Chapitre 55 : Partie de cache-cache (chapitre remanié) 

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 La pluie avait cessé. Nous avalâmes quelques baies et fruits. Je me préparai un lit de mousse pendant qu’Orialis se lavait puis s’habillait d’une robe vert-foncé. Sa coupe longue et droite soulignait sa fine silhouette. Sa sacoche semblait ensorcelée, comme les nôtres, capable d’engloutir des objets improbables.

 La forêt s’assombrit ; la nuit s’annonçait tenace.

– Je ne te vois jamais boire, Orialis, observai-je, intriguée.

Orialis me sourit ; ses antennes frémirent.

– Notre corps fonctionne autrement. Les Noyrociens n’ont pas besoin d’eau pour survivre : ils puisent l’énergie solaire. Nos antennes captent des composantes appelées « astinas » et les stockent – ce sont d’ailleurs ces dernières qui les rendent dorées. Nous restons ainsi en bonne santé même par temps nuageux, mais nos réserves ne sont pas éternelles. Nous vivons dans de vastes plaines en raison de notre métabolisme, et nous avons mis au point, dans nos villages, des dispositifs pour conserver les astinas, notre principale source de nourriture.

– Comment as-tu fait pour tenir tout ce temps dans ce sombre cachot, privée de lumière solaire ?

– Je suis très résistante ! plaisanta Orialis en haussant le menton.

 Je la dévisageai d’un air admiratif, bouche et yeux ébahis. Quelle femme incroyable !


 Nous mangeâmes dans un silence digne de notre épuisement. Je m’affalai ensuite sur mon lit de mousse fraîchement fabriqué, plutôt douillet. Je ne ressentais guère le froid, contrairement à un véritable être humain ; sinon, l’humidité m’aurait glacée jusqu’aux os.

 Avorian, perché sur une large racine, contemplait Héliaka ; la lueur beige de l’astre perçait les nuées et dansait à la surface de l’eau. Peut-être le ciel réveillait-il en lui un souvenir.

 La Noyrocienne s’endormit contre moi, tête sur ma poitrine. Ses antennes me chatouillaient le menton. Je la laissai faire : nous avions besoin de nous réchauffer.


 Je me réveillai soudain en sursaut, avec la désagréable impression de n’avoir dormi que très peu. Il faisait encore nuit. Avorian me secouait par les épaules. Je sentis aussitôt le danger.

– Ils approchent… murmura-t-il.

 Des bruits feutrés s’élevaient des buissons. La panique s’empara de moi, me paralysant.

– Les… Métharciens ? marmonna Orialis d’une voix endormie.

– Cachez-vous dans les arbres, ordonna Avorian, déjà prêt à combattre.

 Les sons se rapprochaient de notre campement. Je grimpai en vitesse au tronc contre lequel j’avais dormi, posant mes pieds dans les interstices pour aller le plus haut possible. Grâce à ma souplesse et à mon endurance, c’était pour moi un jeu d’enfant.

 Je m’allongeai à plat ventre sur une large branche, suspendue dans les airs. L’épais feuillage me camouflait. Sous ce ciel nocturne, je ne distinguais ni Avorian ni Orialis.

 Enfin, je découvris nos perturbateurs de sommeil : une dizaine de Métharciens. Ils scrutaient les alentours, se courbaient pour examiner nos traces de pas.

 Pourvu qu’ils ne me voient pas ! pensai-je, effrayée.

 Ils repartirent explorer plus loin, sans doute attirés par les empreintes de mes compagnons en fuite. Mais l’un d’eux resta là. Peut-être avait-il perçu mon odeur ? J’écrasai ma bouche contre la branche pour masquer ma respiration, mes mains crispées sur l’écorce.

 Mon dieu… il lui suffisait de lever la tête pour me voir !

 Je priai Dieu et tous les Saints, mes yeux plissés par la terreur.

 Au bout de quelques minutes interminables, le Métharcien finit par rejoindre les autres, ravageant les plantes sur son passage.

 Je relevai mon visage pour respirer enfin. Mon cœur cognait si fort dans ma poitrine.

 Lorsqu’ils furent hors de vue, je descendis prudemment de mon perchoir. Tout mon corps tremblait encore, ma respiration haletante. Je rendis grâce à l’arbre qui venait de me sauver la vie, à ses larges feuilles orbiculaires.

 Je courus chercher les autres. Pourquoi ne sortaient-ils pas de leur cachette ?

 Je fouillai derrière les fourrés, mortifiée – en vain. Ils restaient introuvables, et je n’osais pas les appeler, au risque d’alerter nos ennemis.

 Ils n’ont pas pu se faire prendre, sinon j’aurais perçu la magie d’Avorian, me raisonnai-je pour me rassurer.

 Je retournai au campement : mieux valait éviter que chacun s’égare.

 Assise sur une racine, j’observai l’eau du bassin frémir sous la caresse du vent. La vie de la forêt reprenait son souffle, indifférente à mes tourments. J’attendis. Encore et encore. L’aube pointait déjà.

 Comment pouvais-je m’en sortir, moi, toute seule ?

 Je sanglotai, mon visage enfoui dans mes mains, désespérée.

 J’entendis alors un bruit dans les feuillages. La silhouette d’une jeune femme à la démarche gracieuse émergea, une autre ombre, plus grande, la suivait. Orialis saisit mes mains trempées de larmes et me serra fort contre elle. Elle me berça, tendrement.

– J’étais tellement angoissée pour vous deux ! lâchai-je entre deux sanglots.

 Avorian nous rejoignit et s’agenouilla, posant une main sur mon épaule.

– Pourquoi avez-vous mis tant de temps ? J’ai cru ne jamais vous retrouver !

– Il n’y avait pas de cachettes assez sûres aux alentours, expliqua Avorian d’une voix douce. Et je suis loin d’avoir ta souplesse pour grimper aux arbres si vite ! Nous nous sommes abrités sous des fourrés, mais les pisteurs ne partaient pas, comme s’ils avaient senti notre présence. J’ai dû créer un champ de force pour nous masquer. Les Métharciens sont télépathes et interceptent facilement certaines pensées. Par chance, quelque chose a détourné leur attention. Nous avons cru apercevoir des silhouettes…

– Des Fées ? m’enquis-je.

– Non, de grandes silhouettes. Je ne sais pas si c’était intentionnel, mais ces personnes nous ont sauvés, compléta Orialis. Comment allons-nous faire avec ces Métharciens qui nous traquent ?

– Voyons le bon côté : nous avons reçu de l’aide, assura Avorian.

– Comme si quelqu’un veillait sur nous, renchéris-je. Cela ressemble à Arianna.


 Nous reprîmes la route après cette nuit blanche. Nous nous écartâmes des sentiers pour gagner les fourrés, longeant d’immenses arbres. Quelques rayons du soleil persistaient à filtrer la canopée, mais la forêt demeurait sombre, même en plein jour. Nous ne croisâmes pas non plus les êtres mystérieux qui semblaient veiller sur nous à distance. À croire qu’ils avaient sécurisé le chemin et repoussé nos poursuivants. Nous nous sentions redevables.

– Cette forêt a-t-elle une fin ? désespérai-je.

– Oui… tout comme le désert que nous avons traversé, me taquina Avorian, se souvenant que j’avais posé la même question à propos de Gothémia.

– Je me demande comment tu parviens à te repérer sans suivre les chemins, Orialis.

– Ne t’en fais pas, je connais bien cette région, mais après…

– On trouvera, la coupa Avorian.

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