Chapitre 75 : Révélations

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 Entre l’état de sommeil et d’éveil, j’entrevis un Métharcien me soigner, éponger mon sang. Il le faisait avec une telle douceur et tant d’attention que je me demandais si je n’étais pas en train de rêver. Ces gestes tendres ne correspondaient pas du tout avec ce que je venais de vivre.

J’avais dû combattre un guerrier déchaîné, avide de tuer. La vision de son corps sans vie et souillé de sang bleu me hantait. Je me sentais horriblement mal.

Mon bienfaiteur semblait presque attristé de voir une jeune fille en si piètre état. Il remarqua que je m’éveillais, m’adressa un sourire serein. Je crus que c’était une hallucination, créée par mon inconscient pour me rassurer. Je m’endormis malgré tout, le laissant faire.


 Je me réveillai plus tard, seule, dans mon lit. Je me levai péniblement, et constatai en me regardant dans le miroir que je ne portais plus trace d’aucune blessure, ni cicatrice. J’ignorais que les Métharciens possédaient de tels pouvoirs de guérison.

 Je venais de tuer un humanoïde. Ce constat me rongeait de l’intérieur. C’était encore pire que lorsque j’avais décimé les Glemsics, dans le désert. Au moins, c’était pour défendre Avorian. Je ne savais qu’en penser. Après tout, c’était de la légitime défense, dans les deux cas. Jamais je n’avais voulu me battre de mon plein gré. Alors pourquoi cette sourde culpabilité ? Et pourquoi la Pierre de Vie ne m’avait-elle pas sauvée, cette fois ? Parce que je ne la portais pas contre moi, et que le sort qui scellait ma chambre était trop puissant ? La magie de l’Ombre la bridait-elle ?

 Ces nombreux combats, du désert jusqu’à aujourd’hui, me transformaient peu à peu en meurtrière. L’Ombre avait tout planifié à cette fin : faire de moi une arme de destruction massive, et accroître ce fameux pouvoir de la pensée des humains. Elle projetait d’envahir la Terre en usant de ma magie. Je pensais que seule Orfianne était en danger, alors que l’humanité courait un risque encore plus grand !

 Sans Sèvenoir, je serais morte étouffée. Ma voix semblait une nouvelle fois l’avoir appelé, et comme toujours, l’homme masqué avait répondu présent. Quel soulagement qu’il ait survécu à l’assaut de l’Ombre dans la forêt ténébreuse !

 Lui seul parvenait à me contacter par télépathie.

 Sèvenoir ! Sèvenoir ! l’appelai-je.

 Quelques secondes, interminables, s’écoulèrent.

 Nêryah ! Tu es en vie ! Impossible d’entrer dans le royaume de l’Ombre, son système de défense est encore plus perfectionné que lorsque j’étais son disciple. Détruis-le de l’intérieur et je viendrai te secourir, entendis-je dans ma tête.

 Le lien mental se rompit. Incroyable ! Nous pouvions communiquer !

 Je tentai de contacter Swèèn et Avorian de la même façon. J’attendis... Rien ! Je n’arrivais pas à les joindre !

 Sèvenoir avait raison. Je devais agir et vite !

 Impossible d’entreprendre quoique ce soit dans mon état, il fallait que je reprenne des forces, puisque j’employais ma propre magie.

 Un autre plateau de nourriture se trouvait sur la table. Mon ventre criait famine, mais je me sentais incapable de manger. Je décidai de prendre un bain : il fallait que je me débarrasse de tout ce sang accumulé sur moi.

 Après m’être lavée, je mis la tenue ocre que Kaya m’avait offerte : un pantalon ample au tissu aérien et un haut court. Je ne pouvais plus me résoudre à porter les vêtements sombres donnés par l’Ombre, trop en colère. À cause d’elle, je venais de commettre un acte irréparable.

 Je me forçai à grignoter un peu, toujours accablée par ces visions de mort. Pourquoi fallait-il que je traverse cette épreuve toute seule ? J’aurais donné n’importe quoi pour être avec mes amis ou Sèvenoir. Je m’inquiétais tellement pour eux !

 Je séchai mes larmes, lançai une sphère de toutes mes forces contre la porte. À nouveau, au lieu de se briser en mille morceaux, un bouclier translucide d’une teinte violacée barra le passage. Il émit une sorte de vrombissement et aspira mon projectile comme une plante carnivore avalerait un insecte.

 J’envoyai désespérément mes rayons brunâtres, pétris de mes propres émotions, pour tenter de détruire le bouclier. Mais rien ne se produisit.

 Non seulement mes tentatives demeuraient infructueuses, mais en plus la substance absorbait tout ce que je lui jetais en bourdonnant de plus belle. Une idée terrible me vint à l’esprit. Peut-être qu’en aspirant ainsi mes pouvoirs, le bouclier devenait de plus en plus résistant et les réutilisait pour se défendre. Je venais donc de renforcer son blindage, de m’emprisonner un peu plus !

 Je repris la fleur dissimulée dans mon sac. Je m’apprêtais à poser le pétale arraché dans ma paume pour tenter d’invoquer la Reine des Fées, lorsque j’entendis des bruits de pas derrière la porte. Je mis précipitamment la fleur sous mon oreiller.

 Le Métharcien qui m’avait soignée entra. Je le reconnaissais à son visage paisible et à ses yeux plus clairs que ceux de ses semblables. Il me regarda longuement, puis désigna le couloir d’une main et m’empoigna de l’autre pour me forcer à avancer. J’eus peur qu’on m’oblige de nouveau à combattre… mon cœur se mit à tambouriner dans ma poitrine.

