Chapitre 50 : Les adieux (chapitre remanié)
Les palmiers scintillaient d’une lueur mordorée sous les premiers rayons. Le chant mélodieux des oiseaux résonnait dans l’air en une symphonie délicate. Mais nous étions incapables d’apprécier la beauté du lever du soleil sur ce petit brin de paradis. L'idée de nous quitter ne nous enchantait guère. Je pris le temps de caresser mon embanore, en le remerciant de m’avoir portée – et supportée – tout ce temps.
Kaya, en véritable cheftaine de notre petite troupe, sonna le départ. Nous traversâmes les dunes la matinée durant. Alors que le soleil atteignait son zénith, un changement subtil dans le sol me frappa : le sable se mêlait à la terre, signe que le désert touchait à sa fin. Kaya stoppa la caravane. Nous descendîmes de nos montures.
– Voilà, nous ne pouvons pas vous accompagner plus loin, prononça-t-elle d’un ton solennel en détachant chaque mot.
Merian m’enlaça, la mine accablée. Je sentis ses mains presser tendrement mon dos.
– Nêryah, j’espère que tu reviendras nous voir. J’aimerais rester à tes côtés pour te protéger. Je fais la promesse de te retrouver un jour. Prenez bien soin de vous.
– Merci, fais attention à toi aussi. Tu vas vraiment me manquer, avouai-je, le cœur lourd. J’aurais aimé passer plus de temps avec vous tous, apprendre à vous connaître davantage…
– Cela se fera. J’en suis certain.
Il me serra une nouvelle fois contre lui, puis recula pour me regarder droit dans les yeux. Mes joues s’empourprèrent.
Ishaam vint me saluer :
– Reviens-nous vite, et entière surtout, belle Guéliade. Que ta divine beauté fasse fondre tes ennemis ! Je suis heureux de t’avoir rencontrée.
– Merci, Ishaam. Prends bien soin de Kaya, je ne veux pas qu’il lui arrive malheur.
– Compte sur moi, ma douce. Tu n’as nul besoin de t’inquiéter, je suis son fidèle et dévoué guerrier !
Kaya me rejoignit, me saisissant par les épaules.
– Oh Nêryah, tu vas tellement me manquer ! Nous sommes devenues de véritables sœurs. Je voudrais tant t’accompagner !
– J’aimerais vraiment, moi aussi, mais Ishaam ne supporterait pas que tu l’abandonnes pour moi, la taquinai-je.
Elle éclata d’un rire nerveux.
– Merci pour tout ce que tu m’as donné Kaya ; c’est très précieux pour moi. Tu es une incroyable guide. J’ai enfin vécu mes premiers moments de bonheur sur Orfianne, grâce à vous tous.
Les larmes aux yeux, je la pris dans mes bras en lui demandant :
– Nous reverrons-nous bientôt ?
– Oui, Nêryah… au Royaume de Cristal !
Elle marqua une pause, me sondant de son regard acajou, puis ajouta :
– Tu portes en toi quelque chose de pur et de bienveillant. Garde toujours espoir, et n’oublie pas que la vie est aussi faite pour se réjouir !
– Vous êtes des guides exceptionnels, leur dit Avorian.
Nous nous étreignîmes longuement, espérant que cette étreinte ne soit pas la dernière.
Kaya nous donna des provisions et remplit nos gourdes à l’eau du réservoir. Elle nous expliqua le chemin que nous aurions à suivre et comment nous repérer. Il ne nous restait plus qu’une seule journée de marche dans le désert. Ensuite, Avorian connaissait la route. Le soleil et Héliaka seraient nos points de repère. Les étoiles indiqueraient, la nuit tombée, si nous avions dévié de notre trajectoire.
Je caressai une dernière fois le doux pelage de chaque embanore, et le moment de se quitter était venu. J’entendis Kaya crier derrière moi : « Reviens-nous vite ! ». Je lâchai un sanglot en me retournant pour les regarder. Avorian me prit la main, l’air attendri.
Nous marchâmes environ deux heures. C'était une sensation étrange après avoir chevauché les embanores pendant si longtemps. Le dos courbé, meurtri, nos pieds s’enfonçaient dans le sable brûlant, et nos muscles travaillaient durement pour progresser sur ce sol instable. Mes cuisses et mes mollets me tiraillaient. Même nos abdominaux étaient sollicités pour maintenir notre posture. À chaque pas, nos jambes flageolaient sous l’écrasante fournaise. Je resserrai mon foulard autour de ma tête, haletante. Nous n’avions droit qu’à quelques gorgées d’eau par pause. Je me fiais au sens de l’orientation d’Avorian, très doué pour se repérer avec les astres dans le désert.
Le soir arrivant, nous nous assîmes pour apprécier le coucher du soleil, éreintés. Ses derniers rayons semblaient caresser les dunes au lointain, tandis que les rares nuages prenaient une teinte mauve. On ne voyait qu’un quartier d’Héliaka.
Avorian me saisit tendrement par les épaules. Je me laissai tomber dans ses bras. Je me languissais déjà de nos chers Komacs. Notre séjour parmi eux m’avait transformée. Grâce à eux, je me sentais désormais plus à l’aise dans ce monde, comme si j’y avais toujours vécu. Hormis nos mésaventures avec les ombres et les glemsics, j’appréciais réellement cette nouvelle vie.
