Chapitre 37 

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Dimanche 29 juillet, 17h31

    La gare de Lyon Perrache avait été fermée deux ans plus tôt. Après la montée au pouvoir de la force armée, la panique générale engendrée par le virus et l'insécurité permanente, les citoyens de la métropole ne semblaient plus être dans l'optique de quitter la ville. Au contraire, un besoin presque vital de se confiner chez soi, de se trouver une routine de proximité, quelque chose de rassurant, avait conduit à la fermeture de plusieurs gares au travers de la ville. À ce jour, seul la gare de Lyon Part Dieu restait ouverte, et desservait quelques autres villes peu éloignées.

Iverick n'avait eut aucun mal à localiser le portable de Mehdi, qui avait borné aux alentours de l'ancienne gare : à partir de là, il avait été plutôt simple de déduire que les mutants du centre s'étaient retranchés à Perrache.

Après un long débat et plusieurs échauffements, il avait été convenu que Amali partirait discuter avec Jelena, à la seule condition que Jon ou Erwan puissent l'accompagner. Une protection, c'était la seule solution pour la laisser pénétrer en territoire ''ennemi'', avec un risque d'agression minimisée. Si Iverick ne croyait pas en une violence potentielle à l'encontre de la jeune femme, ce n'était pas l'avis de Yannick et Eden qui, fermes, s'étaient opposés à toute prise de risque inutiles.

Garés assez proche de la gare afin d'éviter tout problème pour repartir dans la forêt, ils avaient marché quelques minutes avant de se présenter devant l'entrée principale, gardée par deux hommes aux airs peu avenant qui sur le coup, avaient fait douter le duo. Jelena s'était détachée du groupe depuis seulement quelques jours et pourtant, il semblait déjà régner à la gare une organisation pointue et millimétrée. Durant leur trajet entre la voiture et la gare, Amali et Erwan n'avaient croisé personne, pas de policiers, pas de miliciens, rien. D'après la jeune femme, leur absence était sûrement dû à l'agitation causée par l'attentat, ce qui à défaut d'être réjouissant, avait au moins le mérite de leur faciliter la tâche.

— Je viens voir Jelena, avait lancé Amali, peu confiante.

Si au départ, aucun des deux hommes ne semblaient disposés à lui répondre, le plus grand des deux avait fini par la balayer de la tête au pieds d'un regard suspicieux.

— Comment vous vous appelez ?

— Amali. Et lui c'est Erwan. Elle nous connaît, on était ensemble il y a trois...

— Laissez-la passer.

Ferme, la voix de Jelena s'était élevée avec autorité, n'avait laissé aucune autre option aux deux gardes mis à part obéïr, et rapidement. Lentement, Amali avait donc dépassé les deux hommes, l'estomac noué, un sentiment étrange coincé dans la gorge. Erwan et elle avaient longuement discuté dans la voiture, de leurs différentes solutions de replie en cas de problème. Erwan lui avait assuré pouvoir gérer jusqu'à trois assaillants, mais au-delà son aide, son don s'avérerait inutile.

— J'imagine que vous avez vu les infos, lança Jelena.

— Sinon on serait pas là.

— Et moi qui pensais que vous étiez revenu pour trinquer à notre première opération.

Amali ne répondit rien, et indiqua à Erwan de faire de même : ils n'étaient pas là pour provoquer, mais pour tenter de calmer le jeu et peut-être, faire en sorte que Jelena et les autres se rendent compte de la démesure de leurs actions.

— Salut Amali, … Erwan, les salua Théo, un drôle de sourire au visage.

Plus le binôme avançait, plus Amali se sentait mal. Il régnait dans cette gare bondée de mutants et de leurs alliés une ambiance lourde et peu chaleureuse. Peut-être qu'elle interprétait et qu'elle était en réalité la seule à ressentir cette gène et ce sentiment d'insécurité mais, les regards et les froncements de sourcils dans leur direction ne trompaient pas.

— C'est immense, murmura Erwan.

Les doigts de l'adolescent étaient enroulés autour de son poignet, se raccrochaient à elle avec tension. Bien qu'il ne le montre pas, Amali devinait l'angoisse que Erwan pouvait ressentir à se trouver au milieu de cette foule qui les voyait sans doute comme des traîtres.

— Vous avez soif ?

— Non merci, répondit Amali. Écoute Jelena il faudrait...

