Chapitre 40

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Mardi 04 octobre 2022, 10h42

    Assis dans son immense fauteuil en cuir brun, le général François Meunier regardait d'un œil critique, une énième rediffusion d'un discours agité de la jeune femme en charge du mouvement terroriste qui agitait la France depuis quelques mois déjà, Jelena Razbun. Tout de noir vêtu, les cheveux mal entretenus et les yeux brûlant de fureur, elle hurlait depuis près de dix minutes déjà, s'exprimait à grands renforts de gestes pompeux sur la violence et l'injustice des centres, appelait la population à ouvrir les yeux.

Le général, soupira, se pinça lentement l'arrête du nez tout en fermant les yeux, quelques secondes.

Il ne savait plus par quel bout prendre ce problème qui trois mois plus tôt, ne représentait qu'une petite révolution à échelle départementale. Bien sûr que ses troupes et lui avaient frissonné en apprenant l'attentat du siège du centre de confinement de Rhône-Alpe, bien sûr que la tuerie de la gare de Perrache avait fait écho à leurs oreilles. Cependant à ce moment-là, lui comme ses supérieurs pensaient la milice et le détachement militaire du Rhône capable de se charger des quelques mutants qui après s'être évadés de leur centre, semaient la zizanie partout où ils passaient.

Il avait songé envoyer du renfort, mais comme préparés à ce pas en avant du corps armé, les terroristes avaient cessés toute activité durant un mois entier. Ils ne s'en pensaient pas débarrassé bien sûr, mais n'auraient jamais songé les revoir faire surface dans une action coup de poing, d'une violence et d'une préparation millimétrée, consistant à libérer les mutants du centre d'Île de France.

Constat désastreux : près d'une centaine de morts de leur côté, contre environ cinq cent mutants d'une dangerosité variable, relâchés dans la nature.

— Bordel, murmura t-il en coupant l'image.

Un mal de tête désastreux prévoyait de lui faire passer une journée abominable. Comme un concert de cymbales dans son crâne, une pulsion forte et lourde frappait avec un rythme soutenu contre ses tempes, derrière son front.

Tel un automate, il quitta son fauteuil, fit son chemin jusqu'à la salle de bain pour jeter un anti-douleur effervescent dans un verre d'eau.

L'image de Jelena ne le quittait plus. À toute heures du jour ou de la nuit, sa voix gorgée de revanche et son air mauvais hantaient jusqu'à ses pires cauchemars. Il n'en pouvait plus : épuisé aussi bien mentalement que physiquement, il en arrivait à souhaiter qu'un nouveau virus ne vienne faire le ménage parmi ces surhommes au cerveaux détraqués.

Lui n'avait pas muté, et ne s'en plaignait pas. Sa femme par ailleurs, âgée d'à peine quarante ans au moment de la pandémie, avait succombé après avoir tenté de lui ouvrir le crâne à l'aide d'un plat en terre. L'image de sa douce en proie à cette folie meurtrière ne le quitterait jamais, au même titre que celle de Jelena, militant contre un système qui se voulait protecteur pour la civilisation.

Son reflet dans le miroir le fit pâlir, il ne se reconnaissait plus.

En trois gorgées, l'anti-douleur fut avalé, le verre jeté dans l'évier.

À sa montre, il n'était pas loin de onze heures, il devait se mettre en route. Le soir devait se tenir un conseil d'urgence, réunissant les généraux des différents corps d'armées, ainsi que le général cinq étoile Jean-Charles Dupuis, l'homme qui depuis trois ans maintenant, leur permettait de tenir bon.

Après s'être aspergé le visage d'eau froide, enfilé son uniforme et but une gorgée de Ricard au goulot de sa flasque, il attrapa ses clefs de voiture, et se mit en route.

   Yannick chantonnait un petit air de musique qui souvent lorsqu'il était jeune, passait dans la discothèque de son village. Avec habitude, il étendait le linge humide sur le long file que Amali avait tiré entre deux arbres.

— Dancing Queen vraiment ?

Par-dessus son épaule, il jeta un regard étonné à Erwan. L'adolescent vint le rejoindre en entonnant à son tour le tube de ABBA, attrapa un caleçon pour l'étendre.

— D'où tu connais ça toi ?

— Mes parents, répondit-il simplement.

À peine avait-il étendu son caleçon que Erwan entreprit d'étendre le linge à la seule force de son don, vêtement après vêtement. Son éducateur le regarda faire sans mot dire, admira le ballet de tissu tout autour de lui, avant de poser une main ferme sur son épaule.

— On a dit quoi sur l'utilisation des dons Erwan ?

— Je sais, mais, on risque rien ici ! Je veux dire, on est perdu au milieu de nul part alors...E Et puis, j'ai peur de me rouiller.

—Même. Avec tout le bordel que met Jelena en ce moment, ce n'est pas la peine de se faire remarquer.

