Chapitre 28 : Une fée comme professeure de magie (chapitre remanié)
Les rayons du soleil me chatouillaient les yeux. Je les ouvris difficilement après cette nuit agitée. À la vue du lit vide d’Avorian, je compris qu’il était temps de me lever. Ce dernier discutait avec Arianna. Liana me fit signe d’approcher et désigna un bol en bois, de taille adaptée à un humain, garni de nourriture.
Je lui adressai un remerciement. J’humai le parfum sucré des fleurs, chassant autant que possible de mon esprit le mauvais rêve de cette nuit.
Je commençais à peine à manger que des Fées de toutes couleurs approchèrent, voletant autour de moi. Soudain, elles attrapèrent des mèches de mes cheveux, et les soulevèrent pour s’amuser à les emmêler.
– Les filles ! Sérieux, si vous voulez jouer avec mes cheveux, rendez vous au moins utiles, et tressez-les, au lieu de faire des nœuds ! les rabrouai-je.
À la fin de mon petit-déjeuner, je me retrouvai avec une multitude de petites tresses – sacrées coquines !
Avorian m’informa qu’il fallait partir dès aujourd’hui en raison du long chemin à parcourir. Comme promis, Liana serait notre guide. Grâce au rituel de la veille, nous allions pouvoir nous rendre sans crainte jusqu’à la grotte des Feux Sacrés. La magie des enchanteresses, plus forte que tout, avait agi sur un large périmètre, et purifié toute la forêt des esprits sombres.
Bien que notre séjour parmi elles fut court, je n’avais nullement envie de quitter nos joyeuses compagnes. Nous les remerciâmes chaleureusement pour leur accueil. Elles nous offrirent une grande quantité de biscuits aux fleurs pour le voyage. Nos provisions regarnies en fruits et en eau, nous nous dirigeâmes vers la sortie du village.
– Attendez ! cria Arianna qui volait derrière nous. J’ai quelque chose pour toi, Nêryah.
La Reine tenait dans ses petites mains blanches une magnifique fleur aux larges pétales de différents tons rosés, garnis de paillettes dorées.
– C’est une fleur magique. Elle ne se fanera jamais. Chaque fois que tu auras besoin de mon aide, arrache l’un des pétales… je viendrai à toi. Utilise-les judicieusement.
En effet, je n’en comptais que six.
– Merci pour tout, Arianna. Je la garderai précieusement et en prendrai soin. Vous allez toutes me manquer, avouai-je en regardant nos amies qui s’étaient regroupées autour de nous.
Une larme glissait sur ma joue. Je souhaitais rester un peu plus longtemps dans ce havre de paix, où les rires des Fées charriaient la brise légère d’un éternel printemps.
Partir d’ici soulevait en moi une nostalgie lointaine. Cette tristesse inattendue me rappelait combien je regrettais de n’avoir pu dire au revoir à ma famille, sur Terre.
– Je t’en prie, ne pleure pas ! supplia Arianna, elle aussi au bord des larmes. Nous nous reverrons vite, Nêryah.
Elle plaça sa main dans la mienne. Ce geste touchant me donna du baume au cœur.
– Liana, je te les confie, ajouta la Reine.
Je me dirigeai à contrecœur vers la forêt. Depuis mon arrivée sur Orfianne, tout ce que j’effleurais du doigt disparaissait sous mes yeux. Ma vie d’adolescente, et maintenant, les personnes que je rencontrais ici, comme si je n’avais pas le droit de m’attacher à qui que ce soit. À qui me fier, désormais ? Comment me reconstruire dans de telles conditions ?
– Ne t’inquiète pas, me dit Avorian tandis que nous nous éloignions du village. Tu vas vivre des moments extraordinaires. Tu rencontreras aussi toutes sortes de créatures. Ce monde recèle de merveilles !
Au bout de quelques heures de marche, nous nous arrêtâmes à un endroit où les arbres se faisaient plus rares. Cette clairière offrait fruits et baies. Nous en cueillîmes. Avorian déterra des racines comestibles avant de s’adresser à Liana :
– Notre jeune amie découvre ses pouvoirs, nous devons nous entraîner. Peux-tu sécuriser les lieux ? La cérémonie est censée nous protéger, mais notre magie semble attirer les êtres des ombres.
– Oui, mieux vaut rester prudents, approuva-t-elle. Je vais créer une onde pour dissimuler notre présence et nos pouvoirs.
Elle s’envola, exerçant des tours sur un large périmètre. Un rayon de lumière turquoise sortit de ses mains.
En attendant qu’elle finisse de protéger la petite clairière, nous commençâmes par les exercices préliminaires : respiration, méditation, mouvements lents des bras, avec les jambes bien plantées au sol, pour capter le fluide d’Orfianne. Le mage m’apprit plusieurs nouvelles techniques et positions de mains. Toujours avec cette notion de polarisation du sort engendré. Ainsi, les paumes restaient légèrement parallèles, afin que l’énergie de la main gauche puisse rencontrer celle de la droite. Les gestes des bras ressemblaient fortement aux formes du Tai-Chi.
