3-Chapitre 2 (2/3)

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TW: violence (blessure accidentelle)

Les coups qui faisaient frémir la porte n’étaient pas comme d’habitude; il devait s’agir de quelqu’un d’autre que sa tante. Chloé frissona: c’était la troisième fois qu’elle séchait le travail, peut-être Adelphe avait-elle exécuté sa menace et prévenu ses parents… mais il ne seraient pas arrivés si vite. Ils habitaient tout au bout du nord: il fallait plus d’une journée pour faire ce trajet. Hésitante, elle se résigna enfin à ouvrir.

Benoît. Comme c’est suprenant, grinça-t-elle intérieurement. Monsieur je me mêle de tout ce qui ne me regarde pas récidivait.

«- Il faut qu’on parle.

- On a parlé la dernière fois et on dirait bien que c’est tombé dans l’oreille d’un sourd. Je ne vois pas pourquoi ce serait plus efficace cette fois.

- Oh, je t’en prie!», s’exaspéra-t-il aussitôt.

Tiens, sa patience semblait avoir des limites. Elle ne se départit pas de son acidité pour autant:

«- Si tu veux parler du prix ridicule auquel tu as écoulé les photos, c’est déjà fait. Je n’ai rien d’autre à ajouter sur le sujet.

- Tu veux vraiment tenir cette conversation sur le perron pour en faire profiter tout l’immeuble?»

Chloé haussa les épaules, les murs étaient assez fins pour affirmer que l’intimité de l’appartement n’était pas bien meilleure que celle de la cage d’escalier. Elle croisa les bras et s’appuya contre le chambranle de la porte d’entrée: il ne mettrait pas un pied chez elle.

«- Le vicomte a appelé, on a un problème.

- Pour tes oliviers, ça ne me regarde pas. J’ai déjà fait tout ce que je pouvais pour toi.»

Elle se mordit la lèvre en réalisant que c’était faux. La sculpture promise n’était toujours pas terminée.

«- Je sais et je t’en suis très reconnaissant. Mais là, je parle d’un problème pour tout le monde, et comme tu n’étais pas à la réunion d’équipe tout à l’heure…

- Tu t’es dit que venir chez moi à vingt heures pour m’en parler était la meilleure idée?», ironisa-t-elle. «C’est trop mignon, vraiment… Tu sais que les téléphones existent?»

Il se passa les mains sur le visage en faisant un aller-retour sur le perron. Elle l’agaçait prodigieusement, semblait-il. Mais Chloé n’en avait cure: il lui avait fait perdre cinq-cent milles. De quoi se libérer de la moitié de ses créanciers en une seule fois!

«- Chloé, le vicomte veut une sculpture pour la fin du mois…

- Du mois?

- Il t’en veut… il nous en veut d’avoir vendu par l’intermédiaire de madame Lelierre. Une histoire de renommée, de prestige… il voulait être celui qui vendrait le premier Chloé D. achevé…

- Il y a déjà une sculpture achevée!»

Elle referma la porte sans plus attendre, trop colère pour en entendre d’avantage.

«- Aouch!»

Chloé rouvrit la porte vivement, les yeux exorbités par l’horreur: elle venait de claquer la porte sur la main de son chef. Sa main!

Elle considéra la marque écarlate qui barrait la paume. Avec un peu de chance, c’était juste douloureux. Mais à l’expression de l’ébéniste, ce n’était pas une petite douleur passagère. Paniquée, elle bredouilla une série d’excuses confuses en l’asseyant presque de force sur son fauteuil à bascule -unique assise du salon-, puis courut dans sa salle de bain chercher n’importe quelle pommade qui pourrait apaiser la douleur. Elle ne possédait rien pour ça. Peut-être une crême contre les brûlure? Un anti-inflammatoire musculaire? Des comprimés contre la douleur, c’était déjà un début…

Quand elle revint, il se tenait le poignet en observant sa dextre qui prenait une teinte violacée peu naturelle. Chloé lui intima d’avaler les cachets qu’elle avait trouvés puis s’agenouilla pour passer la pommade soit disant magique de sa tante qu’elle venait d’exhumer du fond du frigidaire (un truc fait à base de graisse de chèvre et d’huile d’olive, l’odeur était écoeurante).

«- Bon sang! Mais pourquoi tu n’as pas bloqué avec ton pied comme tout le monde?»

Ben laissa échapper un grognement qui semblait vouloir imiter un rire:

«- Personne ne m’a jamais claqué la porte au nez jusque là, tu es bien la seule à avoir ce genre de réactions.

- Agaçant comme tu es, ça m’étonne.

- Tout le monde n’est pas de ton avis.

- Encore plus étonnant.»

Les doigts se contractèrent au contact de la graisse fraîche. Chloé n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait, mais s’y employa tant bien que mal.

«- On devrait peut-être t’emmener à l’hôpital», fit-elle remarquer tandis que les doigts atteignaient la taille de petites saussices.

Il refusa, prétextant qu’il en avait déjà vues d’autres. Il passerait chez son médecin aux aurores pour vérifier l’ampleur des dégâts. Elle haussa les épaules, c’était sa main; son problème. Il fallait vraiment être idiot pour bloquer une porte qui claque avec une main quand même. Surtout quand on était ébéniste et qu’il s’agissait de son outil de travail principal.

Quand elle eut terminé de bander lâchement la baudruche qui finissait désormais le bras de Benoît, elle lui proposa un remontant qu’il refusa -pas avec les médicaments- donc Chloé s’installa à côté de lui sur un tabouret traîné depuis la cuisine avec un verre bien trop rempli au goût de sa tante.

«- Tu disais que tu voulais parler d’un problème qui touchait tout le monde. À priori, les photos ne sont que le tien.

- Le nôtre. Toi, tu n’as plus le droit de démarrer des oeuvres qu’il n’ait pas approuvées, et moi…

- Comment?»

Benoît lui expliqua alors que le vicomte craignait tant qu’elle vende via une autre agence ou société que la sienne qu’il lui était désormais interdit de produire sans son consentement.

C’était une restriction de son droit le plus élémentaire en tant qu’artiste: celui de créer. Impossible. Inadmissible.

«- Ton téléphone.

- Comment?

- Ton téléphone, Benoît, j’appelle le vicomte de ce pas.

- Certainement pas, tu lui parleras quand tu seras calmée et que nous aurons réfléchi à une solution.

- C’est tout réfléchi: je démissionne!

- Exactement ce que je veux éviter. Tes clauses de rupture de contrat sont draconniennes, tu te retrouverais endettée au moins au triple de l’actuel.

- As-tu seulement un idée de ce que je dois?»

Benoît ne répondit pas. Elle était la seule à connaître le montant exact de la facture, personne ne lui ferait croire que le petit ébéniste du vicomte avait trouvé l’information… mais Ruby disposait sans doute d’un ordre de grandeur qu’elle aurait pu lui communiquer.

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