Chapitre 40 : Les Komacs (chapitre remanié)
Après une bonne heure de marche sur un sable brûlant, nous atteignîmes une nouvelle oasis plus importante que la précédente. Nous avions progressé difficilement en raison de l’état d’Avorian, éprouvé par nos mésaventures.
Une vue paradisiaque s’offrait à nous, avec des palmiers et une verdure inattendue. Quelques Komacs se baignaient dans une eau limpide. Ils posèrent leurs regards sur nous. J’en dénombrai une bonne vingtaine, de tout âge. Nous nous observâmes pendant plusieurs minutes, sans bouger, ni parler, intrigués par cette curieuse rencontre au beau milieu de ces terres inhospitalières.
Leurs visages harmonieux respiraient le calme, la bienveillance. Cette douce expression se mariait à merveille avec le splendide coucher de soleil qui venait nous illuminer de ses teintes ambrées. Son disque vermillon descendait au loin derrière les dunes, caressées par ses derniers rayons obliques. Le ciel, teinté d’une belle couleur fuchsia, se reflétait magnifiquement dans l’eau. Nous vivions là un moment suspendu, en dehors du temps.
Les Komacs portaient un bandeau de tissu grenat dans leurs cheveux d’ébène. Sans doute pour les préserver de la chaleur et de la transpiration. Je pris note de cette astuce, car ma longue chevelure m’avait gênée lors de ces journées de marche. Je rêvais d’un shampoing mousseux, parfumé.
Je contemplais leur peau mate, étincelante aux dernières lueurs du soir et m’extasiai à propos de cette brillance surnaturelle. Avorian m’expliqua que la présence de ces paillettes dans leur épiderme servait de rempart contre les rayons du soleil. Ce n’était pas une huile ou une crème, mais la constitution même de leur anatomie.
Les habitants du désert s’habillaient de toges beiges ou pourpres. De fins traits noirs prolongeaient leurs paupières jusqu’au niveau des tempes.
Kaya s’avança vers un jeune homme, à quelques mètres de nous. Ses cheveux bruns mi-longs étaient maintenus par un foulard. Après avoir échangé quelques mots avec notre sauveuse, il s’approcha. Nous nous dévisageâmes longuement. Son regard sépia, intense, me troublait, au point de me faire rougir. Il rompit le silence d’une voix apaisante :
– Je m’appelle Merian. C’est moi qui t’ai trouvée évanouie. Vous avez de la chance d’être vivants, les Glemsics sont redoutables.
– Merci de nous avoir sauvés, et d’avoir transporté mon ami.
Avorian me rejoignit. Ses yeux gris reflétaient la gratitude.
– Soyez les bienvenus chez nous, nous accueillit Merian.
Nous suivîmes nos guides en direction de l’oasis. Avorian m’adressa un clin d’œil doublé d’un sourire malicieux, l’air de dire : « j’ai vu combien tu semblais intimidée par ce charmant jeune homme ! ». Je lui lançai en retour un regard indigné.
Nous saluâmes respectueusement les Komacs. Ils répondirent par des sourires radieux, quelques mots réconfortants : « Nous sommes heureux d’avoir des visiteurs ! », « Vous allez pouvoir manger et vous reposer », « C’est un véritable exploit d’avoir pu échapper à une meute de Glemsics, quel courage ! », « Votre venue est une bénédiction. »
Tous parlaient l’Orfiannais, mais avec un drôle d’accent.
J’étais profondément émue par tant de bienveillance et de bonté. Je rendis grâce à notre fameuse « bonne étoile » pour cette chance inespérée.
Kaya s’arrêta devant un large rocher aussi haut qu’Avorian. Elle plaça une main devant elle, et l’énorme roche bougea pour s’ouvrir sur un escalier qui plongeait dans les entrailles d’Orfianne.
– Je croyais que les Komacs ne possédaient pas de pouvoirs, chuchotai-je à l’oreille d’Avorian.
– Ils n’en ont pas, en effet. Leur magie provient d’une pierre tout à fait particulière. En revanche, comme tu as pu le constater, ces habitants du désert excellent dans l’art de soigner par des moyens naturels, en utilisant végétaux, racines et onguents.
Kaya prit ma main. Nous descendîmes les marches taillées dans la roche, en silence, accompagnés du peuple Komac. L’irrégularité de ces dernières me contraignait à lever les genoux, puis à amortir chaque réception avec mes pieds. Ce mouvement saccadé des jambes me donna mal au ventre. Avorian souffrait lui aussi, nous n’étions pas remis de notre précédente bataille. Nos hôtes, si affables, le remarquèrent et nous soutinrent en plaçant un bras autour de nous. Je m’appuyai sur Kaya pour poursuivre la descente.