– Vous savez, Avorian, après toutes ces épreuves, mais aussi ces moments de joie, je vous considère comme un père…
Le mage me dévisagea. Il semblait à la fois ému et surpris par cette confidence. Son expression se détendit.
– Tu ferais une fille admirable.
Perdu dans la contemplation d’un ciel embelli par des teintes oniriques, il méditait en tailleur, emporté par la tranquillité du moment. Je fis quelques exercices de respiration pour ressentir la magie d’Orfianne. Il était temps que je reprenne mon entraînement.
Avorian rouvrit les yeux et m’invita à exécuter les mouvements de base. Lorsqu’il me jugea prête, je projetai mes sphères dans le sable. Il testa ensuite la solidité de mon bouclier translucide à l’aide de son rayon lumineux. Je ne me recroquevillais plus sur moi-même : j’acceptais le danger sans crainte, et cet état de confiance renforça mon cercle protecteur.
Après quelques exercices supplémentaires, nous installâmes notre campement sur le sable et observâmes longuement les étoiles en silence. Kaya avait assuré que nous nous trouvions en dehors du territoire des glemsics. Plus besoin de tours de garde.
Nous nous réveillâmes de concert à l’aube, sans prononcer le moindre mot. Des nuances rosées rehaussaient le ciel. Les couleurs se dessinaient progressivement, peintes par une main céleste. Aux tons fuchsia s’ajoutaient des rayons orangés. Les traits nuageux s’étiraient, embellis par la douce lumière du matin. Au loin, derrière nous, les dunes de sable scintillaient. Héliaka traçait son chemin, nous dévoilant son beau manteau aux couleurs d’automne, nappée par endroit de traînées blanches, brume mouvante autour d’elle.
Un silence matinal apaisant régnait. J’aimais cette sérénité de l’aube, révélant une face cachée de la nature ; surprendre les premières lueurs du jour pour m’adonner à la contemplation du monde. Cette quiétude, presque intimidante, me poussait à rester immobile pour mieux percevoir le spectacle de la vie. Je méditais, en osmose avec Orfianne, captais sa magie en moi. Une énergie vivifiante m’enveloppait. J’inspirais l’air pur de l’aurore en observant le demi-cercle orangé du soleil levant. Ses rayons s’étendaient sur les dunes et plongeaient dans le sable.
Avorian prit un air préoccupé :
– Mangeons vite, il faut marcher pendant que la chaleur est supportable. Nous devons absolument trouver de l’eau.
La gorge et la peau sèches, la soif nous torturait déjà.
Nous progressions sur un sol de terre craquelé, aride. Je ne voyais pas encore de verdure, et encore moins d’arbres, juste deux ou trois brins d’herbe par-ci, par-là.
Au bout de quelques heures, des plantes ternes et courtes poussaient par endroit. Ce signe de vie m’encouragea. L’absence de relief rendait notre randonnée monotone.
Le soleil se couchait de nouveau après une longue journée de marche. Le paysage ne changeait pas, hormis le nombre croissant de végétaux. Nous n’avions toujours pas trouvé d’eau. Il ne nous restait plus qu’une seule gourde, presque vide, malgré nos restrictions. J’adressai une prière au ciel pour qu’il pleuve ou qu’une oasis se montre enfin !
– L’endroit me semble propice pour camper. On va pouvoir faire du feu, déclara Avorian.
– On ne risque rien avec les glemsics ?
– Je ne pense pas, mais restons vigilants.
Je ramassai des petits bouts de bois qui traînaient aux alentours. Nous les rassemblâmes en tas, puis Avorian les alluma à l’aide de sa magie. Nous avions récolté quelques plantes comestibles. Il nous restait encore des fruits un peu flétris de la dernière oasis, des galettes de céréales, et des graines. Malheureusement, plus de délicieux pain de Shirin.
Nous devions nous rationner. Inutile de préciser combien je me sentais sale, crasseuse, à cause de tout ce sable collé sur ma peau et dans mes cheveux. Impossible de les brosser ! J’essayais d’enduire mes bras et mes jambes de l’huile que m’avait offerte Kaya, mais avec les grains de sable, c’était une véritable séance de torture. J’abandonnai très vite l’idée du gommage.
Je m’endormis difficilement auprès du feu, sursautant au moindre bruit, persuadée d’être attaquée à tout moment, loin de me sentir tranquille sans nos guides et nos embanores.
Je m’éveillai le lendemain matin avec un terrible mal de crâne, et m’accordai une seule gorgée d’eau – un véritable supplice ! Avorian dormait encore. Il paraissait tellement fatigué. Je le secouai doucement, à contre-cœur.
Nous reprîmes le chemin fissuré par l’absence de pluie, la gorge et la langue enflées, desséchées. Le soleil se levait à peine, mais il valait mieux profiter de la fraîcheur matinale. Je maugréai en direction du ciel, déçue que ma prière n’ait été exaucée. À mon grand soulagement, la verdure se densifiait et l’air se rafraichissait.
– Avorian, vous avez tellement bronzé que nos ennemis ne vous reconnaîtront plus ! plaisantai-je.
– Peut-être bien ! Et toi, j’ai l’impression que tu as grandi depuis ton arrivée.
– Ah oui ? J’ai donc quitté mon mètre soixante-deux ? Enfin une bonne nouvelle !
Nous continuâmes ainsi à nous taquiner gentiment, durant plusieurs heures, pour rendre le trajet moins pénible.
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