3-Chapitre 2 (3/3)

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Ben prit plusieurs inspirations pour apaiser la douleur et se calmer. Chloé commençait vraiment à lui taper sur les nerfs. Et dire que moins de vingt heures plus tôt, il la considérait comme une amie!

«- Je ne connais pas le montant exact, mais je sais que le vicomte n’est pas homme à faire les choses sans raisons. Il connaissait ta réputation avant de t’embaucher, je parierai qu’il n’a pas choisit trois millions au hasard pour te forcer à rester dans sa société.

- Il me suffirait de laisser Ruby vendre cinq ou six de mes oeuvres pour m’en débarasser.»

Elle haussa les épaules et but une gorgée de son verre en triturant son chignon. Des mèches éparses pointaient un peu partout sur le sommet de son crâne, illustrant sa colère qui semblait suinter par tous les pores de son corps.

L’élancement dans sa main lui fit serrer les dents; Ben prit de longues inspirations. Finalement, il lui demanda avec le plus de douceur possible dans son état:

«- Quelles oeuvres, Chloé?»

L’artiste se figea. Elle le considéra avec des yeux si vides que la honte le submergea d’avoir osé cette question. Dans la lumière déclinante, elle semblait encore plus pâle que d’habitude… presque fantômatique.

Doucement, elle se rassit correctement.

«- Il se fait tard Benoît, je pense que tu ferais mieux de rentrer chez toi.

- Comment je conduis avec la main dans cet état?»

Il pouvait très bien le faire en roulant au ralenti sans changer les vitesses, ce ne serait pas une première aux Bas-Endraux. Mais il avait trop peur que Chloé prenne une de ses décisions catastrophiques dans la nuit; comme démissioner… ou, comme il l’avait découvert en cherchant ses sculptures sur internet, vendre ses sous-vêtements à prix d’or à des détraqués.

«- Je peux te raccompagner, si ce n’est que ça. Et après, tu me laisseras tranquille; je suis assez grande pour gérer ma vie moi-même.

- Je préfèrerai qu’on trouve une solution ensemble…

- La nuit porte conseil, non? Alors dors sur celui-ci: arrête de t’occuper de ma vie.»

Elle se leva d’un air qui n’admettait aucune discussion, lui faisant signe qu’il était temps de vider les lieux.

Madame Brodaux l’avait prévenu pourtant: le jour où Chloé aurait besoin d’aide, elle viendrait la demander d’elle-même, ça ne servait à rien d’essayer de la lui imposer. Mais se rendrait-elle compte un jour qu’elle s’en sortirait mieux en affrontant la vérité? Il songea au faune qui l’avait en substance accusé du même tort. Comme cette nuit semblait lointaine, déjà!

Ben se laissa aller contre l’appuie-tête du siège passager en songeant à la musique qui créait des oiseaux imaginaires, au rire de son fantôme, et aux flammes qui avaient faillit les séparer. Le prochain bal lui tardait déjà…

Chloé immobilisa la voiture devant la boîte au lettre qui devançait sa maison. Le nom luisait faiblement dans la lumière des réverbères: «Phytammos». L’artiste sortit en vérifiant qu’il ne mettait pas les doigts dans la portière lorsqu’elle la claqua, puis s’éloigna sans lui laisser le temps de la rappeler. Avec tout ça, il ne lui avait même pas expliqué l’autre problème de la société.

«- Alors?»

Ben préféra s’asseoir sur le canapé en tenant sa main. Jo n’eut pas besoin de poser la question pour comprendre la raison de sa grimace; il lui expliqua en substance l’incident.

«- C’est vraiment un cas, cette femme…», ronchonna Jo en fouillant l’armoire à pharmacie pour trouver quelque remède moins nauséabond que l’actuel. «En même temps, tu viens de ruiner ses chances de remettre l’addition à zéro, c’est normal qu’elle t’en veuille. Surtout quand on pense qu’elle a fait ça uniquement pour t’aider alors que rien ne l’y obligeait…

- Continue d’enfoncer le clou, j’ai vraiment besoin de ça ce soir.»

Jo s’assit sur la table basse pour lui faire face sans se départir de son sérieux -expression dont seul Ben avait le loisir d’être gratifié- pour continuer sa remontrance. Puis il se tût un long moment; soupira.

«- Je suppose que tu n’as toujours aucune réponse sur les masques? Donc tu as sauvé la moitié de l’oliveraie, mais le reste…

- Je n’ai encore rien sauvé du tout; le vicomte avait dit qu’on renégocierait si je rassemblais une partie de la somme. La négociation n’a pas encore repris.»

Pour tout dire, le vicomte était si vexé de ne pas avoir vendu le Chloé D. aux enchères qu’il s’était montré presque plus dur. La première fois, il s’agissait d’une histoire purement matérielle -Ben avait saccagé la salle de bain de sa mère, rien de vraiment insurmontable- mais cette fois, on parlait de son ego: le vicomte n’était pas homme à laisser un tel crime impuni. Les deux cousins gardèrent le silence en songeant à ce que cela impliquait pour les terres de Ben; pour son avenir tout entier.

«- Tu crois que Chloé va te sortir la sculpture à la fin du mois?», osa enfin Jo en tentant d’adopter un ton guilleret, qui sonnait plutôt morbide.

«- Non. Je crois qu’elle va encore faire une bêtise et je n’ai aucun moyen de l’en empêcher parce qu’elle ne m’écoute même plus.

- Tu penses vraiment qu’elle t’a écouté à un moment?»

Ils rirent nerveusement. Difficile à dire au vu du personnage.

«- On aura de la chance si elle vient au travail, déjà…»

Ben hésitait à appeler Adelphe, la seule personne qui semblait posséder un peu d’ascendant sur l’artiste. Mais ce serait en contradiction directe avec le dernier ordre que Chloé lui avait donné. Ne plus s’occuper de sa vie, voilà quelque chose que personne n’aurait jamais songé à lui reprocher. Ici, une aide était toujours bienvenue, même non sollicitée. Un refus paraissait inquiétant, surtout de la part de quelqu’un qui avait le don de multpilier les problèmes comme Chloé. Un exemple de plus de sa différence, de l’écart entre leurs deux univers.

Alors il songea aux poissons que lui avait décrit son faune; au voilier. Ce monde où aucun soucis ne semblait subsister. Ben se demanda si, un jour, il connaîtrait la mer.

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