Chapitre 6 (1/3)

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«C’est bon, Jo, je peux y aller.

- Ah non! Tu es malade, toi! Ma-la-de. Le médecin a dit que tu devais garder le lit, alors tu restes là et tu essaie de dormir.

- Je n’ai toujours pas fini ma tête de lit, et il y a ta table…

- Pour la table, je vais me débrouiller. C’était gentil de me donner un coup de main, mais si tu ne peux pas venir, je vais trouver une solution. Et pour ton lit… il reste encore deux mois.

- Un peu moins.

- Tu as fini la découpe, ça devrait aller à ton retour pour l’assemblage. Et puis tu as le droit d’être malade de temps en temps, le vicomte comprendra. Je t’ai mis de la soupe au réfrigérateur, il n’y aura plus qu’à la réchauffer. Alors dors bien!»

La porte principale se verrouilla bruyamment, puis le ronronnement du moteur s’éloigna dans la rue calme. Ben ferma les yeux: c’était le pire moment pour attraper le mal. Mais Jo avait raison, il se sentait si fatigué que le simple fait de se lever lui donnait le tournis. Travailler semblait impossible dans ces conditions. Il songea à Mistouffle qui se blottissait contre lui lorsqu’il devait garder le lit, plus jeune. Mais le chien était chez ses parents, et il ne pouvait pas leur demander de lui amener un animal dont il n’était pas en mesure de s’occuper pour le moment. Il ferma donc les yeux et se rendormit.

Quand Jo rentra, il vint s’assoier au bord de son lit pour lui donner des nouvelles de l’atelier: Julie s’en sortait de mieux en mieux; Sam et Agnès avaient décidé de ne plus se parler, ce qui avait l’avantage d’éviter les disputes; Bob ronchonnait encore plus. L’équipe lui souhaitait un bon rétablissement, prompt, surtout. Et la machine à café fonctionnait.

«Et Chloé?

- Elle avance. Son arbre ressemble de plus en plus à un vrai olivier. C’est dingue ce qu’elle peut faire avec ses dix doigts… et les outils de mon père. Tu m’avais pas dit que les lui avais prêtés.

- Elle finira plus rapidement la sculpture si elle arrête de se battre avec les instruments.»

Jo ramassa ses jambes sous lui pour s’assoier confortablement en tailleur. Il jouait avec la couverture rèche, reprisée à plusieurs endroits. Finalement, il posa la question qui les hantait tous les deux:

«Tu crois qu’elle la finira à temps?

- Non. Mais je vois bien qu’elle essaie de faire de son mieux pour avoir un résultat suffisant pour la vente.

- ça suffira pour le vicomte?»

Ben toussa un moment, puis avala quelques gorgées de la tisane infâme que son cousin lui tendait. Le breuvage avait pour seul mérite d’être chaud.

«Je l’espère.

- Mais enfin! Il y a forcément un autre moyen de payer la vicomtesse! Le vicomte ne peut pas te forcer à lui vendre les terre de ta famille! Techniquement, elles ne sont même pas à toi en plus!

- En partie, si. J’ai hérité quelques hectares de mes grands-parents.

- Mais le vicomte veut tout.»

Que l’oliveraie n’appartienne qu’en partie à Ben ne changeait pas grand-chose au vu de la situation. Ses parents n’allaient pas le déshériter. Surtout à présent qu’ils savaient dans quelle situation il était et que les arbres pouvaient le sauver. Il espérait juste qu’ils ne mettent pas leur grain de sel dans l’affaire pour éviter de compliquer encore plus la situation. Il avait déjà Adelphe sur le dos. Et Jo. Il ne lui parla pas des masques, cependant, incertain qu’il était de pouvoir les terminer à temps. Même s’il y parvenait, rien n’indiquait qu’ils seraient assez bons pour être proposés aux enchères; Ben ne voulait pas donner de faux espoirs à sa famille. Étant donné qu’il était coincé dans son lit pour un moment, il n’y avait presque aucune chance qu’il puisse présenter quoi que ce soit au vicomte. Pas même sa tête de lit qui était pourtant le plus élémentaire des attendus. Avec un peu de chance, la vicomtesse gagnerait assez d’argent aux enchères et il ne perdrait que sa place. Mais il n’avait jamais compté sur la chance dans sa vie.

