Chapitre 31 : La grotte des feux sacrés (chapitre remanié)
Je me réveillai sous un ciel bleu, exempt de nuages. Nous partîmes en quête de la fameuse grotte, escaladant les rochers vertigineux. Les rayons du soleil nous brûlaient la peau et laissaient une marque rougeâtre sur leur sillage. Nous nous arrêtions régulièrement pour boire. Nos réserves d’eau diminuaient cruellement.
En fin d’après-midi, nous découvrîmes une anfractuosité qui perforait le flanc de la roche.
– Nous arrivons à la grotte des Feux Sacrés.
Nous avançâmes jusqu’à son seuil. J’adressai un regard inquiet à Avorian. Il faisait noir à l’intérieur. Il m’encouragea d’un petit signe de tête, tandis qu’une boule de lumière apparut dans sa paume. Nous pénétrâmes les abysses et marchâmes prudemment dans un tunnel humide, sans prononcer le moindre mot. J’entendais le son de gouttelettes s’écouler contre la paroi. Le sol rugueux, instable et parsemé de cailloux me donnait mal aux chevilles. Je regrettais mes prodigieuses plantes lampadaires.
La voie se séparait en deux, mon guide s’arrêta devant l’intersection. Il allongea son bras pour éclairer l’entrée des deux galeries.
– Où va-t-on ?
– À toi de choisir… c’est ton épreuve.
– Très bien. Je suis gauchère, alors on va à gauche !
Ma voix résonna dans les sombres souterrains.
– J’espère que tu sais ce que tu fais, me taquina Avorian.
– Non ! Je suppose que si je me trompe, une bête féroce va nous dévorer ? Ou mieux encore, des pièges tranchants vont se déclencher sur notre passage, comme dans Indiana Jones !
– In-dia-na quoi ? tenta de répéter le mage dans ma langue terrienne, incrédule.
– Du cinéma Terrien. Vous ne pouvez pas connaître.
Le mot « cinéma » n’existait pas non plus en Orfiannais.
Je fis quelques pas, et, à mon grand soulagement, rien ne se produisit. J’avais beau me montrer volubile, je ne me sentais guère rassurée pour autant.
Au bout d’une petite heure de marche – et de plaisanteries, histoire de détendre l’atmosphère –, nous débouchâmes dans une vaste caverne. En un clin d’œil, le mage créa une large sphère lumineuse qu’il suspendit dans les airs.
Ô, splendeur !
Des milliers de cristaux colorés, dressés comme une forêt de pics transparents, tapissaient les parois arrondies du temple souterrain. Grâce à cette clarté si soudaine, la géode offrait un feu d’artifice aux teintes diaphanes.
– Ouah ! C’est incroyable !
Je contemplais les pierres précieuses, émerveillée. Un immense cercle de pierres trônait au milieu de la grotte. Je ressentis un flot d’énergie, une sorte d’électricité palpable.
– Déshabille-toi et approche-toi du cercle.
– Pardon ?
– Ôte tes vêtements. Tu dois être entièrement nue pour cette épreuve.
Je le dévisageai d’un air méfiant, sans bouger, à la fois fascinée par la beauté de cet endroit et intriguée par cette injonction.
– Fais-moi confiance, reprit-il en plongeant son regard gris dans le mien. Il ne t’arrivera rien. C’est juste pour éviter un léger désagrément.
Je commençai à enlever mon pantalon, m’arrêtai dans mon geste, gênée.
– Aurais-tu besoin d’aide ?
Je l’observai, de plus en plus déconcertée. Il semblait réellement me poser cette question ! Pas une once d’ironie dans sa voix.
– Ah… je comprends. J’oublie parfois que tu as passé toute ta vie sur Terre, réalisa-t-il. J’ai vu combien les Terriens ont un rapport compliqué, faussé à leur corps et à celui des autres. Ici, nous ne faisons pas de cas de la nudité. Nous possédons tous une tête, deux bras, deux jambes, et quelquefois une queue de poisson pour les Ewaliens. Dans notre monde, la poitrine d’une femme est vue comme nourricière, c’est une grâce offerte par la Vie afin qu’elle puisse nourrir son enfant. Nous ne connaissons pas l’avidité. Notre regard posé sur un corps est pur, dénué d’intentions.
Sur ces mots, il me tourna le dos ; je l’en remerciai intérieurement.
Alors ici, le voyeurisme n’existe pas, songeai-je en français, puisque ce mot n’existait même pas en Orfiannais.
– D’accord, votre rapport au corps est vraiment sain !
Comment pouvait-il si bien connaître les mœurs des Terriens ? Les Orfiannais les observaient-ils par des moyens magiques afin d’étudier leur évolution, et ainsi prévenir de l’arrivée de nouveaux êtres des ombres ?
Je m’exécutai et m’avançai, hésitante, vers le cercle de pierre. Soudain, un feu de couleur bleu clair jaillit en son centre, projetant sa lumière sur les innombrables cristaux. Surprise, je reculai et poussai un petit cri de stupeur.
Avorian, toujours le dos tourné, tenta de me tranquilliser :
– Ne t’inquiète pas. Comme tu peux le voir, ce n’est pas un feu ordinaire. Il ne brûle pas les personnes au cœur pur, tu es donc hors de danger. En revanche, il aurait détruit tes vêtements.
Le cœur pur ? Comment savoir ce genre de chose ?
