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Samedi 19 avril 2024, 09h07

— Parce que tu crois que c’est juste Vasco le problème ?

Alors qu’elle tenait toujours fermement Vasco plaqué au sol, Amali venait de la rejoindre, et de s’accroupir à ses côtés. D’une main douce et délicate, elle effleura sa joue pour attirer son attention et comme les fois précédentes, elle sentit ce léger courant d’air, à la fois délectable et répugnant.

— Jelena, arrête de le secouer comme ça. Il comprend rien à ce que tu dis.

— Si, il comprend, martela l’ancienne militaire. Il comprend même très bien ! C’est de sa faute si j’en suis là !

Les grands yeux sombres de Vasco la dévisageaient avec interrogation. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait, et n’avait de cesse de jeter de furtifs regards à Eden, resté en retrait et pourtant bien alerte sur la situation.

Elle ne comprenait pas pourquoi l’assassin de Amali était dehors. Pourquoi il était là, au milieu du champs de bataille, sans le bloc de ciment qui lui entravait les mains. Pourquoi il semblait si bien se porter, et pourquoi il était accompagné de Eden ? C’était à n’y rien comprendre.

Dans le brouillard, elle ne parvenait même pas à statuer sur le fait de voir ou non les deux jeunes hommes, de savoir s’ils étaient ou non, une hallucination de son céderai malade, ou bien al réalité.

— Tu es réel Vasco ? Lui demanda t-elle dans un souffle, après s’être penchée en avant.

— … je crois oui, répondit le jeune homme d’une voix blanche.

— Tu crois ou tu es sur ?!

Elle voyait bon nombre de ses soldats aller et venir tout autour d’eux, sans leur prêter la moindre attention. Par peur sans doute, de croiser leur cheffe dans un tel état de détresse mentale. De ne pas savoir si dans son état, elle était capable ou non de physiquement s’en prendre à eux : après tout, Vasco portait l’uniforme des Phoenix et pourtant, elle était en train de le malmener.

Tel un aigle ayant refermé ses griffes sur sa proie, elle raffermit sa prise sur les bras de Vasco, le secoua d’avantage.

Bien que le bloc de ciment eut disparu, n’en restait pas moins que son ancien soldat n’en menait pas large : son visage était tiré de fatigue et sa peau terne et terreuse lui renvoyait l’image de quelqu’un de souffrant, de malade depuis un certain temps. Il devait être épuisé, ils avalaient tout fait pour en ne le nourrissant quand bon leur semblait en en restreignant son accès à l’eau. C’était des méthodes barbares elle en convenait, mais entre l’affaiblir assez pour l’empêcher de nuire, et lui laisse l’opportunité de se rebeller par la force, le choix était vite fait.

— Je trouve ça intéressant, reprit Amali. Cette façon qu’il a eu de renouer du lien avec Eden, tu ne trouves pas ? L’agresseur et la victime. Stockholm ?

— Ils sont aussi cinglés l’un que l’autre, peut importe ce que tu pourras en dire. Lui fait une fixette sur notre petit Eden, et l’autre ne voit pas le souci à s’acoquiner du mec qui l’a laissé se faire taillader la gorge. C’est assez risible, rétorqua Jelena.

Sous ses yeux acérés, elle discerna le début d’un sourire se former au coin des lèvres de Vasco qui d’un air suffisant, la dévisagea :

— On appelle ça la rédemption, et le pardon. Je ne t’ai jamais demandé si tu étais croyante Jelena mais : «Sejam bondosos e compassivos uns para com os outros; perdoem-se uns aos outros como Deus nos perdoou em Cristo ».

Hallucinée, l’ancienne militaire le secoua une nouvelle fois, lui aboyait de traduire, qu’elle exigeait de savoir ce qu’il venait de dire.

— « Soyez bons et plein de compassion les uns envers les autres ; pardonnez-vous réciproquement comme Dieu nous a pardonné en Christ ». Ma mère me le répétait souvent, comme quoi ça m’a servi de l’écouter, au final.