— Amali !

D'un coup d’œil par-dessus son épaule, la jeune femme pu constater l'arrivée de Mehdi et Vasco, guidés par un Théo qui visiblement, n'avait pas tardé à propager la nouvelle de leur arrivée.

À la simple entente de la voix de Vasco, Erwan se tendit comme un arc, se raccrocha plus fort au bras de l'éducatrice.

— Vous nous avez trouvé facilement ? On s'est assuré que le téléphone de Mehdi ne s'éteigne pas, ricana Vasco, sarcastique.

— En effet, sourit Amali. On peut pas dire que vous soyez vraiment... cachés ici. Et la géoloc nous a bien aidée aussi.

Le jeune homme renifla, bras croisés sur le torse. Son regard incisif ne la quittait pas, scandait tout son étonnement entremêlé de colère de les retrouver là. Amali remarqua également que Mehdi, proche de son meilleur ami, était d'une pâleur étrange, tremblait légèrement, se dandinait d'un pied sur l'autre sans vraiment s'en rendre compte.

— Bon, trancha Jelena après quelques longues secondes de silence. On va pas tourner autour du pot vingt ans, qu'est-ce que tu veux ? Tu es toujours dans une position de ''peace and love'' ridicule ou tu as évolué depuis l'autre jour ?

— Ne commence pas s'il te plaît, on vient pas en ennemi, on...

— Si on avait pas fait sauter cette tour vous seriez pas là.

La jeune femme ouvrit la bouche pour riposter, avant de la refermer. À quoi bon nier ? Bien sûr qu'ils étaient là à cause de l'attentat provoqué par Vasco. Évidemment que sans cette opération choc elle ne se tiendrait pas là, face à l'ancienne militaire, toutes griffes dehors.

— C'est vrai.

— Et alors quoi ? Qu'est ce que tu veux ? Nous taper sur les doigts ?

— Jelena il y avait des innocents dans cette tour.

— Des enfants mutants innocents sont morts au centre, et tout le monde s'en fout. C'est quoi la différence dis-moi ?

Sans voix, Amali recula d'un pas pour reprendre son souffle, s'éloigner de Jelena qui discrètement, s'était rapproché afin d'empiéter dans son espace vital, lui faire ressentir cette pression désagréable qui de seconde en seconde, enserrait sa gorge. Erwan suivit le mouvement, les yeux toujours braqués dans la direction de Mehdi, Vasco et Théo.

— Tout ce que je pourrais dire ne comptera pas je me trompe ?

— Je m'inquiète pour toi Amali, répondit simplement Jelena.

Il sembla aux spectateurs de l'échange que dans les mots de l'ancienne militaire, ne perçait qu'une sincérité qui un instant, laissa Amali de marbre. Plus que bouleversé par le changement de ton de sa vis à vis, elle dû s'y reprendre à deux fois avant de formuler sa question, la langue pâteuse :

— … quoi ?

— Peu importe ce que tu t'imagines, ça m'attriste d'avoir dû scinder le groupe en deux. Je veux dire, ça fait tout de même plus de trois ans qu'on se connaît, qu'on se bat ensemble pour la liberté, pour le retour à la vie normale et de constater que nos opinions divergent à ce point est assez... douloureux à encaisser. Mais j'accepte. J'accepte que tu trouves mes méthodes radicales, que tu remettes en cause ma façon de voir les choses, mais dans le sens ou je respecte ton pacifisme envers et contre tout, je te demanderai de ne pas interférer dans notre combat. Je ne veux pas avoir à me battre contre toi. Je ne te force pas à me rejoindre, alors arrête d'essayer de m'imposer ta façon de voir les choses.

Abasourdie, Amali battit des cils, coula un regard à Vasco qui semblait aussi étourdi qu'elle, ses orbes brunes rivés sur le visage tendu de Jelena.

Un long moment, personne ne pipa mot, seuls les cerveaux échauffés au travail, les respirations seules rappels de la vie du groupe.

— Jelena tu sais très bien que je peux pas cautionner ça.

— Je te demande pas de cautionner mais de pas intervenir.

— Tu devrais assez me connaître pour savoir que ce... que je pourrais pas.

