1-Chapitre 8 (3/4)

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« Il s’est bien renseigné sur toi, il sait que tu ne finis pas tes œuvres et que plus personne ne veut te proposer de contrats. »

Ce n’était pas très loin du pire. La question était de savoir s’il allait s’en servir pour la menacer, comme son dernier agent. Benoît lui confirma que c’était le cas. Une enclume et un boulet vinrent se loger parmi des lambeaux bombardés de ses entrailles. Voilà, elle était au fond du gouffre.

« Mais il reconnaît ton talent. Si tu finis tes projets, ça pourrait tout changer.

— Le vicomte a dit ça ? »

Benoît lui rapporta alors le contenu de sa conversation avec leur employeur. Elle était donc sur la sellette ; le savoir ne l’aidait pas du tout.

« Pourquoi m’en parles-tu s’il t’a demandé de garder ça pour toi ?

— Je n’aime pas cacher ce genre de chose à la personne concernée. Ça me donne l’impression de mentir. Et comme tu m’avais demandé de ne rien lui dire, je pense qu’il est préférable que tu saches qu’il est déjà informé. Tu aurais préféré que je me taise ? »

Chloé nia ; il avait raison. Il était temps de prendre le taureau par les cornes et d’assumer ses erreurs (sa tante aurait dit : « tu as joué à la cigale, eh bien maintenant tu comprends ta douleur »).

« Tu peux vraiment sculpter la dentelle ?

— Ça dépend de celle qu’il attend, j’en ai fait plusieurs avec plusieurs méthodes… qui prennent toutes une éternité. Je suppose que je vais devoir en inventer une autre pour gagner du temps.

— Tu peux y arriver ? Il reste à peine un mois et la danseuse n’est pas encore finie, alors inventer une méthode de sculpture… »

Chloé lui lança un regard désespéré. Il avait le don pour ne pas trouver les mots qui rassurent.

« Je ne sais pas, Benoît ! Je n’ai aucune idée de ce que je vais pouvoir faire en si peu de temps. Je n’ai jamais travaillé comme ça ! Mais… si je n’essaie pas, il va me renvoyer, non ? Je ne peux pas faire ça à Adelphe ! »

Les larmes commencèrent à couler avant même qu’elle ne réalise qu’elles embuaient ses yeux. Elle les essuya d’un geste rageur, inutile. Les doigts toujours crispés sur ses nouveaux outils, le métal déjà tiède pesait trop léger pour lui permettre de croire qu’elle y parviendrait. Elle ne voulait pas pleurer ; elle n’en avait pas le temps.

Alors Benoît fit quelque chose qu’elle n’aurait pas envisagé de quelqu’un d’aussi froid : il la prit dans ses bras et la serra très fort contre lui. Malgré l’heure matinale, malgré le fait qu’il n’avait même pas encore commencé à travailler, il sentait déjà la sciure, les essences de bois et la terre brûlée par le soleil. Il y avait quelque chose de si familier, de si réconfortant entre ses bras, qu’elle ne chercha plus à retenir ses larmes. Elle demeura blottie dans sa chaleur en espérant que le temps ne reprenne pas son cours, parce que cela signifiait replonger dans ses problèmes, recommencer à courir après l’avenir qui s’éloignait toujours un peu plus, et décevoir encore d’autres personnes. Elle préférait pleurer, et pourquoi pas mourir là, entre les odeurs qu’elle aimait le plus pour ne plus jamais avoir à penser.

Petit à petit, ses larmes se tarirent. Quand ses hoquets cessèrent, il recula d’un pas. Les bras glissèrent dans son dos, emportant avec eux la chaleur bienveillante, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que deux mains légèrement pressées sur ses épaules.

« Ça va aller, Chloé. Adelphe en a vu d’autres, elle ne t’en tiendrait pas rigueur. Mais tu n’as pas à t’inquiéter de ça parce que tu peux finir cette sculpture. J’ai vu ton book, s’il y a bien une personne qui sache travailler le bois, ici, c’est toi.

— C’est gentil, même si c’est faux. »

Il sortit un paquet de mouchoirs de l’une de ses poches pour qu’elle essuie les vestiges de ses larmes.

« C’est bien dommage que tu croies si peu en toi, car tu es la seule à ne pas voir tes statues telles qu’elles sont. »

La chaleur était repartie. Le temps reprenait son cours.

« Tu es venu aussi tôt juste pour me dire ça ?

— Certainement pas. Moi aussi j’ai un projet à finir. Et j’ai plutôt intérêt à me dépêcher parce que j’ai une nouvelle commande qui vient d’arriver.

— Oh, donc tout ça, c’était un concours de circonstances ? »

Il lui jeta son regard bizarre de surprise exaspérée.

« J’attendais de te coincer en tête à tête assez longtemps pour t’en parler tranquillement, si c’est ta question. C’est chose faite. »

Il termina de réenclencher les rouages du temps de la manière la plus inattendue : « Il faut vraiment que tu rendes visite à madame Brodaux. »

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