Bien que ses bras eut été retenus par la jeune femme et sa force conséquente, Vasco tenta de se tortiller pour attraper le poignet de Jelena, et le serrer avec douceur. Eden, qui le regardait faire depuis un petit moment, se demandait bien ce que Vasco pourrait encore dire et qui pourrait encore l’étonner. L’entendre réciter un passage de la Bible était déjà assez spectaculaire en soit, mais il ne semblait pas prêt à s’arrêter sur sa lancée, les yeux braqués dans ceux de la cheffe d’état, plein de détermination. Tout en laissant Vasco agir au mieux auprès de Jelena, il s’activait à écarter les potentiels fauteurs de trouble qui auraient pu s’approcher d’eux : armé de son fusil, il tirait plus par nécessité que par réelle envie, pour leur faire peur, les intimider, les dissuader d’approcher trop près.

— Tu t’en veux pour Amali, c’est pour ça qu’elle est encore là.

— Pardon ? s’étrangla t-elle.

— Même si vous m’avez tout mis sur la gueule, tu sais très bien que j’ai rien fait et que le seul fautif c’est Théo. Que c’est lui qui a tiré sur Amali, avec aucun motif, que dalle. Et tu t’en veux sur deux points : m’avoir accusé à tort, et pas avoir réagit à temps pour arrêter Théo dans sa folie.

Amali, qui s’était assise à même le sol, hocha la tête d’un air entendu, désignant Vasco d’un doigt équivoque :

— Wouah. Il a une super analyse. On est loin de son sale caractère de d’habitude.

Jelena grinça des dents, se défit de la prise de Vasco pour lui attraper la gorge, et se mettre à serrer. Avec une colère sifflante, elle se baisse à nouveau pour appuyer son regard, et intima au jeune homme de poursuivre, s’il l’osait.

—. Aujourd’hui u as l’opportunité de l’arrêter avant qu’il ne fasse encore plus de mal… ! Le laisse pas faire à d’autres ce qu’il a fait à Amali, s’il te plaît… !

La prise de Jelena était des plus douloureuses : à mesure que les secondes se&grainaient, il sentait son air se faire de plus en plus rare. Ce n’est qu’au bout d’un certain temps passé dans un silence aussi tendu que réflectif que Eden se décida à intervenir, écartant la jeune femme d’un coup de pied dont la brutalité étonna Vasco. Se tournant sur le côté pour reprendre son souffle, il se replia sur lui-même quelques instants, le temps que Eden ne se rapproche de Jelena pour lui coller le canon de son arme contre le front. Au moindre geste, il n’irait pas jusqu’à la tuer, mais la rendrait en incapacité de leur nuire, il en faisait la promesse solennelle. Derrière lui, il entendit Vasco tousser à s’en décrocher les poumons, puis se relever pour s’approcher de lui.

— Si je m’occupe de l’arrêter, reprit-il finalement en s’accroupissant devant la jeune femme, je vais être obligé de le tuer. Et on sait tous à quel point tes soldats ont foi en lui. Si moi je le tue, ils n’arrêteront pas le combat, au contraire. Si toi tu t’en occupes en revanche…

Il marqua une pause, balaya la zone d’affrontement d’un regard chargé de sincérité qui fit tilt, dans la tête de Jelena. D’un regard, elle était passé de sceptique à intéressée par l’analyse de Vasco :

— Tous ces gens qui se battent, ils ont confiance en toi et en ce que tu véhicules, c’est pour ça qu’ils sont là. Tu es leur cheffe, et en tant que cheffe on peut être amené à faire des choix difficiles. Le moment est venu Jelena, ton choix difficile il est là : stopper Théo une bonne fois pour toute, ou le laisser vivre et t’attendre à voir d’autres gens que tu aimes mourir sous ses coups.

