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Samedi 19 avril 2024, 08h56

    « Comme à son habitude, Iverick frappa à la porte du dortoir sur les coups de dix-huit heures trente, et entra sans attendre de réponse. La pièce était plongée dans la semie pénombre, seule la fable lumière du soleil en plein déclin perçait finement à travers les volets tirés.

Étendu par-dessus les draps de l’un des lits, Erwan somnolait, en position de chien de fusil, le souffle lourd et rapide. Sans faire trop de bruits, l’ancien caporal se rapprocha, déposa sur la table de chevet le plateau qu’il tenait entre les mains et sur lequel reposait un verre vide et une carafe d’eau, ainsi qu’un sandwich qu’avait préparé Jon. Le très léger tintement du plastique sur le bois tira l’adolescent de sa somnolence et lentement, il ouvrit les yeux pour dévisager Iverick, avant de sourire :

— C’est déjà dix-huit heures ? Lança t-il avec légèreté.

Les yeux brillants de fièvre de l’adolescent, ses joues rouges faisaient toujours le même effet à Iverick. Voir Erwan dans cet état, sans aucun moyen de l’aider lui tordait l’estomac. Il aurait tant donné pour pouvoir l’emmener chez le médecin, le faire consulter mais, à cause des restrictions des Phoenix, ce droit immuable à la santé leur était retiré. Sans rien dire de son amertume, il s’assit sur le rebord du lit, ébouriffa les cheveux de Erwan avant de lui remplir un verre d’eau et de le lui tendre.

— Bois un peu.

— Vous avez fait quoi aujourd’hui ?

Iverick attendit quelques instants que le verre d’eau soit terminé pur le reposer sur le plateau, avant de répondre.

— Jon s’est amusé à déraciner des arbres et à les jeter pour voir jusqu’où il pouvait les envoyer. Amali et Eden ont travaillé leur combat au corps à corps avec moi, et Yannick a lu. Comme d’hab en fait.

Erwan buvait ses paroles, lui qui était privé de sortir du dortoir depuis que la fièvre avait commencé à grimper quelques jours plus tôt. Il avait pu exprimer à plusieurs reprises qu’aller s’aérer dehors ne lui aurait pas déplu, mais face à la frilosité de Amali vis à vis de possibles aggravations de son état de santé, il n’avait pas insisté.

— Tu sais que j’ai déjà été super malade comme ça un jour ?

— Ah oui ? C’est étonnant, avant on avait le droit de voir un médecin, qu’importe qui on était.

Erwan sourit en coin, secoua la tête tout en tendant la main pour attraper un morceau de sandwich.

— Je sais. Mais c’était à l’époque où je vivais dehors avec mon père. À ce moment-là il voulait pas qu’on aille voir de docteur parce qu’il avait peur qu’on me place.

Iverick ne bougea pas d’un centimètre, focalisé sur les paroles de l’adolescent. Amali et Yannick lui avaient déjà parlé de « l’avant foyer Phoenix » des jeunes, mais la plupart ne s’étaient jamais vraiment exprimé à ce sujet. Un par exemple était plutôt locale quant à son placement, comparé à un Eden qui n’abordait jamais le sujet, et qui le fuyait avec application lorsqu’il était effleuré.

— Tu as vécu longtemps à la rue ?

— Oui et non. Quand on est arrivés d’Albanie avec mon père, on a réussi a avoir une place en foyer, mais on a finalement dû partir, je sais pas exactement pourquoi. Après on a dormi dehors quelques temps - c’est pendant cette période que j’ai attrapé la grippe - et un jour, mon père a décidé que ce n’était plus possible.

Erwan s’interrompit, avala sa salive, avant de croquer dans le sandwich pour gagner quelques précieuses secondes. Il voyait bien le regard intrigué de Iverick et n’arrivait pas vraiment à statuer sur le pourquoi de cette conversation à sens unique. Sur pourquoi, d’un coup, il avait eu envie de parler de tout cela à l’ancien caporal. Sans plus y penser, il reprit, la voix légèrement tremblante à l’évocation du souvenir :

— Un jour il m’a dit qu’on allait aller demander de l’aide à la police pour trouver un foyer. Au final il m’a laissé là-bas en leur demandant de me trouver une place dans un foyer pour enfants. Il aviat juré de revenir lorsqu’il aurait trouvé une situation qui permettrait qu’on soit réunis tous les deux. Il est jamais revenu.

Il tressaillit légèrement en sentant la main de Iverick dans ses cheveux, qui ébouriffait tendrement ses mèches. Alors qu’il terminait son sandwich et que la fatigue le gagnait à nouveau, il balaya le visage tordu dans une grimace ému de l’ancien caporal, avant de se rallonger.

— Pardon, c’est pas super réjouissant comme histoire, sourit-il tout de même.

— T’excuse pas. Je te remercie de m’en avoir parlé. Ça me fait plaisir que tu aies assez confiance en moi pour me parler de ça.