Un petit rire étouffé échappa d'entre les lèvres pincées de Jelena. D'une main peu assurée, elle repoussa ses longs cheveux bruns en arrière, avant de poser sur Amali un regard si intime, si puissant que la jeune femme en ressenti l'intensité jusque dans ses nerfs et ses muscles tendus.

— Il y a trois ans, je me suis rendu compte que je n'étais pas si déterminée que je m'en étais persuadée jusque là. Je pensais être quelqu'un de fondamentalement difficile à faire plier, mais quand je t'ai rencontré j'ai compris qu'en fin de compte, j'étais juste quelqu'un de... normal ? Je veux dire, les trois semaines que nous avons passées ensemble ont été démonstration sur démonstration de cet espèce de flamme qui te poussait à agir pour et seulement pour ce que tu croyais juste.

Elle marqua une pause, reprit son souffle, concentrée uniquement sur sa vis à vis, dans une sorte de bulle qui malgré sa position, ne captaient qu'elles, que leur échange plein et vrai.

— Alors je me doute qu'aujourd'hui, tu pourras pas faire abstraction de ma prise de position. Et c'est pour ça que je m'inquiète car immanquablement Amali, on finira par se retrouver face à face toi et moi, et à ce moment-là, que feras-tu ? Parce que moi je sais que j'agirais avec ma tête, et pas avec mon cœur. Et toi ?

— Je veux pas en arriver jusque là.

Amali tressaillit, fit un pas en avant pour se rapprocher de Jelena, releva légèrement le menton pour garder le contact visuel avec elle. Du bout des doigts, elle effleura le bras de l'ancienne militaire, la lèvre inférieure entre les dents, aussi nerveuse qu'écartelée entre son besoin d'agir pour le mieux, et celui de tout laisser tomber et se ranger du côté de Jelena. Elle savait qu'elle agissait par traumatisme et besoin de justice, celle de venger ce qu'ils avaient enduré au centre, et elle savait que s'y opposer, bien que moralement juste, était blessant pour elle.

— Je suis désolée.

— J'en attendais pas moins de toi, répliqua Jelena, la voix tremblante, un sourire triste au visage.

De ses mains, elle attrapa celles de Amali, en constata la froideur et les tremblements avec douleur. Elle aussi souffrait du choix définitif et à tête reposé qu'elle venait de faire, yeux dans les yeux, cœurs ouverts. Elle savait qu'à partir de ce moment, il serait difficile, ne serait-ce que par ego, de revenir en arrière.

— Tu auras toujours l'opportunité de nous rejoindre si tu changes d'avis.

Amali détourna les yeux – elle en était arrivé au même constat, sur les mots et leurs portées, sur la dureté de leur décision – avant de revenir à Jelena.

— … idem, souffla t-elle finalement.

— La milice !

Quelque part dans la gare, un homme venait de hurler à s'en déchirer les cordes vocales, alertant tous les mutants et alliés du secteur de l'arrivée toute proche de l'armée. Leur instant hors du temps brutalement brisé Jelena lâcha les mains de l'éducatrice, recula d'un pas vif, et eut juste le temps de voir au travers des fenêtres de la gare, une véritable armée briser le verre et envahir le hall.

Dans un véritable mouvement de panique générale, tous se mirent en position défensive, se rassemblèrent pour faire face à l'ennemi qui sans attendre, commençait à faire feu à balles réelles dans un chaos de hurlements et de détonations.

Amali déglutit, attrapa Erwan pour le rapprocher d'elle, tandis que Jelena la couvrait d'un regard saturé par l'inquiétude. Des hommes et femmes armées arrivaient en tous sens, les encerclaient pour mieux pouvoir faire main mise sur leur arrestation.

— C'est pas nous je te jure, souffla l'éducatrice, la voix blanche.

— Je me doute que t'es pas assez bête pour donner notre localisation à la milice alors que tu es avec nous. Sortez d'ici.

Une balle fusa si proche de l'oreille de Amali qu'elle n'entendit pas la réponse de Jelena. À la place, elle recula, chercha du regard une issue, et s'élança sans plus attendre à travers la foule pour atteindre la sortie qu'elle espérait salutaire. Bien que la gare fut abandonnée depuis longtemps, les panneaux d'affichage lumineux indiquant les sorties étaient toujours en service.

Erwan se cramponnait à elle avec la force du désespoir, lui hurlait de faire attention.

