Chapitre 2 - 2

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Après leur déménagement, elle changea d'école. Peu à peu, elle fit la connaissance des unes et des autres. Toutefois, les filles se connaissaient déjà depuis longtemps et les clans étaient constitués. Des copines éphémères se succédèrent sans réel attachement. L'amitié partagée des années auparavant avait été si fugitive.

Dans ce nouvel établissement, les religieuses se montraient aussi tristes, sévères et revêches. Certaines enseignantes offraient une attitude sympathique, mais d'autres s'avéraient d'une grande rudesse.

A la piscine, la professeure de sport l'avait attrapée par un bras et lancée au milieu du grand bain où elle n'avait pas pied. Après plusieurs tasses, la fillette qui ne savait pas nager, s'était accrochée aux maillots de ses camarades pour se maintenir à la surface et, dès qu'elle l'avait pu, s'était faufilée, dans une annexe pour s'y cacher. Chaque semaine, elle angoissait à l'approche de la séance de natation qui, au lieu de la faire progresser, ne faisait qu'amplifier ses difficultés. Sa peur de l'eau s'était maintenant muée en panique et l'odeur du chlore, spécifique à ces locaux, l'avait hantée pendant des années. Ce n'est qu'à l'adolescence qu'elle était parvenue, seule, à exécuter la brasse correctement.

De cette victoire, elle retirait une certaine fierté qu'elle gardait au fond d'elle et en déduisait que, pour affronter ses apprentissages, la solitude et la tranquillité relative qui l'accompagne entraînait plus d'efficacité, du moins dans son cas. C'est peut-être à ce moment-là qu'elle réalisa l'intérêt de ne compter que sur elle.

Elle s'étonnait de réussir à se débrouiller seule, même quand le défi se révélait compliqué à relever. S'efforçant de garder la tête haute, malgré des remarques désagréables, humiliantes, elle luttait à la fois pour intégrer des notions mais aussi pour parvenir à ignorer les réflexions. Cela devenait fatigant, inutilement usant.

*

Au fil du temps, le règlement des écoles religieuses s'assouplit et accorda un peu plus de liberté aux élèves. Les punitions s'avéraient alors justifiées, leur application plus contraignante qu'humiliante.

Parce qu'en effet, il arriva que la petite fille se fasse réprimander pour ses échanges intempestifs pendant les cours. Et même parfois pour des fous rires. À treize ans, le manque de communication avec ses parents entraînait des carences d'information qu'elle tentait de combler à l'école. Les copines, plus averties, constituaient une source de connaissance bien utile. Aussi les interrogeait-elle sur les transformations de leurs corps, sur celui des garçons également. Elles répondaient avec des termes faciles à comprendre qui, au moins, ne l'effrayaient pas. La gêne qui suivait certaines révélations provoquait parfois des rires irrépressibles, fort peu appréciés des professeurs.

Malgré toutes ces discussions, ce fut une religieuse qui lui apprit l'existence des règles et ce contexte lui fit mal. Dévoiler ce genre d'information ne revenait-il pas à une maman ?

La légèreté de l'enfance s'enfuyait peu à peu, l'insouciance s'échappait.

*

De retour de l'école, elle rangeait sagement son cartable dans sa chambre. Certains jours, sa mère se détournait quelques instants de ses occupations pour lui préparer son goûter, puis elle disparaissait à nouveau dans une autre pièce, sinon, la fillette se servait en silence. Chacun de ses parents étant affairé à des tâches diverses, la petite dégustait son festin sans bruit puis s'attelait à ses devoirs.

Elle aurait aimé leur raconter ses journées, leur parler de ses apprentissages ; lorsqu'elle ramenait de bonnes notes, elle aurait tellement apprécié entendre un compliment.

Débarrassée de ses leçons, elle filait dans le jardin où elle guettait avec impatience le retour des beaux jours qui lui permettaient de rester plus longtemps dehors, à son illusion de liberté.

En grandissant, même le parfum des fleurs ne parvenait plus à la rassurer et à la transporter vers d'autres mondes faits de rêves. De plus en plus, elle peinait à s'évader.

À l'école ou à la maison, sa timidité, au lieu de s'estomper, se renforçait avec les années pour se traduire, dans les meilleurs des cas, par des bafouillages, la plupart du temps, par un silence insurmontable. Très souvent, elle baissait les yeux, se défilait pour contourner sa gêne. Tenter de passer inaperçue, comme si elle n'était pas là. Comme si elle n'existait pas.

Parfois, elle s'étonnait de ne plus être triste dans sa solitude, ou plus autant. Elle réalisa progressivement qu'elle avait créé sa bulle protectrice dans laquelle elle naviguait avec une sorte de confort. Celle-ci lui permettait sinon l'oubli, au moins la distance, l'évasion très provisoire de son quotidien. La résignation faisait partie intégrante de sa vie. Elle composait avec le caractère des uns, le rejet des autres, la versatilité de certains.

Lors de ses promenades dans le jardin, du haut du cerisier, un merle la regardait, goguenard. Il devait se demander ce qu'elle faisait là, sotte et inutile comme elle l'était.

*

Lorsqu'une envie commença à éclore en elle, elle n'eut pas à en chercher bien loin l'origine. À la campagne, les paysans côtoyés pendant les vacances possédaient des chiens qui l'accueillaient chaque fois en lui faisant la fête. Ils étaient heureux de la retrouver et elle aussi en était heureuse. Ils l'aimaient et le lui montraient.

Quel bonheur ce serait d'avoir un chien ! Elle partagerait avec lui des jeux, des rires, lui raconterait ses journées, ses rêves.

Un ami. Un véritable ami qui penserait à elle et à qui elle penserait, pour qui elle compterait. Un être dont elle caresserait la tête avec tendresse et qui lui témoignerait de l'affection à grands coups de langue.

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