sans rien faire. Après tout, on savait qu'ils prévoyaient un gros truc. Sans aller jusqu'à dire qu'on est complices... on savait, et on a rien fait, répliqua Eden.

— On savait pas qu'ils comptaient faire exploser un immeuble rempli d'innocents !

Un reniflement dédaigneux s'échappa d'un Iverick amer.

— Pas si innocents que ça pour eux. Un étage de cet immeuble était réservé au siège du centre de confinement de Rhône-Alpe.

— On savait que Jelena était tarée, je veux dire, il y a trois ans elle a quand même tenté de flinguer Jon, et c'est maintenant qu'on se rend compte qu'il lui manque une case ? Et Vasco ? L'explosion c'est lui ! 

Amali indiqua à Eden de se calmer d'un geste des mains, avant de revenir à l'écran qui en boucle, diffusait encore et encore cette explosion qui en quelques minutes, avait ôtée la vie à plusieurs dizaines de personnes innocentes, sans doute à des lieux de se douter de ce qui se tramait dans les centres.

Jon déglutit, chercha du réconfort du côté de Erwan, resté muet depuis le début de leur échange, tenta de capter le regard de Eden, en vain. Son meilleur ami fixait l'écran avec fureur, la lèvre inférieure entre les dents.

— Cette explosion c'est Vasco, cracha t-il à nouveau. Lui aussi a débloqué, il est aussi éclaté que Jelena si c'est pas pire. On aurait dû l'empêcher de repartir avec Jelena. C'est elle qui le rend fou ! Il est pas encore perdu on peut...

— Eden du calme j'ai dis !

— Quoi ? Quel calme ? Amali putain, ils ont... non mais tu te rends compte ? On appelle ça du terrorisme, ni plus ni moins. C'est des... suprématistes mutants ? Sans déconner...

Quelques longues minutes, ils restèrent silencieux, les yeux rivés sur les images et les commentaires du journaliste. Il parlait de groupe de mutants récemment évadés du centre de confinement de l'agglomération, de force de frappe puissante, de message fort mais destructeur.

Selon lui, un petit groupe de trois personnes se serait introduit au rez-de-chaussé de l'immeuble, avant de causer une explosion qui en un rien de temps, avait réussi à détruire les six étages supérieurs.

— Et ils ont juste fait ça ? Pas de message, pas de revendication, que dalle ?

— J'imagine que pour eux, le message était plutôt clair ? argua Iverick.

— ''On va tous vous faire sauter, saloperies d'humains'' ?

— … ouais, j'imagine que ça doit ressembler à ça.

Jon sursauta lorsqu'enfin Eden quitta le mur auquel il était adossé pour venir s'asseoir près de lui, la tête entre les mains. Tremblant, les yeux rivés sur ses chaussettes, Jon devinait qu'il était plus angoissé que furieux, bien que ces deux sentiments se mêlent dans les respirations de Eden.

— Ton cœur bat super vite, lança t-il doucement.

— Je vois pas comment ça pourrait ne pas être le cas ! Ça me rend dingue, c'est... J'ose espérer que si on va leur parler, ils ne nous tueront pas. On compte quand même un minimum pour eux, ils iraient pas jusqu'à nous tuer si ?

— Dans le doute, moi je vous le dis, il vaut mieux pas s'y risquer pour le moment.

— Quand alors ? On attend qu'ils explosent un autre immeuble ?

Erwan, toujours muet, avait remonté ses genoux sous son menton, et gardait obstinément les yeux rivés sur le tapis de la salle commune. Le souffle hachée, il inspirait lentement, expirait avec précaution, le tout sous l'indifférence générale, perdus que les autres étaient à discuter de l'attentat.

Il sentait son cœur battre vite dans sa poitrine, sa respiration devenir sifflante.

— Erwan ça va pas ? s'alarma Jon, tiré de la conversation par la respiration trop forte du plus jeune.

— Où est son inhalateur ?

Comme une flèche, Iverick disparut dans le dortoir, en revint bien vite avec l'inhalateur de Erwan, qu'il tendit au concerné avec fermeté.

— Allez respire gamin, ça va aller.

Sans un mot, Erwan attrapa son inhalateur, inspira à pleins poumons une bouffée de produit, avant de doucement, reprendre son souffle.

L'inhalateur, ou l'objet sacré qui au centre, avait été l'une des priorités absolues de tous : caché l'inhalateur, le garder hors de portée des surveillants, faire en sorte qu'il soit toujours à disposition de Erwan.

Iverick s'était félicité ce jour-là, après leur arrestation sur le bateau, d'avoir pensé à attraper le petit objet que Amali gardait précieusement avec elle, avant d'être emmené au centre. S'il n'y avait pas pensé, nul doute que le petit garçon serait sans doute mort dans sa cellule, étouffé.

— Est-ce que ça va mieux ?

— Pardon, souffla Erwan, blême.

— T'excuse pas. C'est de notre faute, tout ça c'est un peu... anxiogène.

Un long moment, tous restèrent silencieux, à vérifier que Erwan respire lentement, avec profondeur et application.

— Tu veux qu'on aille faire un tour ? proposa Eden avec douceur, une fois que son souffle se fut apaisé.

Amali tiqua, tenta de faire passer le message à Eden mais déjà Erwan était debout et cramponné au bras du jeune homme.

— On va pas loin t'en fais pas. Juste... s'aérer un peu.

— Tu as ton portable ?

— Yes ma'am, sourit Eden en s'éloignant, Erwan au bras.

Jon se releva à son tour, pour se joindre au groupe qui sous le regard inquiet de Amali, quitta la salle commune, puis la maison souterraine.

Une fois le calme et le silence revenus, Iverick se tourna enfin face à elle, une ombre soucieuse dans le regard, l'air sévère.

— Ils ont pris un téléphone ? Mehdi avait un portable non ? s'enquit-il.

— Oui. Il l'a gardé pour qu'on puisse rester en contact.

— On va essayer de les localiser et de les retrouver pour... discuter.

— Ils n'écouteront pas.

— Jelena ne te fera pas de mal et... peut-être même qu'en préparant bien la chose, elle pourrait t'écouter.

Amali haussa les épaules, loin d'être aussi sûre des propos que Iverick avançait. Elle avait bien sûr remarqué l'attrait que Jelena lui portait, au-delà de ce sentiment oscillant entre rivalité et amitié qui s'était créé entre elles. Cependant, elle se voyait mal jouer de cette carte aléatoire pour rentrer en contact avec l'ancienne militaire.

Néanmoins, avait-elle le choix ? Alors même qu'une tour venait d'exploser par leur faute ? Il fallait tenter de discuter, de régler le problème de façon pacifique, sans dommages. Le tout pour le tout, il n'y avait plus d'autres options.

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