Chapitre 25 : Liana (chapitre remanié)
La journée commença par une série d’exercices préparatoires : mouvements, respiration, méditation. Je m’entraînais à ressentir l’énergie d’Orfianne, à la faire naître dans mes paumes en boules de lumière, rayons et boucliers protecteurs.
Après m’être appliquée consciencieusement, nous fîmes un brin de toilette puis reprîmes la route. Vaste et profonde, la forêt s’étirait à perte de vue, offrant à nos regards admiratifs mille teintes luxuriantes. Les doux rayons du soleil illuminaient un paysage changeant : les arbres prenaient de la hauteur ; leur majestueuse ramure créait de larges zones d’ombres. J’observais un grand nombre de fougères arborescentes, teinte tropicale dans cette nature enchanteresse. De petites fleurs violettes tapissaient le chemin ; à chaque pas j’humais leur délicat parfum. Les mélodies cristallines des oiseaux m’aidaient à progresser de longues heures sans me reposer.
À ma grande déception, les Moroshiwas ne se montrèrent toujours pas.
Orfianne ressemblait vraiment à notre planète, tant par sa faune que par sa flore, mais en plus prospère. « Une version 2.0 de la Terre », aurait dit mon amie Chloé. Imaginer cette remarque me laissa un goût amer dans la bouche. Je ne pouvais plus revenir chez moi. Ni revoir mes proches, qui ne se souvenaient même plus de mon existence. Je déplorais leur absence. Chloé se serait extasiée devant tout et n’importe quoi. Ensemble, nous aurions fait face à cette nouvelle vie.
Je levai le menton avec rancœur, ravalant mes larmes.
Chemin faisant, une très belle fleur rouge attira mon attention. Son effluve enivrait mes narines. Soudain, ses pétales remuèrent. Je m’approchai, intriguée.
– Oh ! Il y a une Fée dans cette fleur !
– Les Fées adorent s’y prélasser. Elles se nourrissent principalement de bourgeons et de pollen.
En songeant aux insectes terrestres, je réalisai que n’avais pas encore vu de mouches depuis mon arrivée sur Orfianne. Je pariais que dans ce monde paradisiaque, les moustiques n’existaient pas, et supposais que les Fées et les papillons remplaçaient le rôle des abeilles en répandant du pollen lors de leur envol. Peut-être fabriquaient-ils également du miel ?
– Pouvez-vous me parler du cycle des saisons ?
– La démarcation des saisons est moins flagrante que sur Terre. Cette région équatoriale offre un printemps continuel, tandis que l’hiver règne éternellement dans les royaumes du nord. Les déserts, quant à eux, ne connaissent presque pas la saveur de la pluie.
La Fée bondit promptement de la fleur. Elle me considéra avec des yeux ronds. Son apparence se confondait avec l’environnement : sa peau vert-pâle rappelait la couleur de la tige, et sa robe rouge, les pétales. Avec ce camouflage, on pouvait s’y méprendre et cueillir l’enchanteresse au lieu de la fleur.
– Qui es-tu ? me demanda-t-elle d’une petite voix stridente.
– Nêryah.
– Nêryah de la Terre ? Tu es enfin de retour ! Je m’appelle Liana. Sois la bienvenue sur Orfianne !
J’allais répondre « merci », lorsque Avorian m’interrompit :
– Nous devons poursuivre notre route, Arianna nous attend !
– Je vous y rejoindrai plus tard ! répondit Liana.
Après une petite demi-heure de marche, nous arrivâmes au bord d’une étendue d’eau. Je remarquai au loin, en face de nous, des animaux semblables à des biches, avec pour seule différence leur pelage clair et luisant. Le troupeau dut nous apercevoir : tous braquèrent le museau en notre direction. Quelques minutes plus tard, chacun vaquait de nouveau à ses occupations – c’est-à-dire boire et paître.
Pendant que mon compagnon de route cherchait des fruits, je me baignai tout en les étudiant, prenant soin de ralentir mes gestes pour ne pas les effrayer. L’eau fraîche apaisa la fatigue de mes muscles endoloris. Je nageais lentement, profitais de cet instant de répit, émerveillée par la grâce des biches. Je conservais une bonne distance entre elles et moi pour respecter leur espace vital.
Soudain, elles détalèrent, manifestement apeurées par quelque chose. J’aperçus au loin ce qui les menaçait : des masses sombres, très nombreuses ! Elles ne possédaient pas de forme précise. Leur corps éthéré, coloré d’un voile noir, se déplaçait à la manière d’un fantôme.
