Chapitre 1 (3/3)

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Essouflée, elle continuait de rire sans plus pouvoir produire un son, la tête jetée en arrière, les bras devant elle pour se protéger de ses attaques aqueuses. Des invités s’étaient joints à eux dans la fontaine, d’autres les regardaient avec amusement. Ses yeux trouvèrent les visages ébahis de ses amis qui ne parvenaient pas à croire ce qu’ils voyaient (Quoi Ben, danser? Quoi, Ben, dans une fontaine? Quoi, Ben, s’amuser?); il était temps de changer d’horizons. Ben aida sa femme-flamme à se redresser pour sortir du bassin. Elle fit deux pas, puis s’arrêta pour essorer la jupe pesante de sa robe. Une flaque se forma lentement à ses pieds. Il hésita à se pencher pour l’aider, mais craignait qu’elle n’interprète mal le mouvement. Alors il ôta la veste de son costume pour l’égouter également.

Quand elle se redressa, le serpent qui dormait sur son dos sembla prendre vie. Il déglutit. Ce tatouage le terrifait.

«Et maintenant», murmura-t-elle à son oreille, «de quelles vagues allons-nous brûler les secondes?»

Une question à laquelle n’existait qu’une seule réponse. Leurs doigts s’enlacèrent d’eux-mêmes. La chaleur se diffusa dans son bras, plus douce que la nuit d’été éternel qui les couvait. Il aurait voulu que cet instant ne s’arrête jamais, mais, déjà, les doigts glissaient hors de sa prise et il sentait qu’il la perdait. Alors il ressera son étreinte, glissa un bras autour de la taille qui s’apprêtait à fuir:

«De la seule eau qui puisse s’enflammer, bien sûr, et je ne parle pas de vodka.»

Le sourire qui lui répondit l’invitait à poursuivre. Mystérieux, Ben la guida alors vers le château. Ils traversèrent les salles en dansant, s’attirant les regards étonnés de ceux que leur contact humidifiait. En passant par les cuisines, dont on les chassa prestement, il fit main basse sur un flacon au contenu vert-d’or qu’il glissa dans une poche. Puis, comme la dernière fois, ils longèrent les couloirs sans rien percevoir que leurs énigmes et l’éclat de leurs yeux qui filtraient sous leurs masques. Encore, ils parcoururent des distances immenses qui semblaient ne mener nulle part.

«Nous n’allons pas dans la cage aux étoiles?», s’étonna-t-elle quand il bifurqua à l’angle de l’escalier.

«Le château est plein de surprises.»

Il réalisa qu’il n’avait aucune idée de l’endroit où il l’avait menée, tout accaparé par leurs voix qui se battaient en duels sur des mots insensés. Il ouvrit encore des portes au hasard, perdu dans leurs murmures, jusqu’à ce qu’il se souvienne de la pièce qu’il cherchait. Ils s’enfermèrent alors dans une salle de bain, dont le jacuzzi central embuait murs et miroirs d’une légère vapeur. Le carrelage immaculé résonna des échos de leurs murmures avant que le silence s’installe entre la tension de leurs soupirs. Ben repoussa doucement son fantôme, enleva sa veste qu’il laissa choir au sol, posa le flacon volé sur le bord du lavabo.

«Tu crois toujours que tout est magique?

- Non, mais je ne demande que ça…», et ses yeux brillèrent entre les fentes obscures du masque flamme. Il ouvrit tous les placards à la recherche d’allumettes. La vicomtesse avait toujours des bougies dans ses salles de bain, il y en avait forcément quelque part.

«Que cherchons-nous?

- Une allumette.

- Hum… ta démonstration de magie tombe à l’eau, non?»

Elle alla déverrouiller la salle de bain et l’observa un instant.

«Il y en a forcément quelque part, c’est juste l’histoire de deux minutes…», plaida-t-il.

Mais elle sortit. Ben serra les dents, ce n’était pas du tout prévu. Il ramassa sa veste, et se redressa pour la rattraper. À peine avait-il atteint la porte qu’elle s’ouvrit de nouveau sur son fantôme: elle tenait un chandelier entre ses mains, le sourire presque démoniaque dans leur lumière.

«On devrait pouvoir s’en sortir aussi bien avec ça, non?»

Ben l’aurait embrassée s’il n’y avait pas cinq chandelles allumées entre leurs lèvres.

«Toi, tu n’as pas inventé l’eau chaude, non?», le taquina-t-elle.

Le masque-nuit recula lentement dans la pièce soudain animée de serpent rouges. Sa main récupéra le flacon qu’il avait magiquement fait apparaître de sa veste en entrant.

- Non», rit-il sombrement, «moi», il dévissa le bouchon en trois gestes précis, «je fais les choses en grand.»

Le masque-magie vida le contenu doré dans la piscine creusée dans le sol de la pièce. Le liquide se propagea lentement sur la surface, colorant l’eau inerte de son éclat précieux. Ayant retrouvé toute sa confiance, le magicien la contourna pour éteindre les lumières, puis récupéra le chandelier qu’elle tenait encore. Dans l’obscurité à peine troublée par les cinq chandelles, sa silhouette s’agenouilla prudemment au bord de l’eau ensorcellée. Doucement, une flamme se posa sur la surface teintée. Il ne se passa rien. Elle faillit le lui faire remarquer, mais il semblait si concentré qu’elle voulut y croire. Sa respiration se bloqua dans sa poitrine, comptant les secondes d’espoir. Une… deux… La flammèche de la chandelle vacilla, s’éteignit, reprit. Cinq… six… Il leva sa main libre:

«Moi,»

Dix…

«J’ai inventé l’eau qui brûle.»

Et la piscine s’enflamma.[Eau très chaude + huile (ou graisse) = l’huile brûle. Attention, très dangereux, ne surtout pas éteindre avec de l’eau qui provoquerait une explosion.

«Le truc» de son tour de magie est donc que l’eau du jacuzzi est en permanence chaude, ce qui permet de gagner du temps sur l’allumage de sa piscine.]

La stupeur l’étouffa. Chloé tenta de reprendre sa respiration sans comprendre ce qu’elle voyait. Il reporta son attention sur elle; la fierté brûlait dans ses yeux invisibles. Doucement, il lui tendit sa main libre, l’invitant à le suivre jusqu’aux marches léchées par les flammes.

Ils descendirent la première.

Lentement, du bout du pied, il écarta l’eau enflammée pour s’y glisser.

Ils s’enfoncèrent dans les ondes chaudes, encore illuminées, entourés par l’incendie qui ne les touchait pas. Chloé écarquillait les yeux sans pouvoir y croire. Le masque-étincelle posa le chandelier sur le bord de la piscine, la serra doucement dans ses bras. Blottie contre le rempart de sa chaleur rassurante, elle fixait toujours les lumières qui poursuivaient leur chemin enflammé sur les crêtes liquides. Un souffle caressa son oreille, chatouillée par les racines du masque de bois.

«Maintenant que j’ai brûlé les vagues, je te laisse décider comment nous nous consummerons…»

Quand Ben se réveilla sur le carrelage tiède de la salle de bain, une odeur de brûlé empoissait tout. Son fantôme était déjà parti. Il se redressa doucement, contemplant à la chiche lumière du jour naissant les noircissures qui décoraient les carreaux de la piscine et le plafond. La vicomtesse allait le tuer. Il récupéra ses affaire, la bouteille d’huile, et quitta la salle de bain en priant pour ne croiser personne. Jo devait déjà être en train de l’attendre.

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