1-Chapitre 9 (2/4)

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Madame Brodaux poursuivit : comment il avait décidé de partir à l’extérieur, lui aussi, pour découvrir toutes ces villes que Chloé lui avait racontées pendant leurs étés. Comment eux, ses parents, s’y étaient opposés. Et puis la fugue du bonhomme : trois jours d’une angoisse rivée au corps à fouiller partout, à regarder sous toutes les pierres, dans tous les fossés, derrière chaque souche dans l’espoir et la crainte de l’y trouver. L’appel de la gendarmerie voisine, parce qu’il avait essayé de monter dans un train sans billet avec une dégaine de vagabond. Oh, on l’avait disputé ce jour-là ! On l’avait tellement disputé qu’il avait dit des choses horribles qu’une mère ne voulait pas se rappeler. Et Chloé serrait ses deux mains dans les siennes en l’écoutant. Madame Brodaux renifla un peu, mais ça ne l’empêcha pas de poursuivre : il avait réessayé. Il sautait sur la moindre occasion, toujours prêt à disparaître : un camion de passage, une mobylette qui traînait… un jour, il avait même tenté de se faire passer pour un des livreurs du château afin de repartir avec la compagnie de paillettes ! Elles rirent doucement en songeant à Jacques en costume scintillant pour livrer des pots encore plus colorés. Plus il essayait, plus on durcissait les règles. Alors les tentatives s’étaient faites plus espacées, jusqu’à totalement cesser. Il avait cessé de sourire, de faire les quatre cents coups, de crier. Et un matin, on l’avait retrouvé noyé dans la baignoire.

Chloé lui serra les mains si fort qu’elle en grimaça.

« Tu ne savais pas ? Ma pauvre petite, tu ne savais pas… »

Elles fondirent en larmes toutes les deux, incapables de parler, ne communiquant que par leurs mains enserrées l’une dans l’autre.

Chloé finit par sécher ses larmes d’un revers de bras ferme.

« Il m’avait écrit une lettre pour me dire qu’il allait bientôt me rejoindre. J’étais tellement occupée par ma vie que je ne lui ai jamais répondu. Comme il n’est jamais venu, j’ai cru qu’il avait abandonné.

— Je peux la lire ?

— Non, je l’ai brûlée.

— Brûlée ?

— Oui… C’est un de ces trucs idiots que j’ai faits la dernière fois que je me suis disputée avec Adelphe… Je me suis débarrassée de tout ce qui pouvait me rappeler les Bas-Endraux. »

Madame Brodaux hoqueta en imaginant les derniers mots de son fils partir en fumée. Puis elle se reprit : cette lettre datait sans doute de ses premières tentatives de fugues, ça n’avait rien à voir. Elle contempla alors le visage émacié de la jeune femme, les contours des yeux rougis dans sa peau pâle, les lèvres tremblantes. Il fallait être sacrément désespéré pour brûler la moitié de sa vie. Elle aurait quand même préféré que son bonhomme mette feu à la ville entière plutôt que de finir comme il avait fini.

« Mais si vous détestiez autant les Bas-Endraux tous les deux, pourquoi tu es revenue ? »

Chloé lissa ses vieilles paumes doucement, pensivement.

« Tu crois au destin, Nanie ? »

Non, bien sûr que non. Elle ne pouvait pas croire que Jacques devait finir comme ça.

« Moi non plus, tu vois. Je crois qu’on récolte ce qu’on sème. Et moi je n’ai pas semé grand-chose dans ma vie, donc je n’ai plus rien à récolter. Il faut croire que vous avez quelque chose, aux Bas-Endraux, que le reste du monde a perdu : le sens de la famille. »

Chloé la regarda dans les yeux ; ce regard qu’elle avait quand elle tenait tête au monde entier. Et dans ses yeux d’or, madame Brodaux lu sans aucun doute possible que Chloé l’accusait de la mort de Jacques.

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