Tout autour d'eux, mutants comme alliés s'écroulaient un à un dans des gémissements sourds et douloureux, la milice faisait le ménage. Femmes, hommes, enfants, personne n'échappait à leurs tirs, personne n'était innocent à leurs yeux. Amali n'aurait su dire si à cet instant, les balles étaient réelles, ou simplement anesthésiantes. Sa seule idée fixe était de les fuir, et vite.

Elle comprit vite qu'il s'agissait de balles réelles lorsqu'une douleur fulgurante s'empara de sa jambe , la faisant trébucher pour finalement s'écrouler sur le carrelage jonché de verre et de balles perdues.

— Amali !

Elle releva péniblement la tête pour tomber sur Nathan qui face aux assaillants, venait de tendre les bras, paumes ouvertes, pour créer une barrière de protection impénétrable.

— Tirez-vous, maintenant.

Erwan se baissa pour passer un bras autour des épaules de son éducatrice, puis repartit immédiatement au petit trot, laissant Nathan se charger de leur protection jusqu'à ce qu'ils aient quitté la gare.

Le jeune homme inspira à fond, se concentra pour ne pas flancher alors que les balles s'écrasaient une à une contre le dôme créé à la seule force de son don. Au loin, il vit Jelena le remercier, avant de faire jaillir une véritable muraille de flamme de ses paumes. Aux hurlements affolés des mutants, se mêlèrent bien vite ceux agonisant des militaires brûlés vifs par le brasier ardant de Jelena.

En quelques instants, la gare était devenu un véritable champs de bataille où se mêlaient pouvoir, cris et armes dans une symbiose parfaite.

De là où il se trouvait, il pouvait tout voir, et ne put manquer cette balle, celle qui aussi rapide que l'éclair et destructrice que la foudre, atteignit Mehdi, pourtant protégé par un Vasco sur les dents. En un quart de seconde, tout se joua : la balle broya la peau tendre de la gorge, pour ressortir par la nuque, entraînant avec elle une gerbe de sang sombre et bouillant.

Nathan entendit Vasco hurler, rattraper son meilleur ami par les épaules, tenter de calmer l'hémorragie en pressant ses paumes sur la blessure, couvert par Jelena. Tout s'était joué trop vite, personne n'avait su intercepter la balle. Personne ne savait exactement d'où elle avait été tirée, ni qui elle visait à la base mais une chose était certaine : Mehdi tait touché, et grièvement.

Le cœur de Nathan battait lourdement dan sa poitrine, à mesure que les secondes s'égrainaient et que les cris de Vasco muaient de la colère à la douleur. Il secouait péniblement le corps brisé d'un Mehdi au bord de l'inconscience, semblait le supplier de tenir, quelques minutes, le temps que les choses se calment. Nathan interprétait bien sûr, il était trop loin pour entendre les mots de son ami, mais parvenait à les deviner.

Une nouvelle pluie de balle se déversa sur eux, atteignit Vasco à l'épaule.

— Vasco ! hurla Nathan.

Mehdi au sol, pantelant, sembla perdre la vie au moment où Vasco, consumé par une douleur tant physique que mentale, se redressa et produisit une explosion si grande, si dévastatrice, que les quelques fenêtres restantes en furent balayées. À des lieux de l'explosion de l'immeuble, cette dernière souffla miliciens et balles dans un intense tunnel de flammes et de fumées qui laissa Nathan sans voix. Ils se trompaient tous sur la véritable puissance de Vasco, sur ce qu'il était capable d'accomplir, et cette découverte le terrifia. Par-delà la peine qu'il éprouvait à constater le corps immobile de Mehdi au sol, la silhouette tremblante de Vasco et celle immobile de Jelena, son cœur accéléra, accéléra, et se perdit bien vite en un rythme si puissant qu'il perdit le fil des événements.

En une explosion, Vasco gomma les tirs, souffla la vie, et tomba pour de bon dans une abysse que Nathan imaginait obscure et profonde, presque impossible à remonter. Peu de chose retenaient encore le jeune homme de faire étalage de sa réelle puissance de tir : Mehdi représentait le catalyseur de violence, celui qui durant les trois années au centre, avait permis par la simple pensée, de faire tenir Vasco. D'imaginer retrouver son meilleur ami à la sortie du centre avait fait office de bride pour Vasco, il avait été son objectif premier.

Mais maintenant que l'objectif disparaissait, que restait-il à espérer ?

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