Les yeux de la jeune femme, grand ouverts, laissaient transparaître toute l’admiration entremêlé de réalisations qu’elle ressentait à ce moment-là. Ses lèvres se mirent à bouger, comme si elle préparait sa réponse avant de la prononcer à haute voix.

De sa main, Vasco abaissa l’arme de Eden, lui fit signe de la laisser s’exprimer sans la menace de l’arme contre son front.

— On pourra pas l’arrêter. S’il se doute de quoi que ce soit, il nous irradiera et ce sera fini.

— Tu maîtrises le feu, rétorqua t-il. Tu es puissante, arrête de croire que Théo l’est plus que toi. Il est plus dangereux c’est sûr, parce qu’il agit sans réfléchir. Mais toi tu n’es pas comme lui.

— Il a raison, ajouta Amali. Tu n’es pas comme lui, tu as encore les capacités de discerner ce qui est juste, de ce qui ne l’est pas.

Alors qu’elle ouvrait la bouche pour répondre, une ombre surfit tout à coup derrière elle. Vasco et Eden n’eurent pas le temps de se rendre compte de ce qu’il se passait que déjà deux mains d’une puissance inégalée se refermaient autour de la tête de Jelena. Le temps se figea : ils n’entendaient, ne voyaient plus rien de l’affrontement, hormis les mains autour de la tête de Jelena.

La seconde qui suivit, la jeune femme s’écroulait en avant, les yeux grand ouverts, la nuque brisée.

    Jon n’en revenait pas. Pire que de l’étonnement, c’était plutôt une déception, immense et dévorante, qui l’avait saisie à la gorge lorsqu’au milieu de toutes les voix qui se rencontraient sur les champs de bataille, il avait discernée celle de Vasco. Sa voix si reconnaissable, s’adressant directement à son meilleur ami, celui qui était censé être enfermé à Annecy, dans le bureau des éducateurs où il l’avait laissé en partant, en sécurité.

Il avait tout d’abord décidé d’ignorer les manigances de Eden en Vasco en se persuadant qu’en cas de problème, l’ancien soldat du Phoenix pourrait défendre le résistant, puisque depuis sa lâcheté face à Théo, il semblait vouloir se racheter par tous les moyens possibles et inimaginables. Après tout, s’il vouait se la jouer grand homme en s’occupant de celui qu’il avait rendu inapte à se battre gra^ce à son don, grand bien lui fasse.

Mais lorsqu’il avait entendu leurs voix se mêler à celle de Jelena, leur discours sur le pardon et l’acceptation du changement, il n’avait pu se résoudre à les ignorer d’avantage.

Que Eden souhaite faire la charité à Vasco, soit, il le cautionnait. Mais qu’il accepte de s’allier avec celle qui était responsable de tous leurs maux, celle qui n’avait pas su gérer ses troupes au détriment des actes atroces commis par ces derniers ? C’était hors de question.

Lorsque le corps de Jelena s’écroula à ses pieds, il mit quelques instants avant de capter les yeux de Eden et Vasco, restés stupéfaits face à son apparition aussi soudaine que brutale.

Si Vasco ne bougea pas, sidéré d’avoir été coupé dans son dialogue avec Jelena d’une telle façon, Eden lui bondit en avant pour attraper Jon par le tee-shirt et le tirer à sa hauteur.

Sérieusement ? signa t-il vivement. Sérieusement ?

— Quoi sérieusement ? C’est toi qui me parle de sérieux alors que tu te trimballes gaiment en plein milieu d’une zone de guerre civile avec aucune autre protection que ce connard ?

— Je suis en capacité de me défendre seul figure-toi !