Erwan ne rétorqua rien, préférant trottiner jusqu'à la terrasse du mobile-home qu'il occupait depuis trois mois avec Jon et Eden pour aller s'asseoir près d'eux. Yannick suivit sa progression du regard, s'attarda sur la façon autoritaire qu'eut Eden de tendre un cahier ouvert au plus jeune, avant de revenir à son linge parfaitement étendu.

Après avoir honoré la mémoire de Mehdi en l'enterrant d'une façon correct, ils avaient fuis la région, craignant d'être à un moment ou à un autre, assimilés au mouvement terroriste qu'avait créé Jelena. Après tout, ils avaient activement participé au plan d'évacuation du centre de confinement, et gardait avec eux trois mutants en fuite, sans compter Eden qui n'avait pour sa part, jamais été déclaré.

Ainsi, ce fut au nord de l'Allier que la petite équipe déposa valise et espoirs, dans un camping isolé et abandonné, à l'abri des rondes de la milice, mais bien connu des résistants du département.

Les mobile-homes étaient vétustes, insalubre à leur arrivée, l'électricité n'y était même plus tirée. Tous s'estimèrent heureux que Yannick, bricoleur de nature touche-à-tout, puisse prendre les choses en main et réhabiliter deux mobile-home ; un pour les adultes, et un pour les jeunes.

Isolés du reste du monde, à l'abri, c'était d'un œil inquiet qu'ils suivaient jour après jour l'avancée du mouvement de Jelena, ses partisans de plus en plus nombreux, leurs actions de plus en plus meurtrières. Ses discours enflammés sur des chaînes de télévision pro-mutants, ses articles dans différents journaux engagés, tout laissait à penser que tôt ou tard, ils finiraient par frapper, mais que le gouvernement en face, n'aurait plus de quoi se redresser.

— Yannick !

L'éducateur releva la tête, avisa les grands signes que lui adressait Jon, pour les rejoindre d'un pas tranquille. Au-delà de la sécurité que leur offrait l'endroit, c'était surtout une nature luxuriante, peuplée d’innombrables oiseaux et autre insectes qui fascinaient Yannick. Il pouvait passer des heures à contempler la forêt qui se dressait en face de leurs terrasses, à s'y promener à la recherche d'animaux sauvages ou de plantes intéressantes à présenter aux garçons et à Amali.

C'était la seule reconnaissance qu'il apportait à la crise : les avoir forcé à renouer avec la nature qui les entourait, bien malgré eux.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Regarde...

Le jeune homme lui tendit un cahier à la tranche abîmée, et lui désigna un polycopié à moitié rempli.

Des mathématiques.

Une fois leur repli dans l'Allier effectué et leur réhabilitation des mobile-homes faite, Amali avait décidé que le temps qu'ils passeraient à préparer une offensive contre Jelena et son groupe, ne serait pas du temps jeté par les fenêtres. Grâce à internet – étonnement toujours en fonctionnement – et un peu de motivation, elle avait déniché une quantité astronomique de polycopiés qui reprenaient le programme de sixième, ainsi que celui de seconde, et de première. « Ce n'est pas parce que le monde a changé que vous devez laisser tomber votre éducation. On peut au mois essayé de sauver ça » avait-elle lancé un soir, à table. Le lendemain, Jon, Erwan et Eden se retrouvaient chacun avec un cahier entre les mains, de quoi écrire, et un minimum de trois heures de cours par jour à effectuer sans broncher.

— Je t'avoue Jon que là je suis paumé...

— Iverick saura tu crois ?

— Peut-être, répondit l'éducateur en haussant les épaules. Ça coûte rien d'aller lui demander.

Jon hocha vigoureusement la tête, se redressa et quitta la terrasse pour rejoindre le mobile-home des adultes. Resté auprès de Erwan et Eden, concentrés, Yannick se hissa sur la barrière de la terrasse pour les couvrir d'un regard admiratif.

Lorsque Amali lui avait parlé de son souhait de remettre tout le monde à l'instruction, il lui avait ri au nez : personne dans le climat actuel n'avait envie de potasser des cours de français ou de physique. Cependant, il fut plus qu'étonné de constater l'enthousiasme débordant de Jon, la gratitude de Eden et l'empressement de Erwan, face aux simples cahiers bourrés de polycopiés.

''L'école'' avait un goût de normalité, c'est ce qui les rendait si heureux de chaque jour, noircir les pages de leurs réponses, de leurs connaissances.

— Tu travailles sur quoi Eden ?

— L'appel du dix-huit juin.

— On étudie ça en première ?

— J'étais en L alors... ouais, l'histoire est genre notre troisième matière principale.

Yannick hocha la tête, se tut pour les laisser reprendre le fil de leur concentration sans plus être pollués par sa présence.

Sur la terrasse du mobile-home en face de celui des garçons, Amali était au téléphone, tandis que Iverick, aux prises avec le devoir de mathématique de Jon, n'en menait pas large.