 La créature m’emmena dans la salle du trône d’un air désolé.

– J’ai une surprise pour toi, m’annonça l’Ombre. Mes gardes l’ont trouvée en train de fuir dans la forêt.

 Deux Métharciens tenaient fermement par les bras une jeune femme mince, assez grande, la peau d’un vert anis. Ses cheveux ondulés, couleur sinople, dissimulaient une partie de son visage. De fines antennes dorées, recourbées au bout en spirales, prolongeaient son crâne et ses sourcils. Elle était à genoux, inconsciente, tête baissée. Un sang verdâtre maculait ses jolies lèvres rosées.

– Orialis ! m’écriai-je, tétanisée. Oh non ! Qu’est-ce que vous lui avez fait ?

– Rappelle-toi : la Gardienne était ma prisonnière, avant que tu ne la délivres ! objecta l’Ombre. Elle me revient de droit !

– La… Gardienne ? répétai-je, déconcertée.

– Elle est bien trop précieuse pour que je la perde une seconde fois ! Ça te fera de la compagnie.

 L’une des créatures relâcha mon amie, son bras retomba, inerte. J’en ressentis un pincement au cœur. La voir dans un tel état me donnait envie de crier de rage.

 Le « gentil » Métharcien m’aida à la porter jusqu’à ma chambre, la déposa sur le lit, puis se dirigea vers la porte.

– Merci, lui adressai-je poliment, avec sincérité. Et merci de m’avoir soignée.

 Il s’arrêta net, se retourna vers moi, décontenancé. Je restai à mon tour interdite devant son visage qui, pour une fois, exprimait une émotion. C’était sans doute la première fois qu’on le remerciait. Il me dévisagea. J’avais presque envie de rougir. Il inclina sa tête en guise de reconnaissance, l’allure digne, puis s’avança. Je reculai d’un pas, apeurée, mais le Métharcien me prit délicatement la main pour la serrer au creux des siennes. Ce geste d’affection me surprit autant qu’il me fit chaud au cœur.

 « Je suis profondément désolé. Des membres de mon peuple se sont ralliés à l’Ombre de leur gré, mais d’autres, comme moi, n’ont pas eu le choix. »

 Je l’entendis clairement dans ma tête. Un timbre suave, agréable à écouter.

– Je comprends. Moi non plus je n’ai pas eu le choix… répondis-je à voix haute, les larmes aux yeux.

 Il enserra mes mains un peu plus fort, me considérant d’un air accablé, compatissant.

 « Ce n’est pas votre faute. Il fallait vous défendre. Ne vous laissez pas hanter par cette idée. J’aimerais tant faire plus pour vous aider », me confia-t-il dans ma tête.

 Le Métharcien relâcha mes doigts, se dirigea vers la porte, mais sembla hésiter. Il se retourna, planta son regard dans le mien :

 « Dans la forêt de Lillubia, lorsque vous vous êtes réfugiée dans l’arbre pour vous cacher, c’était moi. »

 Je pris un instant pour réfléchir. Il devait parler du moment où nous venions de libérer Orialis, lorsque les Métharciens étaient à nos trousses.

– Alors c’est vous qui avez envoyé les autres Métharciens loin de l’arbre, pour me sauver ?

 « Oui. Je vous ai sentie. Ils risquaient de vous trouver. »

– Je vous dois donc la vie… Qu’est-ce qui vous a poussé à nous aider ?

 « Puisque je demeure esclave ici, je veux, autant que possible, empêcher l’Ombre de nuire. En agissant de l’intérieur… »

 Il s’en alla en prenant soin de refermer la porte par le charme magique. Reprenant mes esprits, je me précipitai vers Orialis, toujours inconsciente. Je pris la Pierre de Vie dans mon sac, la posai instinctivement sur son buste, plaçai mes mains au-dessus de son cœur. Je me concentrai pour m’ouvrir à mon pouvoir de guérison. La vie circulait librement en moi, traversait toutes mes cellules. J’imaginais qu’elle s’écoule par mes mains.

 Le joyau argenté se mit à luire. Au même instant, une lueur verte naquit dans mes paumes. Les deux faisceaux colorés se rejoignirent pour se mélanger et se répandirent sur tout son corps, comme de longs filets d’eau. Cette magie incroyable se dirigeait d’elle-même vers les blessures d’Orialis, les pénétrant. Son sang cessa de couler, les innombrables plaies se refermèrent, cicatrisées.

 Je soupirai de soulagement.

 Je ne supportais pas l’idée qu’on l’ait agressée, battue, jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse de douleur. Je plissai les yeux en serrant les poings, rageuse.

 Je rangeai le vestige de mon peuple et laissai mon amie se reposer. Je caressai son front d’une main, pétrissant nerveusement le drap doré de l’autre, puis l’examinai une nouvelle fois, pris son pouls, inquiète, priant pour qu’elle guérisse. Son cœur battait à un rythme stable ; la cadence de sa respiration, lente et profonde, me rassura.

 Je n’arrivais pas à y croire… Orialis était la Gardienne des Noyrociens. Voilà pourquoi elle voyageait en direction du Royaume de Cristal. Cette révélation expliquait sa discussion en aparté avec Arianna, son comportement, son emprisonnement par les Métharciens.

 Mais pourquoi nous l’avoir caché ?

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