Ses yeux se mirent à briller de leur particulière lueur verdoyante qui apparaissait à l’époque lorsque son don était actif, ce qui fit sourire Jon avec amertume. De toute sa hauteur, il toisa son meilleur ami, avant de froncer les sourcils et de lui attraper les poignets, l’empêchant ainsi de lui répondre en signant :

— Je crois que tu saisisses pas la situation, reprit-il d’un calme qui effraya Eden tant la situation ne s’y prêtait pas. Tu es en danger ici. Je te rappelle que Théo en a après toi, et que ce s’apparente l’a déjà laissé te faire du mal. Qu’est-ce qui t était croire qu’il le laissera pas faire à nouveau aujourd’huis i Théo le menace de le cramer vivant dis-moi ?

— Jon il…, tenta Vasco.

— Toi je t’aies pas demandé ton avis. Je prends déjà sur moi pour pas te péter les jambes, alors la ramène pas trop.

— Lui péter les jambes ? Non mais tu t’entends parler sans déconner ?

Lorsqu’ils vivaient au foyer, dans la même chambre, rares étaient les fois où Eden s’énervait. Il lui arrivait d’être en désaccord bien sûr, de lui livrer de grandes tirades sur le « pourquoi » de son mécontentement, mais les fois où il s’agitait en criant étaient rares et souvent révélatrices d’une corde qui se rompait après avoir été trop étirée.

À ce moment précis, face à son meilleur ami qu’il connaissait pourtant depuis longtemps, Jon reconnut cet état d’agitation et de rage relatifs à ces moments de décompression que Eden en s’autorisait que rarement. S’il avait pu, et qu’il en avait eu la force nécessaire, Eden lui aurait sans doute sauter à la gorge pour le frapper. Sauf que les choses étant ce qu’elles étaient, il se contentait de le fixer, les yeux d’une luminescence aveuglante, les nets serrées à s’en faire mal.

— Tu as tué Jelena de sang froid, sans aucune hésitation.

— J’ai fait en sorte que tu ne fasse pas une connerie en t’allaient avec cette folle. Soit content que je laisse Vasco traîner dans les parages, c’est déjà largement louable.

— Tu n’as pas à choisir avec qui je m’allie ou non ! Tu n’es ni mon père, ni mon frère, ni mon mec ! Je n’ai aucun ordre à recevoir de toi, surtout concernant ce conflit que tu as déclenché ! Si ces gens se battent, c’est à cause de toi alors arrête de dire que les méchants ce sont seulement les Phoenix ! On était à ça de faire ne sorte que Jelena fasse stopper le conflit en éliminant Théo et toi tu lui brises la nuque ? Il te reste un minimum de neurones où ça y est, le virus t’as totalement déglingué ?

Jon était interdit, fixait les mains de son meilleur ami s’agiter dans la colère et l’incompréhension. Avec l’énergie du désespoir, il tentait de le persuader que sa façon de penser n’était pas la bonne, ce qu’avait tenté de faire Jelena des années durant vis à vis de Amali. Ses lèvres se pincèrent en une fine ligne mordante qui mit Vasco en alerte : il ne pensait pas Jon capable de s’en prendre à Eden, mais préférait tout de même être prudent.

Jon fit un pas pour se rapprocher de Eden et répondre, les sourcils froncés de désapprobation, avant de se stopper dans tout mouvement. Les gestes en suspend, il semblait écouter quelque chose que seul lui était capable d’entendre. En une fraction de seconde, son visage passa d’une grimace réprobatrice à un air entre l’horreur et le scepticisme. Sans laisser à qui que ce soit le temps de comprendre, il attrapa Eden par le bras, avant de se propulser en l’air d’un bond puissant qui fit virevolter la poussière tout autour d’eux. Vasco se couvrit les yeux pour ne pas recevoir trop de poussière, avant de suivre la trajectoire du résistant, qui suite à son bond, sembla atterrir du côté où, quelques dizaines de minutes plus tôt, ils avaient abandonné Erwan et Iverick.

Erwan, pensa t-il soudainement.

Sans réfléchir, et malgré la faiblesse de son corps trop longtemps resté immobile dans la cellule du centre, il se mit à courir, le cœur au bord des lèvres.

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