1-Chapitre 3 (1/4)

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Chloé se retourna vivement.

« Chloé, c’est ça ? »

Le fameux Benoît la fixait d’un air interrogateur.

« Je cherche du bois.

— Évidemment. »

Il soupira, puis se massa l’arrête du nez. Ses doigts effacèrent un peu de la poussière qui maculait son visage.

« Tu ne peux pas entrer dans le hangar sans équipements de protection. Et tu aurais besoin d’un casque antibruit d’une manière générale.

— Je n’ai pas besoin d’entrer, juste d’un bloc de cette taille à peu près. »

Elle écarta les bras pour donner une idée du volume, et poursuivit sa liste de desiderata comme elle en avait l’habitude : l’essence, le grain, la coupe, l’âge… Bref, le minimum requis. Benoît laissa échapper un son qui ressemblait à un rire très jaune. Il passa une main dans ses cheveux et un nuage de poussière flotta un instant au-dessus de sa tête avant de se reposer sur les boucles blanchies qui tombaient de manière inégale devant ses yeux clairs. Il hocha la tête sans un mot puis soupira.

« Et je suppose qu’Hélios est trop occupée pour t’aider, n’est-ce pas ? »

Chloé se mordit la lèvre sans répondre —elle n’osait pas lui dire qu’elle avait déjà pris Hélios en grippe.

« Bon, je vais voir ce que je trouve, mais je ne te promets pas que ça remplisse tous tes critères. Ah, et si tu pouvais demander à Bob de décharger la remorque au passage… »

Il désignait le véhicule qui n’avait pas bougé d’un pouce depuis le début de la journée, toujours à moitié rempli.

« Bob étant ?

— Le plus âgé », il eut un sourire bizarre, entre amusement et exaspération, « celui qui doit s’occuper d’Agnès. Il peut lui demander de l’aide si le cœur lui en dit. »

Sur ces mots, l’homme plaça son casque antibruit sur les oreilles et enfila les manches de son bleu de travail (qui était gris) jusqu’alors nouées autour de sa taille, avant d’entrer dans le hangar. Chloé suivit ses directives à la lettre, et se fit grogner dessus par ledit Bob qui avait clairement autre chose à faire que de décharger la remorque « déjà qu’on lui collait l’Agnès entre les pattes ». Chloé retourna de son côté de la vitre sans demander son reste.

Elle gribouillait des idées sur des feuilles de papier en surveillant l’autre côté de son bocal du coin de l’œil. L’ambiance semblait plutôt morose. Bien loin de son précédent atelier où l’on courrait à longueur de journée pour un oui pour un non ! Mais la galerie avait mis la clé sous la porte —une fois de plus— et personne ne s’était montré assez audacieux pour embaucher les artistes soudain désœuvrés. Ou plutôt, personne n’avait eu assez de courage pour vouloir prendre le risque d’embaucher Chloé. Elle soupira bruyamment, s’attirant un regard noir d’Hélios, puis essaya de penser à autre chose. Son croquis prenait forme sous la mine carbonée —elle rougit en reconnaissant les contours du masque de bois. Aussitôt, l’artiste plia la feuille et la glissa dans la poche arrière de son pantalon. Ce n’était pas le moment de penser au bal.

Elle rajustait sa chemise de travail lorsque Benoît apparut de l’autre côté de la vitre, suivi de l’un des hommes du hangar, ils portaient un lourd billot qui tirait sur leurs muscles. Le plus maigrichon de l’atelier —Samuel, non ?— se leva pour ouvrir la porte et les aider à faire passer le bloc sans cogner les montants. Ils naviguèrent difficilement entre les formes drapées qui gisaient au sol, manquant à plusieurs reprises de trébucher, et posèrent enfin leur fardeau sur sa table. Hélios leur jeta un regard désabusé, puis leur tourna le dos et continua de faire comme s’ils n’existaient pas. Les trois hommes essuyèrent leur front en étalant encore un peu de poussière sur leurs visages fatigués. L’homme du hangar se fendit d’un « Bon, ben voilà ! Ça, c’est fait ! », puis leur donna une tape dans le dos d’un air réjouit avant de repartir.

« C’est tout ce que nous avons qui corresponde à tes critères, j’espère que ça ira » annonça Ben. « Sam, tu peux fabriquer les trois loquets ?

— Tu te moques de moi ? Le vicomte n’a pas voulu payer ?

— C’est compliqué.

— C’est toujours compliqué avec le vicomte ! Non, j’ai des trucs à faire moi ! T’as qu’à mieux négocier avec lui !

— Sam…

— J’ai déjà Julie à gérer, demande à Jo ! »

Le menuisier repartit en faisant un large geste d’énervement ; Benoît se passa les mains sur le visage. Toussa. Ses yeux gris-vert se tournèrent vers elle.

« Bon, ça ira ou pas ? »

Chloé considéra de le renvoyer avec son paquet d’échardes pour lui obtenir une souche digne de ce nom, mais il n’était peut-être pas judicieux de se mettre le superviseur à dos dès le premier jour.

« Oui, merci », mentit-elle. « Euh… pour la charrette, le déchargement… Bob dit qu’il n’a pas le temps.

— Évidemment… »

Benoît soupira profondément. Malgré la poussière qui blanchissait sa peau et ses cheveux, on pouvait distinguer de fins cernes qui creusaient ses orbites d’ombres mauves.

« Ça va aller ? », s’inquiéta-t-elle.

« Évidemment », répéta-t-il sans aucune conviction. Il eut une sorte de rire tenant du grognement qui sonnait étrangement familier, puis reparti de son côté de la vitre. Chloé haussa les épaules, trop inquiétée par ce bout de bois qui ne correspondait pas du tout à ce qu’elle avait en tête. Comment allait-elle s’en sortir avec des outils miteux et une matière première bas de gamme ?

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