Sijia, ma mère Terrienne, pratiquait ces techniques taoïstes qu’elle tenait de ses ancêtres asiatiques. Elle me les avait enseignées durant mon enfance ; apparemment, dans le but de canaliser mon énergie débordante et de me concentrer pour les études. Je me souvenais encore de ses conseils, bien ancrés en moi : « Respire… fais abstraction du monde extérieur. Centre-toi uniquement sur ton corps, ton équilibre intérieur. Arrondis tes bras, puis mets-toi dans la position de l’arbre, pendant deux minutes ». Je devais tenir en équilibre sur une jambe, l’autre repliée, genoux en-dehors, le pied placé sur le haut de la cuisse. Très confortable comme posture.
Tous ces exercices m’avaient finalement préparée à cette vie future sur Orfianne. Drôle de coïncidence ! Et grâce à la danse, je mémorisais et reproduisais les mouvements d’Avorian avec une facilité déconcertante. Ignorant tout cela, il répétait sans cesse que j’étais une élève douée, surprenante, louant mes capacités d’assimilation. Je le laissais dire en souriant. Comment expliquer à un Orfiannais mes innombrables cours de sport et d’art, pour assouvir mon syndrome d’hyperactivité ? Et puis, c’était plaisant pour mon égo.
Liana revint vers nous. Avant que je ne débute mes sorts, elle entoura mon corps de paillettes dorées, comme l’avait fait Arianna pour m’aider à dormir, dans la maison d’Avorian. Son enchantement m’apaisa. Confiante, je m’exerçai à lancer des sphères lumineuses dans le vide, puis des rayons paralysants. Je m’entraînai à construire le fameux bouclier de protection. La jolie Fée verte m’encourageait. Sa présence tranquillisante me permettait de mieux ressentir le fluide de la planète.
Après deux bonnes heures de travail acharné, le mage me proposa de faire un petit duel. J’acceptai en lui priant d’être indulgent.
Je me mis en position, jambes légèrement écartées, mains levées devant moi, comme prête à recevoir un coup. Sans prévenir, Avorian me lança une boule de lumière. Je l’esquivai de justesse, plongeant sur un côté. Il poursuivit avec une autre, sans répit. Je roulai au sol, un peu perdue, alarmée. Je m’agenouillai puis créai deux sphères bleutées, les projetai de toutes mes forces contre lui. Il me les renvoya d’un geste de la main, l’air amusé. Mon Dieu ! Ma propre magie se retournait contre moi !
Je me confectionnai hâtivement un bouclier et les deux globes s’écrasèrent contre lui en un choc retentissant. Effrayée, je me recroquevillai sur moi-même, plissant les paupières, les muscles tendus. J’ouvris les yeux : j’étais indemne. Je soupirai, soulagée, et ne lui laissai pas le temps de m’attaquer. J’expulsai un rayon paralysant beige en sa direction.
À son tour, le mage fit apparaître un bouclier autour de lui en un clin d’œil. Il riposta par un large rayon blanc. Je renforçai mon propre cercle de protection. Il vibra lorsque le jet de lumière l’atteignit. J’usai de toutes mes forces pour qu’il tienne bon. Avorian ne lâchait pas prise. Paniquée, j’observais ce déferlement éblouissant si proche de mon visage, retenu par un simple mur invisible.
La petite Fée nous regardait, incrédule. Le mage, impitoyable, maintenait la pression de son puissant faisceau. À ce rythme-là, mon bouclier cèderait inévitablement sous l’impact. Exténuée, je perdis ma concentration. Mon professeur cessa son offense. Notre petit duel prit fin. Je m’écroulai, essoufflée, en sueur, pantelante.
– Bravo ! s’exclama-t-il. Tu as fait de réels progrès, aucune attaque ne t’a touchée.
Liana m’applaudit, l’expression ravie.
– Dieu merci ! Encore heureux ! m’indignai-je, m’épongeant le front avec un pan de ma manche.
– Tu possèdes une excellente défense. Tu apprends tellement vite ! Mais il faudra bien travailler tes attaques, c’est ton point faible.
– Franchement, j’étais bien trop occupée à contrer vos horribles rayons pour pouvoir riposter. J’ai vraiment eu peur ! Vous êtes impressionnant !
– Rappelle-toi que tes ennemis ne se montreront jamais cléments. Tu n’oses pas encore passer à l’assaut par manque de confiance en toi. Cela viendra avec le temps.
Facile à dire !
Pendant que Liana brisait son mur magique, Avorian m’apprit que je possédais également des pouvoirs de guérison. Cette déclaration m’emplit de joie. C’était pour moi la plus belle des facultés.
– Pouvez-vous m’apprendre à m’en servir ?
– Pas aujourd’hui. Il faut d’abord parfaire tes sorts.
La magie des Fées servait à embellir le monde. Elles ne l’utilisaient pas pour détruire. J’aurais tellement voulu qu’il en soit de même pour mes pouvoirs. Je préférais de loin faire apparaître des fleurs (ou pourquoi pas une licorne !), protéger les animaux et la nature plutôt que de me battre.
Nous trouvâmes un ruisseau un peu plus loin. Une bénédiction pour moi étant donné le stress et la transpiration accumulés. Je m’immergeai dans son eau claire, rafraichissante. J’en profitai pour laver mes vêtements.
Une fois rhabillée, le soleil se couchait déjà.
Les nuages dissimulaient Héliaka. Nous nous reposâmes au pied d’un arbre. Liana vint s’installer au creux de ma main ; sa douce lumière verte me réchauffait le cœur.
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