3-Chapitre 4 (3/4)

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Ben jeta bruyamment les clés sur le comptoir de la cuisine avant de fouiller le frigidaire à la recherche d’une bouteille de bière non alcoolisée. Il avait assez bu pour la soirée, et sans doute les trois prochaines semaines. Quelques minutes à peine après avoir quitté le toit de la piscine, il avait entendu le nom de son frère sur la place principale. La rumeur circulait déjà. Depuis, son énervement n’avait fait que croître, et il se retrouvait aussi agacé qu’en quittant l’appartement quelques heures plus tôt.

Il s’était à peine affalé sur le canapé avec sa bouteille que Jo déboulla dans le salon.

«- Il paraît que Bénédicte est en ville?»

Pitié, pas déjà, songea Ben en culpabilisant aussitôt. Jo était la dernière personne à qui il voulait imposer ses problèmes avec son frère. Mais fidèle à lui-même, son cousin ne se laissa pas désarmer par le silence et prit place sur la table basse pour lui faire face.

«- Sam dit que tu étais au bar avec l’amie d’Agnès… la starlette, je me rappelle jamais son nom.

- Je n’étais pas avec elle; elle était de service.

- Tu connais Agnès: tant que tu seras pas casé, elle t’inventera des romances avec toutes ses amies. Mais c’est sans importance. Il est vraiment là?

- Non.»

Le doute s’afficha clairement sur le visage de son cousin, et la méprise était légitime: Ben avait la coutume de ne s’exiler au zinc que lorsque l’autre donnait signe de vie. Ce soir était l’exception qui brouillait toutes les pistes.

«- Il t’a contacté?»

Ben fixa le plafond d’un air buté, puis se résolu à lui raconter toute l’histoire. Chloé, encore et toujours.

«- Tu en a parlé? Au bar?

- Certainement pas! Personne ne doit savoir que c’est elle qui m’a fait ça.

- Pourquoi?»

Ben dévisagea son cousin. Ce n’était pas dans ses habitudes de se montrer si dur envers quiconque. Sauf Bénédicte. Décidément, l’artiste était en bonne position pour faire concurrence à celui qu’on évitait d’évoquer sous ce toit. Mais la question méritait d’être posée: pourquoi? Pourquoi ne pas dire la vérité et la forcer à assumer ses bêtises (surtout que celle-ci était sacrément gratinée)? Ben reformula la question: pourquoi la protéger à tout prix? Jo avait fait le même cheminement mental puisqu’il lui posa exactement la même colle.

«- Je l’ignore», avoua enfin Ben. «Je suppose que je ne veux pas qu’on comprenne que je suis si pitoyable que la première venue peut me détruire mon existence entière en un battement de coeur.

- Avoue que ton passif avec les femmes a de quoi inquiéter, Ben: entre ton ex qui a noyé ta voiture, ton fantôme avec qui tu as incendié une salle de bain, et maintenant ton artiste qui…

- Ce n’est pas mon artiste. Elle a des soucis de gestion de ses émotions, c’est tout.

- C’est ça, défends-la maintenant!»

L’ébéniste posa sa bière et se passa les mains sur le visage, dans ce geste si souvent répété qu’il en était devenu automatique.

«- Elle ressemble trop à Bénédicte. C’est idiot, mais j’ai l’impression que si j’arrivais à la remettre dans le droit chemin, il y aurait une chance pour mon frère…

- Ben, on en a parlé mille fois: ce n’est pas parce que ton frère se comporte comme le dernier des imbéciles que tu dois te plier en quatre pour tout le monde. Surtout pour des gens qui ne reconnaissent clairement pas tous les efforts que tu fais pour eux.»

Voilà, même Jo, le coeur le plus ouvert de la ville, la traitait d’ingrate. Je sais, songea Ben, mais cela n’aurait été d’aucune aide. Son cousin était trop colère pour entendre ce que la Lune lui avait murmuré sur le toit de la piscine. Il se contenta de hocher la tête et de finir sa bouteille sans réagir à l’argumentation continue et poourtant très raisonnable de Jo. Une argumentation si raisonnable qu’il y remarqua même certaines de ses propres phrases. Mais l’adage qui voulait que les émotions l’emportaient souvent sans qu’on comprenne leur victoire prouvait sa véracité ce soir. Ben finit par se lever, interrompant le monologue de Jo.

«- Qu’ils croient ce qu’ils veulent, tous ces gens, je m’en moque. C’est entre Chloé et moi, je n’ai à m’expliquer devant personne. Reste en dehors de ça cette fois. J’ai besoin… j’ai besoin de gérer cela seul.»

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