Sa collègue tournait en rond, agitait sa main libre comme si son interlocuteur pouvait s'en rendre compte, à l'autre bout du fil.

En quelques enjambées, elle quitta la terrasse, s'enfonça de quelque mètres entre les arbres de la forêt, assez loin pour que personne ne puisse plus l'entendre. Jon bien sûr aurait aisément pu l'écouter mais, il était trop occupé avec Iverick pour prêter attention à son éducatrice.

— Tu sais à qui elle téléphone ?

— Si seulement je savais, rétorqua Yannick.

Eden haussa un sourcil, mais ne renchérit pas, préférant donner un coup de coude à Erwan pour ramener son attention sur son cahier.

Lorsque Amali revint quelques minutes plus tard, le teint terreux et les sourcils froncés, personne n'osa demander qui elle avait eu au bout du fil durant près de quinze minutes, bien que la question ne soit sur toutes les lèvres. Finalement, ce fut Erwan qui creva l'abcès, le regard braqué sur son éducatrice.

— Ils sont à Paris, répondit t-elle avec tension. Une ancienne connaissance de Lyon qui est parti s'installer là-bas il..., il a vu Théo se balader dans le treizième.

— Comment il peut savoir à quoi ressemble Théo ?

— Après le départ de Jelena et Matteo, j'ai transféré leurs photos sur la base de donnée de notre groupe, histoire qu'on puisse espérer les garder à vue qu'importe leur localisation sur le territoire.

— Malin, souligna Eden. Et du coup, maintenant que tu as cette info, on fait quoi ? On monte à Paris pour tenter de négocier avec cette psychopathe ?

Yannick remarqua bien la tension dans les épaules de sa collègue, sa posture défensive adoptée aux premiers mots prononcés par Eden. Le ton calme et détaché de l'adolescent ne semblait pas la mettre à l'aise compte tenu de la situation.

— Il t'a dit s'il avait des idées sur pourquoi ils seraient à Paris ?

— À ton avis ?

— Question stupide j'admets, je la retire.

— C'est pas le moment de plaisanter Yannick sérieux ! Vous comprenez que c'est grave là ? Ils ont évacué le centre d'Île de France, autant dire que leur nombre est démesuré par rapport à l'armée et que...

— … par rapport à des soldats classiques ils ont l'avantage, on sait.

Iverick et Jon venaient de les rejoindre, et l'ancien caporal, les poings sur les hanches, fixait la jeune femme d'un air partagé. D'un côté, il avait envie de partager l'agitation et l'anxiété débordante qui de seconde en seconde, crispait de plus en plus Amali. Mais d'un autre côté, à quoi cela servait-il de se malmener l'esprit de la sorte ? Ils étaient à cinq heures de route de la capitale et n'étaient de toute manière, pas assez nombreux pour riposter face au groupe que Jelena avait formé depuis trois mois.

— Loin de moi l'idée de prendre la chose à la légère mais, que veux-tu qu'on fasse ? Regarde, leur seul noyau dur est déjà abominablement puissant : Vasco, Théo, Nathan, Jelena... ils sont tous d'une dangerosité qui pourrait à elle seule faire plier une armée. On l'a bien vu avec la gare où Vasco a tout bonnement soufflé une quarantaine de soldats d'une seule explosion. Y aller de front et sans hommes serait une pure folie.

— On a Erwan, Jon, et Eden pour riposter !

Erwan blêmit, tandis que Eden, les yeux plissés, agita la main devant son visage avec désinvolture :

— T'as envie qu'ils nous butent c'est ça l'idée ? Tu veux que je fasse quoi face à Vasco ou Jelena sérieux ? Jon et Erwan passe encore, mais moi ? Ils auraient vite fait de me cramer la tête.

Amali le dévisagea, hallucinée, avant de le pointer d'un doigt accusateur :

— Je te rappelle juste que tu peux faire faire ce que tu veux, à qui tu veux.

— Oui, admit Eden, mais pour ça il faut que je capte leur regard et qu'ensuite je parle. Autant te dire que comme ils connaissent le procédé, ils me laisseront même pas le temps de battre des cils.

Jon hocha la tête à son tour, dans le sens de son meilleur ami, et tenta d'expliquer à son éducatrice qu'à eux trois, ils ne seraient jamais assez forts et que même en rajoutant Iverick et ses griffes à l'équation, leur probabilité de se faire anéantir restait élevée.

— Donc on ne fait rien, résuma Amali. Ils vont sans doute encore faire péter un bâtiment blindé de monde et on ne fait rien ?

— Exactement. Entre mourir en martyr ou préparer quelque chose qui pourra avoir de l'impact je préfère me préserver pour pouvoir frapper un grand coup, répondit Iverick. Maintenant calme-toi, ça sert à rien de se mettre dans un état pareil et tu stresses Erwan.

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