3-Chapitre 3 (4/4)

4 minutes de lecture

«- Fais encore une remarque sur mes sculptures, une seule!»

Chloé s’était retournée si vivement qu’il avait sursauté. Il parvint cependant à reprendre son emprise pour répondre avec une affabilité feinte:

«- Sinon quoi? Tu m’as déjà détruit une main, tu veux passer à l’autre? Tu penses que le vicomte remettra mon renvoi en question si je suis handicapé au point de ne plus pouvoir travailler?

- Pauvre petit Benoît qui a perdu son oliveraie! C’est vrai que c’est beaucoup plus dur de vivre sans un lopin de terre qu’avec une dette de trois million sur la tête et vingt créanciers aux trousses!

- Je ne te savais pas si mesquine.

- Sans doute parce que tu ne me connais pas autant que tu l’imagines. Déçu? Ne t’inquiète pas, tu es loin d’être le premier de la liste. Sors-moi ce billot-ci.»

Chloé s’éloigna sans lui laisser le temps de répliquer, l’abandonnant dans la pénombre de l’entrepôt avec ses élancements douloureux et la frustration d’avoir raté leur réconciliation. Ben tenta de se rassurer en se faisant remarquer qu’elle ne faisait pas beaucoup d’efforts de son côté, ce qui rendait forcément la chose plus complexe. Ils s’étaient mutuellement ruiné leur avenir, c’était une bonne raison de remettre les comptes à zéro, non?

Ben termina la journée beaucoup plus agacé qu’il n’aurait dû l’être par cette entrevue. Le soir venu, l’enthousiasme naïf de Jo ne fit qu’accroître son énervement et le poussa à faire une chose assez rare: l’abandonner pour la soirée.

Dès que l’heure fut assez avancée, il se réfugia au zinc de madame Brodaux pour commander un Elixir. Comme lui, deux autres malheureux peuplaient le comptoir d’un silence qui s’éthylisait doucement. Le fond sonore se fondait dans un blues lent qui épousait parfaitement son humeur maussade. Madame Brodaux desservait en terrasse; c’était une jeunette qui tenait le bar. La fille des Hummuy, une amie d’Agnès. Elle lui lançait parfois un regard en coin pour vérifier la jauge de son verre. Dès qu’il le reposa, vide, elle s’approcha avec la bouteille pour le remplir. Manque de subtilité cruel pour lui extorquer un pourboire et le pousser à la consommation. Ben aurait dû refuser, mais ses soucis d’argents étaient tels qu’il n’était plus à quelques verres près. D’autant qu’il était toujours le seul à devoir faire voeux de sobriété en soirée pour reconduire tous ses amis: il avait économisé sur le budget alcool pendant des années, il pouvait bien en profiter un peu. Il la laissa remplir son verre en contemplant les bouteilles poussiéreuses qui s’alignaient face à lui. Derrière les étagères, un miroir au tain piqueté déformait son visage… Etait-ce un message codé de madame Brodaux pour que ses clients réalisent que l’alcool déformait leurs perceptions? Non, elle n’était pas vraiment encline à ses choses là, surtout que ce ne serait pas franchement commerçant.

Ben fit tourner le liquide incolore dans le verre en humant les vapeurs piquantes qui s’en échappaient. Ses pensées bloquaient toujours sur Chloé. Pourquoi? Il n’en pouvait plus de cette pimbêche dénuée d’empathie incapable de s’intéresser à quoi que ce soit d’autre que son petit nombril! Mais c’était faux, la preuve en était son aide indéfectible bien que malheureusement conclue pour sauver son oliveraie durant tout le précédent bilan.

La jeunette resta plantée devant lui, fixant son bandage de ses grands yeux bleus. Ou gris. Ou d’une toute autre couleur qui l’indifférait.

«- Un problème?», grogna-t-il avec plus de hargne qu’il ne s’y attendait. L’alcool faisant sans doute déjà effet, la faute à son seuvrage légendaire.

«- Qu’est-ce qu’il t’est arrivé? Agnès dit que t’avais pas ça hier.»

Déjà au courant? Les nouvelles faisaient le tour rapidement en ville, il l’avait presque oublié. Ben faillit hausser les épaules puis se rappela que Chl… que la pimbêche le faisait à tout propos et cela l’énerva encore plus.

«- Accident de travail.

- C’est pas ce que dit Agnès. C’est Jo qui t’a tapé dessus?

- Jo ne ferait pas de mal à une mouche!»

Jude, se souvint-il. Elle s’appelait Jude, cette curieuse. Judith, en vrai, mais Agnès disait toujours: «Avec Jude, nous avons fait ceci…», comme s’il s’agissait d’une star de cinéma. Il était assez mal placé pour critiquer le surnom de la demoiselle. L’alcool le rendait mesquin. Ce n’était pas un comportement naturel chez lui, au moins. D’autres n’avaient pas besoin d’artifices pour se montrer aussi mauvais.

«- Alors c’est qui?

- Pourquoi tu veux qu’on m’ait tapé dessus? Ca arrive à tout les monde les accidents, Judith.»

Il insista bien sur ce dernier mot pour lui rappeler qu’ils n’avaient pas gardé les cochons ensemble; ce n’était pas parce qu’elle était copine avec Agnès qu’elle pouvait se permettre de fourrer son nez dans ses affaires.

«- Bah, t’es trop doué pour te faire ça tout seul.»

Elle haussa les épaules, et Ben faillit lui ordonner de ne pas faire ça. Il ferma les yeux et prit une nouvelle gorgée à la place. Peut-être que s’il l’ignorait assez longtemps, elle finirait par comprendre le message et décamper.

C’est alors que son voisin de comptoir décida de s’intéresser à son sort, sans doute pour ne plus penser au sien:

«- Ton frère est en ville, c’est ça?»

Annotations

Vous aimez lire - Kyllyn' - ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0