Peu importe, nous n’avons pas fait tout ce chemin pour renoncer maintenant.
En m’approchant des flammes, une force magique envahit l’espace. Mon corps tout entier frémit en réponse. La géode, éclatante d’une lumière arc-en-ciel, vibra au même rythme que mes membres, tel un tremblement de terre aux palpitations douces et régulières. Cette osmose entre la grotte et moi m’emplit d’un mélange d’émerveillement et de respect.
Sans vraiment contrôler mes pas, je me plaçai instinctivement à l’intérieur du cercle, dans le feu. En effet, il ne me brûlait pas. Au contraire, ses flammes turquoise me chatouillaient délicatement la peau. J’avais l’impression de flotter. Puis, le foyer magique s’anima et se déplaça d’un coup, comme poussé par une bourrasque invisible. Il entra à l’intérieur de mon corps par mon nombril et par ma bouche. Un esprit pénétrait le mien, me vidait de mes vieilles énergies du passé pour me remplir d’une ardeur nouvelle.
Je ne parvenais plus à respirer, incapable de me souvenir du mécanisme qui remplissait mes poumons. C’était une véritable renaissance. On m’insufflait l’essence même du souffle vital. Tout redevint silencieux. Je respirais à nouveau.
Je me sentais en symbiose avec Orfianne. La planète venait d’accoucher de moi. Cette intime connexion me permettrait d’utiliser la magie pure, celle qui florissait sur ses terres.
Avorian me considérait d’un air attendri. Je me rendis compte que j’étais encore nue, et m’empressai de chercher mes vêtements, embarrassée. Il me les lança. Recroquevillée sur moi-même, je posai mes bras contre ma poitrine et mon intimité, les joues rouges pivoine, et hâtai de m’habiller. Le mage, compréhensif, se retourna immédiatement.
– Toute cette nouvelle énergie va décupler tes pouvoirs de Guéliades. Tu t’es montrée courageuse. Je suis fier de toi.
Nous reprîmes le chemin en sens inverse dans le sombre tunnel. J’aurais tant voulu m’approcher des pierres précieuses, les toucher, mais ces décors cristallins demeuraient fragiles. Il fallait les préserver pour assurer leur pérennité.
Plus tard, l’obscurité de l’interminable dédale laissa place aux ténèbres de la nuit.
– Enfin un peu d’air ! soupirai-je. Notre prochaine destination est donc le Royaume de Cristal. Est-ce loin d’ici ?
– Oh oui… il nous faudra quelques phases pour y parvenir. Il se trouve en haute altitude, juché sur les montagnes du Nord. Il fait extrêmement froid là-bas.
– Quelques phases ? Oh, mon Dieu !
Je regrettais déjà les transports Terriens. Avorian me l’avait sans cesse répété : « Non, pas de transgèneur, c’est dangereux ; à cause de Sèvenoir, tu en as trop abusé. Et tu dois découvrir ta planète. »
Nous décidâmes de faire une halte pour la nuit. Je m’assis sur un rocher, grignotant nos provisions. Il nous restait encore quelques-uns des biscuits aux fleurs offerts par les Fées.
Un peu plus tard, nous étendîmes une couverture à même le sol. Malheureusement, nul tapis d’herbe pour accueillir mon dos meurtri par ces longues journées de marche. Je m’installai dans les bras d’Avorian. Épuisée par la cérémonie dans la grotte, le sommeil m’emporta malgré cette position inconfortable.
Mon repos se peupla de mauvais rêves. Je voyais la planète Orfianne, saccagée par des armées de monstres dirigés par un être sombre. Avorian mourait au combat. J’accourais vers lui. Trop tard. Je hurlais, penchée sur son corps inerte, ravagée par la tristesse. Tout explosait autour de moi. Mon âme quittait ce monde dévasté.
Le cauchemar se terminait là.
Je me réveillai, désorientée, m’extirpai en douceur des bras d’Avorian.
Je déambulais au milieu des rochers, priant de tout cœur que cet horrible rêve ne se réalise jamais. Je grimpai sur le plus haut monticule pour m’y installer en tailleur. J’observai mon nombril spiralé. Aucune dorure n’y apparaissait, malgré le rituel à la grotte. Sèvenoir se questionnait sur mes origines pour cette même raison.
À peine avais-je évoqué son nom que sa voix résonna dans ma tête :
« Je serai toujours auprès de toi, même si tu me fuis, Nêryah… »
– Sèvenoir ? appelai-je.
Pour seule réponse, le bruit du vent. Il venait pourtant de me parler, comme à l’arbre, chez moi, sur Terre. Nous avait-il suivi depuis la forêt aux mille lueurs ? Je descendis de mon perchoir pour le chercher dans la nuit. Aucune trace de sa sombre cape.
Sèvenoir doit être télépathe, comme la plupart des Orfiannais, songeai-je.
« Nêryah ? »
À nouveau sa voix. Il m’avait donc entendue !
– Pourquoi me parlez-vous dans ma tête ?
« Parce que tu viens de m’appeler, petite sotte ! »
La simple pensée suffisait-elle à établir le contact avec lui, comme si l'esprit pouvait composer un numéro invisible ? Toutes ces énigmes me donnaient la migraine.
– Où êtes-vous ?
J’attendis. Plusieurs minutes s’écoulèrent.
Un bruit me tira de mes pensées. Quelqu’un approchait.
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