Je n’eus le temps de prévenir Avorian, au risque de nous faire entendre. Piégée au milieu du lac, je pris une profonde inspiration et plongeai immédiatement la tête sous l’eau, priant pouvoir tenir le plus longtemps possible en apnée. Je ne pouvais pas nager, ni rejoindre notre campement, les êtres des ombres me repéreraient. Je me sentis totalement vulnérable. Mon corps nu, immergé sous l’eau, tentait de ne pas sombrer dans les tréfonds. La panique me gagna. Le souffle bloqué, je ne tenais plus. Il fallait que je respire ! Mon cœur battait à tout rompre. Les êtres des ombres se trouvaient-ils proches de moi ? Pouvaient-ils flotter au-dessus du lac ?
Je sortis la tête de l’eau, à court d’air.
Je guettais autour de moi, l’angoisse au ventre. Aucune masse ténébreuse. Pas d’animaux non plus. J’atteignis enfin la rive en quelques mouvements de brasse, harassée. À peine arrivée sur la terre ferme, je sursautai à la vue d’Avorian qui revenait de sa cueillette à pas feutrés, sans un bruit, les bras chargés de fruits. Je trouvai la scène particulièrement saugrenue. Il déposa nos provisions.
– Ils sont partis, me souffla-t-il en me tendant ma serviette.
Trop anxieuse pour me rendre compte de ma nudité, je le rejoignis, soulagée de le voir. Je m’enroulai dans le tissu soyeux, tremblant de tout mon corps, les cheveux dégoulinants. Avorian me serra fort contre lui, autant pour me réchauffer que pour me réconforter. J’enfouis ma tête dans les pans de son kimono. Je respirai fort pour expulser ma peur et inspirer sa puissance.
– Tu as eu le bon réflexe, Nêryah, je suis fier de toi.
– Je… je croyais que les êtres des ombres ne pouvaient pas pénétrer le domaine des Fées !
– Je le pensais également…
Le mage détourna les yeux, le visage grave. Confuse, je quittai son étreinte et m’empressai de me rhabiller.
Nous déjeunâmes en silence, à l’affût du moindre bruit, et reprîmes la marche à pas furtifs.
En milieu d’après-midi, Avorian s’arrêta pour m’annoncer :
– Nous approchons du village des Fées.
– Enfin !
Mais à peine avais-je exprimé mon soulagement que nous entendîmes un cri. Une petite voix féminine, qui semblait appeler à l’aide. Nous nous lançâmes un bref regard, puis Avorian me prit la main pour m’entraîner dans une course effrénée, au milieu des bois. Un son de déflagration résonna au lointain. Je serrai les dents, de plus en plus effrayée. Des éclairs colorés se mêlaient aux bruits de combat.
Mon Dieu !
La Fée verte de tout à l’heure étaient aux prises avec une dizaine de ces créatures informes. Des jets d’un noir abyssal fusaient de partout, cherchant à atteindre la pauvre Liana, seule contre tous. Avorian matérialisa un bouclier en un clin d’œil autour de lui. Je l’imitai. Ma sphère protectrice se forma, tandis que le mage usait déjà de son faisceau lumineux contre nos assaillants. Je propulsai mes globes bleutés, qui traversèrent les êtres des ombres sans pour autant leur causer le moindre dommage. Peine perdue ! Avorian faisait bien plus de ravages que moi : deux esprits venaient de succomber à son rayon lumineux.
Les autres ripostèrent en se transformant en une véritable marée de nuages obscurs. Un épais brouillard s’étirait devant nous, jusqu’à nous envelopper. Mon bouclier semblait parfaitement m’en protéger, je me sentis pourtant accablée. Toute la noirceur des pensées négatives des humains, leur désolation, leur culpabilité, se déversait en moi. Leurs émotions refoulées se manifestaient ici même.
Cette douleur oppressante me saisit à la gorge, au point de m’étrangler. Je suffoquais, prise de spasmes, étouffée par le poids de la tourmente humaine. Mes yeux ne s’habituaient pas à cette brume. Mes forces m’abandonnaient. Je réalisai pleinement l’ampleur du pouvoir des êtres des ombres ; créatures nées d’une détresse sans fin.
Notre alliée entonna un chant cristallin. Son aura verte se déploya sur une large zone et dispersa la nuée, tout en englobant nos ennemis. Leurs corps éthérés se dissipèrent peu à peu, jusqu’à se fondre dans la lumière. Avorian s’occupa des derniers survivants à l’aide de son ruban scintillant.
Une fois le danger écarté, nous fîmes disparaître nos boucliers respectifs.
– Je vous dois la vie. Grâce à votre diversion, j’ai pu enfin me défendre. Je serai votre guide et votre alliée, prononça Liana sans autre discours.
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