Chapitre 2 (4/4)

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Le vicomte faisait des allers-retours dans l’espace restreint de la pièce, de la table à la cafetière, de la cafetière à la table, frôlant à chaque passage les feuilles brunies d’une plante-verte. Ses bras gesticulaient au rythme effréné de ses mots. Ce n’était pas homme à crier, mais la colère s’entendait dans chaque ponctuation, chaque virgule dont il assenait son incrédulité. Il poursuivait, tournant encore dans le bureau, incapable de comprendre comment Benoît avait pu détruire une pièce qui avait coûté tant à préparer, stupéfait que la vicomtesse lui ait si vite pardonné -mais sa mère était fantasque, l’excusa-t-il- ce qui lui interdisait d’en vouloir à Benoît. Elle avait donné un prix, cependant, un montant que l’entreprise devrait payer pour couvrir les dépenses. L’entreprise! C’était donc au vicomte de réparer l’inconséquence de son employé!

Il comprenait que, ce faisant, la vicomtesse avait sauvé le poste de Benoît: le vicomte devait le garder pour le forcer à rembourser. Le vicomte savait que Benoît était indispensable à la gestion et que, sans lui, il devrait lui-même plonger les mains dans les rouages quotidiens des affaires et de l’équipe. Mais la colère l’aurait poussé à le renvoyer là, sur le champ, si sa mère ne s’était montrée si fine. Alors le vicomte écumait, invectivant l’ébéniste qui attendait en silence contre le mur. Puis, quand le vicomte eut vidé toute sa frustration dans un discours qui l’avait privé d’air, il cessa de tourner pour considérer son employé. Benoît se croyait intouchable parce qu’il était indispensable. Il se savait sauvé par la magnanimité de sa mère… Mais le vicomte savait combien elle tenait à chaque pièce de son château, combien cette destruction l’affectait… Benoît avait eu le courage de se dénoncer, certes, et c’était sans doute ce qui l’avait sauvé. Car on aurait découvert que c’était lui - la vicomtesse aurait fait appel à des amis haut placés pour lancer une enquête approfondie… Le vicomte ferma les yeux.

Benoît le regardait posément, encore tout couvert de la poussière de son ouvrage. Qu’il haïssait sa capacacité à garder son calme! Il aurait voulu, au moins, l’entendre demander clémence, comme il se devait après un tel forfait. Alors une idée cruelle l’effleura. Le vicomte retrouva son calme.

«Le prix est exorbitant, Benoît. Je crains que tu ne sois jamais en mesure de rembourser la somme exigée par ma mère.»

Une question effleura les yeux clairs, mais l’artisan n’émit aucun son. Quand la tension devint palpable, le vicomte reprit: «Un demi-million.

- Un demi-million?», s’estomaqua -enfin- Benoît. Son expression se décomposa. Il ne pourrait jamais rassembler une telle somme. Jamais. À moins que… et le vicomte se retint de sourire en voyant qu’il entrevoyait la solution.

«Ta famille pourrait payer, n’est-ce pas? Si je me souviens bien, vous possédez les vingt-cinq hectares sur le versant ouest…

- Pas l’oliveraie.

- Ta famille n’en a plus besoin. Tout le monde sait que votre entreprise mourra avec tes parents, puisque tu ne la reprendras pas.

- Pas l’oliveraie.»

Le vicomte l’ignora, continuant d’avancer des arguments tranquilles, calculant le montant exact de chaque arbre, de chaque bouteille d’huile. Une activité bien plus rentable que le bois, par ici. Le calme de Benoît se brisait doucement, accusant chaque argument d’un cillement. Le vicomte jubilait.

«Votre terrain a la meilleure exposition, ce serait presque un crime de l’acheter si peu cher. Je t’en offre un million.»

Il vit alors le désespoir dans les yeux de Benoît. L’horreur. Un million, c’était une somme que personne n’aurait imaginée aux Bas-Endraux. Mais le vicomte connaissait assez son homme pour savoir qu’il ne comptait pas la valeur de ce terrain en billets. Un million, c’était bien peu au vu de l’histoire de ces oliviers -de mille ans d’amour entre sa famille et ces fruits-.

«Pas l’oliveraie», répéta Benoît, et sa voix le suppliait à présent.

«Je ne vois pas ce que je pourrais te demander d’autre; tu n’as rien à m’offrir que je ne possède déjà…»

L’ébéniste recula d’un pas, s’adossa contre le mur, ferma les yeux.

Le vicomte sentit l’euphorie l’envahir. Il avait gagné. Mais le vicomte n’était pas si cruel. Il ne pouvait pas laisser Benoît céder: lui prendre ses oliviers, c’était le poignarder.

«À moins que…», murmura-t-il donc.

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