«Elle est au courant, Chloé? Que si elle rate sa sculpture, tu perds tout ton héritage?

- Je lui en ai touché deux mots, oui.

- Comment a-t-elle réagi?

- Comment tu réagirais si le voisin venait sonner chez toi demain pour te demander de lui sortir un meuble à un million afin de sauver son héritage?

- Si mal que ça?

- Je n’en ai aucune idée, en fait.»

En effet, à présent qu’il y pensait, Chloé n’avait pas laissé entendre qu’elle ferait tout pour l’aider, certes, mais elle n’avait pas non plus refusé. Pour être franc, sa réaction s’apparentait à de l’indifférence. Mais l’artiste était couverte de dettes; les problèmes financiers des autres ne devaient pas la surprendre.

«C’est quoi, ça?»

Jo lisait la feuille qu'Adelphe lui avait donnée; celle qui parlait de la grande oeuvre de Chloé. Le sang de Ben ne fit qu’un tour. Mais pourquoi? C’était sur internet, rien n’interdisait d’en parler. Jo aurait pu trouver l’information lui-même en cherchant un peu; Ben avait vérifié, la page était en effet assez facile à trouver quand on avait les bons mots-clés. Il avait même trouvé plein d’autres de ses sculptures, une fois qu’il avait prit la peine de chercher.

«Elle est exposée dans un musée? Pourquoi tu n’as rien dit?

- Vu qu’elle n’en a parlé à personne, je me disais qu’elle préférait se faire discrète.»

Jo relu le document plus lentement cette fois, puis fronça les sourcils:

«Mais c’est une vraie artiste, alors?

- Tu pensais que c’était quoi, une impostrice? Tu n’as pas vu Le Flamenco le mois dernier? La Fay-minime chez la vicomtesse?

- Bah, je sais pas… une sculptrice, quoi.»

Jo tenta de s’expliquer de manière confuse; Ben sentit la fatigue embrouiller encore plus les explications. Il ne chercha pas à comprendre et ferma les yeux. Puis les rouvrit:

«Attends, Adelphe a dit qu’elle ne pouvait pas la vendre, cette oeuvre.

- Que vient faire Adelphe là-dedans?

- Pourquoi est-ce qu’elle ne pourrait pas vendre un truc qu’elle a fabriqué?», l’ignora Ben.

«Parce que c’est dans un musée?»

Il y avait autre chose. On pouvait prêter une oeuvre, mais dans ce cas, il était possible de la récupérer en fin de contrat… mais Adelphe semblait dire que c’était définitif. Comme si l’oeuvre ne lui appartenait plus. Il devait en avoir le coeur net.

«Je dois parler à Chloé.

- Pop-pop, tu ne vas nulle part toi! Déjà, tu es malade et ensuite… tu as vu l’heure? Elle a travaillé d’arrache-pied toute la journée, elle a bien le droit de dormir un peu.»

Jo le força à se rallonger sur les oreillers épais. Il plissa soudain les yeux comme il le faisait quand il était prit d’un doute:

«Pourquoi tu veux la voir à une heure pareille? Et pourquoi tu avais ce papier sur ta table de nuit?

- Je pense au bilan et à sa sculpture à un million, d’accord?

- Mouais… Et tu veux me faire croire que son problème avec ce machin là, Dés-illusions, va sauver tes oliviers?

- J’en sais rien, mais j’ai bien envie de lui poser la question. Tu peux l’appeler?

- Je n’ai pas son numéro.

- Demande à Adelphe.

- Ma parole, mais tu as attrapé le délire en plus!»

Ben préféra se taire. Jo avait raison, c’était tout à fait idiot, et ça n’aurait aucun rapport avec eux. Il se laissa retomber sur le lit en signe de capitulation. Il valait mieux se concentrer sur la guérison pour essayer de régler la situation lui-même, comme l’adulte qu’il était supposé être. Il s’endormit à nouveau.

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