Chapitre 8 (1/3)

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«- Je t’envoie un mail avec les photos. La lumière n’est pas flatteuse, je n’avais pas de studio sous la main.

- Je préfère les voir en vrai.

- Impossible.»

Ruby rebascula l’appel sur son portable pour retourner dans son bureau. Une grappe de collègues la suivie aussitôt en courant le long des couloirs, le dossier sous le bras.

«- Tu l’as reçu?

- Un petit instant.»

Ruby se jeta sur sa chaise, bascula sur sa boîte mail et consulta les derniers messages en catastrophes. Son assistant rebascula l’appel sur le fixe, en haut parleur; il semblait vivre un feuilleton criminel.

«- Oh…», Ruby grimaça, les autres aussi. C’était moche. Et la luminosité n’y était pas pour beaucoup. «Mais pourquoi tu veux vendre des choses pareilles?

- J’ai promis à un ami de l’aider.

- Je croyais qu’elles étaient anonymes, ces oeuvres?

- C’est pas ça… il a besoin d’argent.

- Tu fais dans la charité, maintenant?»

Le téléphone se tût. Ruby était impressionnée. Pour quelqu’un dont la dette s’élevait à… elle lu le montant du dossier et le multiplia par cinq pour inclure les autres créanciers de Chloé, il fallait avoir le coeur sacrément accroché pour s’occuper de la dette de quelqu’un d’autre.

«- De combien a-t-il besoin?», s’étonna Ruby.

«- Un million.»

Elle s’étouffa. Cette fois, personne ne parvint à retenir le hoquet de surprise.

«- Un million?» hurla Ruby. «Tu t’attends vraiment à ce que je vende ces horreurs pour un million? Mais tu prends quoi comme drogue, Chloé?

- Si c’est trop compliqué pour toi, je peux voir avec Desdémone. Elle aime bien les défis.

- Mais appelle-là, ma grande! Si un seul agent accepte ça, je lui tire mon chapeau! Ce n’est pas un défi ce que tu proposes, c’est un suicide social!»

Elle faillit raccrocher, mais se retint de justesse. Cet appel était peut-être sa dernière chance de récupérer l’argent. Si elle y mettait fin, rien de disait que la sculptrice redonnerait signe de vie un jour. La ligne resta silencieuse. Aucune d’elles n’osait raccrocher ou reprendre la parole. Puis une voix d’homme, quelque part à côté de Chloé, rauque, froide:

«- Il reste moins de deux mois… Tu ferais mieux de retourner sculpter.»

Ruby fut prise d’un affreux pressentiment. Chloé avait disparut depuis cinq mois, évaporée dans la nature sans laisser ni adresse ni message à quiconque. Elle devait trouver un million en urgence. Alors elle la vit, attachée sur une chaise au milieu d’une pièce vide, un spot lumineux à moitié cassé se balançant doucement au dessus de sa tête, une main gantée de noir tenant un téléphone à côté de son oreille pour l’obliger à passer cet appel… séquestrée, depuis cinq mois, par un monstre sanguinaire qui la forçait à sculpter tout au long du jour et de la nuit, exploitant son talent impitoyablement dans le seul but d’amasser des fortunes… Elle ne pouvait pas l’abandonner comme ça. Il fallait qu’elle trouve un moyen de la sortir de là.

«- Je vais y réfléchir, Chloé. Je ne te promets rien, mais je vais vraiment y réfléchir. Rappelle moi dans deux jours, à la même heure. Tiens le coup, d’accord? On va s’en sortir.»

Puis la communication se coupa. La sonnerie stridente d’une fin d’appel emplit le bureau. Ruby raccrocha. Elle avait du mal à reprendre sa respiration. Autour d’elle, on faisait déjà les pires conjectures sur la situation de l’artiste et les raisons pour lesquelles elle devait trouver une somme pareille. Puis un autre téléphone sonna. Il y avait toujours le vernissage du soir à préparer. Le bureau se vida progressivement.

Ruby se retrouva enfin seule, incapable de penser aux encarts à finir. Elle faisait défiler les photos en noir et blanc de Chloé. Les sculptures étaient immondes. La lumière était horrible. Le fond même était affreux: cette terre sèche, couverte de poussière, d’herbes mortes, craquelée, où l’on devinait parfois l’emprunte d’un pas d’homme ou les coussinets d’un chien. Des troncs crevassés maintenaient parfois l’une des sculptures dans un équilibre précaire. Tout respirait la misère, la tristesse, la pauvreté… Ruby pianota sur sa souris. Il y avait quelque chose, là-dedans. Quelque chose qui criait Chloé D.

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