3-Chapitre 4 (1/4)

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Ben dévisagea l’homme ouvertement. Celui-ci désigna sa main blessée du menton en précisant:

«- Il n’y a que ton frère qui soit assez taré pour faire ce genre de chose. Il est venu t’extorquer des sous et il n’a pas apprécié que tu le mettes à la porte, c’est ça?

- Mon frère n’est pas taré, et ce ne sont pas vos affaires.»

Une rage sourde circulait dans ses veines, échauffant dangereusement son esprit. Ben claqua le verre contre le comptoir et jeta des billets à côté en se levant. Son attitude allait les conforter dans leur bêtise alors il cracha un mensonge sur une erreur d’inattention en cuisine et quitta le bar en fulminant.

Comme s’il n’avait pas assez de problèmes comme ça, il fallait qu’on lui mette l’autre sur le tapis pour s’assurer qu’il finisse bien de s’y étaler violemment. Dès demain, tout le monde penserait que l’autre était en ville et le maltraitait. Entre Chloé l’ingrate, et Bénédicte le taré, la ville entière le plaindrait. Pauvre petit Benoît qui va perdre son oliveraie, qui se fait taper dessus par son frère et exploiter par le vicomte! Oh ça, de la pitié, il allait y avoir droit, mais pour de l’aide, il pourrait toujours courir! Il quitta la place sans s’arrêter pour répondre aux salutations de ses connaissances (c’est à dire à peu près tout le monde) et s’enfonça dans une ruelle en direction de l’ancienne piscine.

Il ne lui fallut pas longtemps pour monter sur le toit-terrasse du bâtiment désafecté et s’asseoir à l’écart d’un groupe de jeunes qui profitaient de la soirée. Ils comprirent assez vite qu’il se moquait éperdument de leur présence et de ce qu’ils pouvaient bien traffiquer donc finirent par l’ignorer. Bientôt, les airs enjoués de leur guitare emplirent la nuit. De son perchoir, Ben dominait une partie de la ville, observant les toits sombres où quelques chats s’étiraient pour préparer leur chasse nocturne. Les pieds battants dans le vide au rythme de la musique de ses voisins du soir, il sourit à la Lune qui cherchait son chemin dans le ciel trop obscur, aussi perdue que lui.

Bénédicte. L’autre alcoolique avait raison: il n’y avait que son frère pour se mettre dans un état tel qu’il pourrait lui détruire une main. Qu’il pourrait oui, pas qu’il le voudrait. Et Chloé. Il n’y avait que son frère qui savait l’énerver au point qu’il se sente l’envie d’aller vider des Elixir au bar, lui qui ne buvait presque jamais. Et Chloé. Il n’y avait que son frère pour vivre à l’extérieur et ne revenir qu’en coup de vent dans des circonstances toujours douteuses. Et à en croire madame Brodaux, c’était aussi le cas de l’artiste. Peut-être était-ce pour cela qu’il tenait tant à ce qu’elle lui pardonne? Elle ressemblait tant à son frère…

Mais Bénédicte n’avait jamais levé le petit doigt pour l’aider quand il s’était trouvé dans des situations délicates. L’incendie dans la grange? Il s’était enfui sans demander son reste. L’année de sècheresse où ils avaient perdu la moitié de la récolte? Il avait traffiqué les olives restantes au marché noir et s’était offert une nouvelle mobylette. La pénurie d’eau durant trois jours? Il était parti camper au bord du lac au lieu d’aider à puiser au puit pour garder les chèvres en vie. Non, personne n’avait jamais pu compter sur Bénédicte; il n’avait jamais daigné faire le moindre effort pour autrui. Même le jour où Ben avait décidé de devenir ébéniste et que leur père avait demandé à Bénédicte de le remplacer à l’oliveraie: il avait fait son sac et s’était éclipsé en pleine nuit. Dans le nord. Il ne donnait aucune nouvelle. Parfois, il envoyait un message à Ben pour lui demander de l’argent avec un numéro de compte en banque. Rien d’autre.

Quelqu’un était monté tout en haut des plongeoirs pour contempler la nuit. Ben frissonna en songeant qu’il adorerait essayer, mais ce n’était pas une bonne idée dans son état. Ce n’était pas une bonne idée tout court d’ailleurs, au vu du délabrement de la structure.

La personne écartait les bras comme pour embrasser le vent. Un geste étrangement familier. Il songea à son fantôme qui était sans doute assez folle pour tenter d’accrocher les étoiles aux pointes de ses cheveux. Il aurait plaisir à l’emmener tout là-haut pour ceuillir le ciel du bout des lèvres…

Ils avaient parlé de son frère la dernière fois. De la déception inévitable qu’il semait partout dans son sillage. De cette déception qui était peut-être leur seule opportunité d’exister, à tous ces gens qui avaient fuit la vie d’ici.

Bénédicte n’était pas taré, et Chloé n’était pas une ingrate: ils étaient juste perdus dans un monde qui ne leur correspondait pas, comme la Lune qui volait la lumière du Soleil pour tenter de trouver son chemin dans leur ciel commun qu’ils ne partageaient jamais vraiment. La Lune qui perdait son éclat à en devenir presque invisible lorsque le jour se levait, qui s’efforçait pourtant de rester présente pour veiller sur ceux qui lui faisaient confiance alors que le Soleil n’avait aucun scrupule à diparaître tout à fait lorsque la nuit venait. Ou bien le Soleil était-il plus égaré encore que la Lune et perdait-il son chemin plus souvent? Peut-être son fantôme connaîtrait-il la réponse à ces questions.

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