— T’es un peu mon éduc aussi maintenant. C’est normal que je te fasse confiance »

    La balle qui effleura son oreille lui arracha un grognement surprit. D’un bond, il fit volte-face pour tomber nez à nez avec un soldat du Phoenix qui fusil à la main, le visait à nouveau, l’œil dans le viseur.

Sans attendre, Iverick se mit à courir dans sa direction, lui sauta dessus avant qu’il n’ait pu presser la gâchette, et le désarma. Il envoya l’arme à plusieurs mètres, et assomma l’homme qui venait d’attenter à sa vie d’un coup de poing dans la tempe.

Bien qu’il avait accepté de suivre Jon et la quasi totalité de la Résistance, il ne s’était pas résolu à tuer les soldats du Phoenix, préférait les rendre hors d’état de nuire.

Tout autour de lui, le chaos ne faisait que s’accentuer : les soldats se fonçaient dessus pour combattre, usaient de dons ou d’armes en tous genre pour s’affronter dans des échanges de coups et de sang qui l’étourdissaient. En regardant simplement, il était incapable de discerner quel camp avait l’avantage mais, une chose était sûre, les corps inertes au sol ne faisaient qu’augmenter tandis que les mouvement se faisaient plus lourds, plus fatigués. Il avait perdu la notion du temps, ne savait plus exactement depuis combien d’heures ils combattaient mais, ce qui le rassurait était que même en avançant dans le temps, la Résistance était toujours debout.

Ils avaient une chance au final.

Il avait perdu la trace de Jon depuis un petit moment, ne le voyait plus dans la mêlée. Pour ce qui était de Erwan, il avait pesté tout ce qu’il pouvait lorsque l’adolescent avait sauté de la voiture en marche pour retourner au foyer retrouver Eden et Yannick, et avait tenté de se persuader qu’il ne viendrait pas pointer le bout de son nez sur le champs de bataille. Cependant, et c’était bien ce qui le restreignait quelque peu dans sa progression et son efficacité, il sentait au plus profond de lui que son protégé finirait bien par apparaître à un moment ou à un autre, et n’avait donc de cesse de surveiller les affrontements autour de lui, au cas où.

Pour ce qui était des Phoenix qu’il connaissait, il avait brièvement vu passer Nathan, mais ne s’était pas attardé sur son cas. Pour Jelena, Vasco et Théo en revanche, aucune trace, pas un signe. Il avait bien sûr vu jaillir une colonne de flammes d’une fenêtre et savait à qui elle appartenait, mais n’avait croisé aucun visage familier face auxquels il aurait pu tenter le dialogue.

Ses griffes fauchèrent un couteau brandit dans sa direction, l’envoyèrent au loin et, désarmé, son agresseur le regarda quelque secondes avant de reculer.

— Un couteau ? Sérieusement ?

Le jeune homme en face de lui, qui ne devait pas être plus âgé que Jon et Eden, bredouilla quelque chose avant de faire un pas en arrière et de trébucher sur un corps étendu au sol.

— Dégage gamin, j’ai pas envie de te faire du mal.

Alors que le soldat s’apprêtait à répondre, un cri et une bourrasque de vent le forcèrent à se retourner. Ahuri, il découvrit dans un premier temps pas moins de trois soldats armés jusqu’aux dents et qui dans leur course pour l’attaquer, avaient été projetés en l’air, tout droit dans un autre groupe de soldats à plusieurs dizaines de mètres. Ce n’est qu’après qu’il tomba finalement sur celui qu’il aurait préféré savoir loin, très loin du champs de bataille, courant dans sa direction avec l’énergie du désespoir, les yeux écarquillés d’angoisse :

— Iverick !

Enfin arrivé à sa hauteur, Erwan reprit son souffle, les mains sur les genoux, avant de lu désigner les soldats qu’il venait de balayer de son don :

— Fais gaffe à tes arrières, ils étaient à ça de t’avoir !

— Alors tu es venu finalement ?

Tout en croisant les bras sur son torse, l’ancien caporal suivit la direction que Erwan lui montrait pour découvrir Eden et Vasco, à l’écart des affrontements. Si Eden semblait bien se porter, Vasco lui était dans un piteux état, et se raccrochait comme il le pouvait à l’épaule du résistant qui l’assistait pour se maintenir debout.

— Qu’est-ce qui lui est arrivé à celui-là ?

— Je t’expliquerai, répondit Erwan en lui attrapant le bras. Viens, on y va c’est bon. Il est encore temps de partir !

Iverick s’apprêtait à nouveau à répondre lorsque Erwan le poussa d’un geste brusque pour tendre les mains en avant, paumes ouvertes, et rejeter en arrière une salve de balles qui partirent se loger dans les corps de ceux qui venaient de les tirer à bout portant. Aussitôt, les deux assaillants s’écroulèrent, et Erwan blêmit.

— Merde, j’ai mal géré mon renvoi.

— … c’est pas grave. C’est pas grave. Mais Erwan regarde on est au même niveau que les Phoenix, on a une chance de l’emporter. Je dois rester pour épauler nos camarades. Toi par contre file de là, va te mettre à l’abri.

