Chapitre 10 : Avorian (chapitre remanié)
Lorsque cette curieuse sensation disparut, je me retrouvai allongée sur une surface moelleuse.
J’ouvris mes paupières. Je ne reconnaissais pas ma chambre. Contrairement à tout à l’heure, aucun lien ne m’attachait. Je m’assis sur le lit blanc.
Un homme assez âgé, aux yeux gris d’une profondeur insondable, se tenait à côté de moi. Il représentait l’archétype même du sage ou du magicien, dont lui manquait juste la longue barbe. Son allure digne et son élégant kimono bleu-ciel tenu en place par une large ceinture dorée évoquaient en moi l’image d’un noble samouraï. Finalement, en l’observant bien, je ne parvenais pas à deviner son âge. Sa peau parfaitement lisse et imberbe le rendait juvénile, alors que son attitude posée, ses cheveux blancs mi-longs scintillant sous la lumière du soleil trahissaient les signes d’un âge avancé.
Une douce brise caressa mon visage ; les rayons du soleil réchauffaient mes joues. Je tournai la tête et découvris à ma droite une petite ouverture ronde dans le mur menant vers l’extérieur, comme une fenêtre, mais sans vitre.
Le jour s’était donc levé. Je me sentais désorientée.
– Tu as passé un dur moment, me dit-il d’une voix douce et mélodieuse, arborant un sourire chaleureux. Repose-toi. Il ne t’arrivera rien ici. Tu es en sécurité. Je te raconterai tout plus tard. Dors, maintenant.
Sans pouvoir me l’expliquer, sa présence me rassurait. J’aurais voulu lui parler, mais j’étais bouleversée, à bout de forces. J'avais beau lutter, le sommeil me gagna rapidement.
Je m’éveillai difficilement, un peu sonnée. Ma migraine s’estompait.
L’homme au regard pénétrant semblait avoir veillé sur moi durant mon sommeil. Il m’avait changée : je portais une chemise de nuit blanche.
Le visage paisible, il me demanda :
– Comment te sens-tu, Nêryah ?
– Mieux, enfin… je crois. Je suppose que vous m’avez sauvé la vie, merci ! Tout le monde semble connaître mon nom ici. Où suis-je justement ? Et cette colonne lumineuse ?
– C’est une technique de téléportation, un transgèneur. Elle permet de transporter ton corps d’un endroit à un autre. Le transgèneur modifie les fréquences des cellules pour leur permettre de circuler librement à travers l’éther. Arrivé à destination, ton corps se reforme instantanément. C’est le principe de la volatilisation. Un moyen de transport pratique, quoiqu’un peu complexe à utiliser, et surtout extrêmement dangereux.
Je le considérai avec des yeux ronds.
– Nêryah, tu n’es plus sur Terre.
Je pris le temps d’intégrer à nouveau cette révélation.
– Qui êtes-vous ?
– Je m’appelle Avorian . Je suis un habitant de la planète Orfianne, ton monde natal.
– Avorian, répétai-je, pensive. Ah ! L’homme masqué m’a parlé de vous. Il m’a dit que vous m’avez placée sur Terre, alors que je suis née dans un autre monde.
– Tu es née ici, sur Orfianne. Nous avons été contraints de te placer dans un monde plus sûr. La Terre coïncidait parfaitement avec notre planète. C’était le meilleur endroit pour toi. Bien sûr, pour le moment, tu ne comprends rien, j’imagine.
Je continuais de le dévisager, abasourdie.
– Peux-tu te lever ?
J’acquiesçai d’un hochement de tête.
En sortant du lit, je me rendis compte que les lésions à mes poignets avaient disparues, ne laissant aucune cicatrice. Avorian nota mon regard perplexe sur mes avant-bras.
– Oh, je t’ai soignée, tu peux bouger normalement.
– Euh… merci !
Ce monde parallèle, mes plaies miraculeusement guéries, je tombais en pâmoison, perdue au milieu de toutes ces révélations invraisemblables.
Mon sauveur m’aida à me remettre debout et me conduisit dans un vestibule. Une atmosphère paisible régnait dans cette maison. Le sol en pierre polie et les murs enduits de terre crue me donnaient l’impression d’avoir été transportée dans une autre époque, comme si la technologie n’existait pas ici. J’examinai les lieux, et en effet, aucun objet ne se rapportait au monde moderne.
Une grande ouverture en forme d’arche, sans porte, ni vitre, donnait sur l’extérieur. Avorian avança une main au milieu du passage, une onde s’anima sous ses doigts. Des cercles concentriques se dessinèrent dans le vide. Nous traversâmes la porte invisible.
Quel magnifique jardin !
La nature. Pure, vierge. Sans poteaux électriques, ni béton, pas le moindre aménagement artificiel.
Seulement des arbres immenses, aux branches alourdies par des fruits de toutes variétés. Certains s’apparentaient au ramboutan, d’autres au catalpa avec leurs larges feuilles d’un vert chatoyant et leurs longues gousses suspendues dans les ramures. Pieds nus, je marchais sur un sol composé d’une sorte de trèfle et de mousse soyeuse. Pas un brin d’herbe.
Des fleurs semblables à des strelitzias bordaient un ruisseau. J’humai leur odeur suave, fruitée. Je me dirigeai vers un bassin d’une eau limpide ornée de petits parterres aux plantes colorées.
Émerveillée, je contemplai la maison de mon sauveur, frappée par sa beauté et sa simplicité. La bâtisse couleur ocre, conçue probablement en torchis, prenait la forme de deux larges monticules symétriques, et se fondait en harmonie dans le décor. Cette splendide construction toute en courbes ne possédait pas de toiture. Elle se composait uniquement de terre crue. Je ne remarquais aucune porte ni fenêtre à proprement parler, seulement ces ouvertures rondes taillées dans les murs. La lumière passait ainsi sans entrave. Qu’en était-il de la pluie, du froid et du vent ? Peut-être que l’onde magique les empêchait de pénétrer la maison, la protégeant des intempéries.
Entre cette nature préservée, la demeure d’un autre temps d’Avorian, le vieux château de Sèvenoir, et ces deux extraterrestres un peu trop humains à mon goût, j’avais vraiment le sentiment d’avoir remonté le temps.
Et pourtant, lorsque je pointai mon regard vers le ciel sans nuages, je découvris une autre planète. De couleur beige, elle semblait plus imposante et plus proche de l’atmosphère que notre Lune. Quelques nappes d’un blanc nacré se déplaçaient lentement autour de l’astre. Je réalisai à présent l’incroyable vérité. Je ne me trouvais pas sur Terre, mais bel et bien sur cette planète nommée Orfianne.
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