Chapitre 4 - 2

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Le lundi suivant, je me rends à la consultation du docteur Chopin, ravie d'avoir un motif de quitter cette maison à l'ambiance, par moments, trop nébuleuse. Je vais revoir celui qui me prête attention et cherche avec moi l'origine de mes absences, une réponse à mes interrogations. Son attitude ouverte, dynamique me transmet une énergie que je retrouve peu à peu au fond de moi.

Dans un premier temps, avec un demi-sourire, il se réjouit de ma voix retrouvée et considère cette avancée comme tout à fait encourageante. Une nouvelle fois, il exprime sa confiance, présageant que je retrouverai ma mémoire sous peu.

Je ne sais pas si je tiens vraiment à me remémorer des événements qui me paraissent, pour certains, bien troubles, bien rudes… Pourtant, il le faudra bien.

— Docteur, comment expliquez-vous que j'aie retrouvé ma voix ?

— Le choc que vous avez subi en apprenant le décès de votre compagnon peut en être l'explication.

Ces paroles me laissent songeuse.

— Pourtant, et le policier m'en a fait le reproche, je ne ressens aucune émotion.

Une nouvelle pause.

— Parfois, pour se protéger dans une situation difficile, on se durcit.

Un hochement de tête reçoit son information.

— Avez-vous pleuré récemment ? poursuit-il.

Sa question me parait un peu absurde et provoque chez moi un haussement de sourcils.

— Non.

— Comment vivez-vous le contact avec votre amie ?

— Elle est gentille, prononcé-je, sans trop de conviction.

— N'y a-t-il pas un lien affectif entre vous ?

— Sans doute.

— Comment se manifeste-t-il ?

J'ai envie de lui répondre qu'il ne se manifeste pas, du moins de mon côté.

— Elle m'accueille chez elle.

— N'échangez-vous pas des gestes traduisant une certaine affection ?

— Elle, quelquefois. Moi, non.

— Pourquoi ? demande-t-il sur un ton posé.

Cette interrogation me perturbe, je bafouille.

— Je… ça ne vient pas. Je ne sais pas comment dire… Je me sens… fermée, dure. Il me semble que ce n'est pas vraiment moi.

— Pas vraiment vous ?

Décontenancée par ce constat, je regarde mes mains glacées, raidies.

— Vous vous souvenez qui vous êtes ? continue-t-il.

— Non, des ressentis restent tapis au fond de moi.

— Donc, certaines choses remontent.

— Quand pensez-vous que ma mémoire va revenir ? m'agacé-je.

— Il m'est impossible de vous répondre.

— Pourtant, ma voix est revenue brutalement.

— Dans ces domaines, il n'y a pas d'explication réellement scientifique. Le cerveau est une machine sophistiquée dont on est loin d'avoir exploré tous les rouages, m'assure-t-il de sa voix calme.

Déçue par ce retour si vague, je croise les bras, me refermant un peu, me contractant pour faire front.

— Faîtes-vous encore des cauchemars ?

— Oui, mais pas toutes les nuits.

— Se traduisent-ils toujours de la même façon ?

Je dois encore affronter ces fantômes terrifiants et ce tapage macabre.

— Ce sont, à chaque fois, des sons rauques et d'autres plus aigus, des coups…

— Des coups sur quoi, sur qui ?

Quelques secondes défilent pendant lesquelles, sourcils froncés, je combats mon refus d'identifier les éléments.

— Je ne m'étais pas posé la question. Je ne sais pas… Ce sont des bruits mats…

Il attend un peu, me laissant réfléchir. Son stylo dessine une arabesque.

— Parvenez-vous maintenant à apercevoir un visage ?

Je ferme les yeux quelques secondes, tentant, malgré mon anxiété, de visualiser les images.

— Non, tout est flou, déformé, dis-je, les poings serrés.

— Des couleurs ?

— Des couleurs ? répété-je avec étonnement.

— Oui, vos visions ont-elles évolué ? Prenant un peu plus de précision…

— C'est curieux, oui, elles ont un peu de couleurs alors qu'elles n'en avaient pas au début.