— T’as raison oui. Ça fait deux fois que je t’empêche de mourir et ça devrait être à moi de m’en aller ? Tu as rêvé ou quoi ?

Comme pour imager ses propos, il tendit à nouveau les bras, attrapa deux soldats du Phoenix pour les écarter d’un groupe de résistants sur lequel ils avaient alors l’avantage. À quelques mètres d’eux, une salve de tirs éclata, leur déchirant les tympans.

— C’est pas la question ! C’est dangereux ici !

— A la base, tu était d’accord pour que je vienne !

— Et j’ai réalisé lorsque tu as sauté de la voiture que j’avais été bien con de te laisser poser tes fesses dans la casse avec nous. Donc maintenant tu retourne avec Eden et Vasco et vous vous barrez de là !

Bouche bée, Erwan en sut d’abord pas quoi répondre, avant d’étreindre l’ancien caporal dans une étreinte aussi brève que chaleureuse. Ses doigts se crispèrent légèrement dans le tissu des vêtements de Iverick qui lui rendit son étreinte avec ferveur avant de le repousser en arrière.

— Je veux rester avec toi, rétorqua t-il vivement.

— Et moi je veux pas alors du balais !

À nouveau Erwan ouvrit la bouche pour répondre, avant d’être interrompu par la vision de Eden et Vasco se mettant à s’agiter au loin. Il voyait bien Édens inter, mais était trop loin pour comprendre ce qu’il disait. Pour ce qui était de Vasco, les yeux écarquillés de colère, il semblait fixer un point derrière eux, ce qui permet à Erwan de se retourner à temps pour tomber sur Théo, une main dans les cheveux, un large sourire aux lèvres.

— Je me disais bien que je t’avais vu traîner dans le coin, grinça le soldat en replaçant ses lunettes. Mais termine, je voulais pas interrompre ton moment « happy family » avec ton père.

Moins hésitant que la dernière fois où leurs chemins s’étaient croisés, Erwan n’attendrît pas que Théo attaque le premier pour le faire décoller du sol et l’envoyer contre le premier bâtiment venu, de toute ses forces. Le corps de Théo sembla traverser le mur, dans une explosion de béton et de crépit qui laissa Iverick interdit. D’un regard, il avisa l’état de Erwan, remarqua sa mâchoire crispée et son regard acéré, rivé sur le trou béant où avait disparu son adversaire.

— On est loin de l’époque où tu faisais l’éviter des balles rebondissantes, remarqua l’ancien caporal en souriant.

— Forcément, sur tous ces connards il fallait que ce soit lui qui nous remarque, gronda t-il en reprenant son souffle.

Tandis qu’il fixait toujours le mur explosé à la recherche de Théo lorsque ce dernier se relèverait, Vasco et Eden les avait rejoint et estomaqués, laissèrent leur regard considérer les dégâts occasionnés par Erwan d’un regard admiratif.

—Wouah, souffla Vasco. Et dire qu’il faisait l’éviter des balles avant.

— Depuis quand tu es de notre côté toi ?

L’aboiement de Iverick les fit revenir à la réalité d’une force glaçante. Eden fut le premier à se tourner vers l’ancien caporal, et à répondre :

— Il est avec nous, point barre. Tu préfères qu’il soit dans le camp adverse ?

— De toute façon vu son état, il fera pas de mal à grand monde, renifla Iverick, mesquin.

— A ce propos, reprit Vasco, il faut trouver Penny. C’est une gamine de quinze piges mais qui a reçu le don de soigner les blessures non létales. Genre les brûlures, les os cassés, les trucs dans le genre.

— Et tu pouvais pas nous en parler plus tôt ?

La réponse agacée de Erwan surprit tout le monde : ils étaient peu habitué à voir l’adolescent dans un tel état de crispation entremêlée de colère. Sans en démordre, il fixait toujours l’immeuble, les sourcils froncés à leur paroxysme, les dents serrées.

— Allez trouver cette Penny, je m’occupe de Théo. Et au pire en cas de coup dur, j’appellerai Jon.

— Et tu as décidé de ce plan à quel moment ? le rabroua Iverick.

— Il a tué Amali. Je le laisserais pas faire du mal aux autres plus longtemps.

Eden, peu sûr de la décision du plus jeune, concerta Iverick d’un regard embêté avant de se heurter à al résignation du caporal.

D’un geste las, il leur fit signe d’y aller, et désigna Erwan du menton :

— Je reste avec lui. Je vais essayer de l’empêcher de faire de trois grosses conneries.

— Il a raison, signa Eden. Au cas où, appelez Jon. Il rappliquera aussitôt.

D’un mouvement de tête entendu, chacun reprit sa route, après avoir souhaité bonne chance au reste du groupe. Entre retenir Théo et trouver Penny, chaque binôme se devait de mener sa ission à bien, en dépendait du résultat final de l’affrontement.

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