Il faisait sombre. Des plantes et des champignons phosphorescents poussaient par endroit, éclairant faiblement l’allée. L’escalier se terminait à ce niveau. Un chemin de pierre le remplaçait dans une étroite galerie souterraine.
Nous marchâmes pendant une petite demi-heure à travers un dédale de couloirs. J’avais du mal à tenir l’allure. Kaya s’en aperçut et m’adressa un sourire maternel pour m’encourager.
Nous arrivâmes devant une porte en bois, ornementée de frises décoratives aux formes arrondies. Des lianes luminescentes encadraient l’entrée, leur éclat animait les enluminures. Nous entrâmes dans une vaste grotte d’environ soixante mètres carrés. Au plafond, une large sphère blanche irradiait la salle, à l’image d’un soleil fictif. Les Komacs interrompirent leurs occupations pour nous accueillir. Les hommes revêtaient des toges beiges, tandis que les femmes arboraient des robes vermeilles.
– Avorian, nous ne vous espérions plus ! le salua un homme aux cheveux courts.
Il serra les mains du Guéliade dans les siennes, soulagé de le retrouver.
– Merian nous a rapporté qu’il vous a découverts à moitié morts ! Nous étions si inquiets ! s’alarma une jeune maman, son nourrisson bien au chaud dans ses bras.
– Rassurez-vous, nous allons bien. Nous avons juste besoin de repos, la tranquillisa Avorian.
– Nous ne devrions pas nous attrouper ainsi, alors que vous êtes épuisés, s’excusa une Komac coiffée d’une longue tresse. Laissons-les respirer un peu !
Une femme d’une quarantaine d’année – si l’on compte en âge Terrien, bien-sûr – accourut vers nous, les bras grands ouverts. Un sourire émerveillé illuminait son visage.
– Oh ! Avorian ! Vous nous avez tellement manqué ! s’exclama-t-elle en lui offrant une accolade.
– Shirin[1] ! Tu n’as pas changé ! affirma Avorian.
La dénommée Shirin avait une longue chevelure noire, épaisse, qui dégringolait en cascade sur sa robe écarlate. Sans pouvoir me l’expliquer, quelque chose en elle me paraissait familier. Je plongeai mon regard dans le sien, d’une jolie couleur cannelle.
– Oh, pourtant… cela fait au moins une douzaine de cycles, répondit-elle, les joues roses. C’est bien toi, Nêryah ?
– Oui, enchantée !
– Ce n’est pas possible ! Tu as tellement grandi ! s’extasia Shirin, la voix chargée d’émotion. Tu es devenue une belle jeune fille, comme je suis fière !
– Merci beaucoup ! Je suis ravie de vous rencontrer. Pardonnez-moi, je ne me souviens pas de mon passé, m’excusai-je.
– C’est tout à fait normal, tu étais trop petite pour t’en rappeler ! La route a dû être éprouvante. Nous allons vous servir à boire, ajouta Shirin.
Sur ces mots, elle s’approcha d’un rocher grossièrement taillé, à gauche de l’entrée. La cavité à l’intérieur du réceptacle indiquait qu’il servait de fontaine. La Komac y remplit deux récipients et nous les tendit. Avorian et moi la remerciâmes en chœur. L’eau était agréablement fraîche. Il devait sans doute y avoir une source quelque part.
Exceptés quelques tables et bancs en bois, les lieux étaient vides. Pas de meubles superflus, ni d’objets décoratifs. Cet équipement sommaire attestait des conditions difficiles dans lesquelles vivaient les Komacs.
Kaya nous mena dans une petite alcôve jouxtant l’antre principal. De larges tapis et des couvertures recouvraient le sol. Quelques torches diffusaient une douce lumière dorée.
– Voici votre chambre, annonça-t-elle. J’espère que vous vous y sentirez bien.
Nous la remerciâmes.
– Vous pouvez vous laver ici, continua Kaya en désignant une ouverture masquée par un rideau pourpre. Reposez-vous bien. Je vous laisse.
– Les Komacs sont effectivement très hospitaliers, reconnus-je, une fois la jeune femme sortie.
Avorian acquiesça d’un signe de tête. Incapables de nous laver tant nous nous sentions éreintés, nous nous allongeâmes sur les tapis moelleux. Heureusement, la baignade dans la première oasis m’avait nettoyée de mon propre sang et de celui des Glemsics. Je sombrai dans un sommeil profond sans même m’en apercevoir, terrassée par ces longues journées d’effort.
[1] Se prononce « Shirinne », en roulant le « r ».
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