Il hoche la tête.

— Distinguez-vous ce qui se passe ?

Je frotte mon front, j'ai tellement envie de chasser tout cela.

— Non.

— Je comprends que vous ne vouliez pas vous immerger plus loin mais cela est nécessaire pour avancer.

Il ne peut pas mesurer l'ampleur de mes tourments. Gigotant sur mon siège, je cherche une position confortable.

— Docteur, j'ai peur de ce que je vais découvrir, même mon amie refuse de répondre à mes questions. Qu'est-ce que ça signifie ?

— Je ne suis pas en mesure de vous le dire. Mais je sais que, pour reprendre le cours de votre vie, vous devrez faire face à vos angoisses et visualiser ce qui vous terrifie pour les décrypter. Ce n'est qu'à ce prix que vous parviendrez à prendre le dessus.

Son affirmation, quoique contrariante, m'incite à poursuivre mes investigations.

Un profond soupir s'échappe de ma bouche. J'agrippe les accoudoirs et baisse à nouveau mes paupières, bien décidée à déchirer le voile gris qui camoufle ces spectres violents.

— Des formes sombres gesticulent avec brutalité.

— Combien y en a-t-il ?

— Quelque chose vient de heurter le mur à côté de ma tempe.

— De quoi s'agit-il ?

— Il y a tellement de cris, murmuré-je, les jointures de mes doigts devenues blanches.

— Qui crie ?

— Pourquoi cette agressivité incroyable, cette colère sans fin ?

Après une respiration difficile, je reprends :

— Un poing a encore cogné la paroi… un râle accompagne le choc.

— Qui a tapé ? Voyez-vous son visage ?

— J'entends…

— Dites-moi.

Je frissonne sans parvenir à endiguer mon malaise.

— J'entends mon prénom.

Mes ongles rentrent dans ma chair.

— Qui le prononce ?

Je transpire, j'ai froid.

— C'est une voix d'homme.

— La reconnaissez-vous ?

Ma gorge nouée me refuse l'air attendu.

— Il est dans l'ombre.

Je tremble, je grelotte.

Pourtant, je me force à garder les yeux clos.

— Il… Je ne veux pas… Je ne peux pas…

Mes bras se lèvent pour protéger mon visage.

Je veux continuer.

Si seulement je parvenais à respirer.

— De qui parlez-vous ?

— J'ai envie de crier mais je n'y parviens pas, prononcé-je d'une voix éraillée.

Mes phalanges agressent l'accoudoir, mes doigts se vrillent.

Une boule tenaille ma trachée, la rend douloureuse. Je m'efforce d'ignorer ma souffrance et tente de reprendre mon souffle. J'ai mal. Je cherche de l'air.

*

À mon réveil, ce matin, je me sens fatiguée, ma tête tourne et mon estomac est sens dessus dessous.

Hier soir, nous nous sommes couchés tard, après avoir longuement discuté, essayant d'élucider les derniers événements. Olivier était abasourdi. Cécile avançait des éventualités pour comprendre ce qui est arrivé à Patrick. Par moment, elle me jetait des coups d'œil, semblant chercher auprès de moi des réponses que j'étais bien incapable de fournir. Trop d'éléments nous manquaient pour entrevoir une explication plausible. Désarmés et à court d'idées, nous avons fini par abandonner.

Mon sommeil a encore été perturbé par de nombreux réveils et des cauchemars pénibles.

Toutefois, ni notre veillée pleine d'interrogations ni le manque de repos ne paraissent être la cause de mon malaise.

Je suis barbouillée. Un vertige perturbe mon équilibre.

Je me traîne jusqu'à la cuisine.

Me voyant avachie, Cécile s'approche, elle me tend un bol de café chaud et une tartine.

— Désolée, je ne peux rien avaler, j'ai la nausée.

Elle m'observe avec attention, puis me pose une série de questions ciblées afin d'identifier mes symptômes et d'en déterminer les causes. Puis, la voilà qui file à la pharmacie.

À son retour, elle me tend un test de grossesse.

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