3-Chapitre 30 (1/3), ancien chap 10

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« Tu avais entendu, alors ? », finit-elle par demander au bout d’un temps infini. Contrairement à ses attentes, elle ne pleurait pas et rien dans son corps ni sa voix ne trahissait les larmes. Il acquiesça.

« Pourquoi ne m’en as-tu rien dit ?

— J’attendais que tu sois prête à me parler. Tu as tout fait pour m’éviter si tu te souviens bien. »

Chloé leva ses yeux d’érable blond vers lui, hésita à sourire.

« Je te demande pardon », articula-t-elle enfin.

« Merci. C’est un peu tard, mais ça fait du bien de l’entendre.

— Je sais, ce sera toujours trop tard…

— Oh non, c’est juste que ça fait longtemps que je t’ai pardonnée. À peu près… au moment où tu as rouvert la porte et que tu as commencé à paniquer en réalisant ce qu’il venait de se passer. »

Un regard stupéfait lui répondit et il ne put s’empêcher de sourire. Une voiture passa dans la rue, le bruit du moteur se tut.

« Tu étais tellement occupée à te noyer dans ton verre d’eau que tu ne voulais pas lever la tête pour regarder le monde en face.

— C’est vrai, je ne suis qu’une sale égoïste qui ne fait attention qu’à elle…

— C’est bien d’en avoir conscience, c’est le premier pas pour te corriger.

— Joël avait dit que tu dirais ça.

— Je n’en doute pas. Jo me connaît trop bien ; c’est le frère que j’aurais voulu avoir. On devrait tous avoir un Jo dans sa vie.

— Un Benoît, ce n’est pas mal non plus. »

La voix de Chloé avait prit une nuance timide, presque inquiète en prononçant ces mots. Ben n’avait pourtant pas l’impression d’être si terrifiant en cet instant. Il hésita à lui prendre la main pour l’apaiser, ne sachant trop comment elle interprèterait son geste après ces derniers mois qu’elle avait passés à l’éviter. Le vent fit cliqueter des feuilles sur les carreaux. Chloé sursauta, puis sembla relativiser. Sa nervosité crevait les yeux. Elle rit, doucement d’abord, puis s’essuya les yeux d’une main, finit par rejeter la tête en arrière pour laisser un rire silencieux la secouer. Des fossettes se creusèrent dans ses joues. Un instant, une image s’imposa à lui, lui coupa le souffle, puis elle retrouva son calme et l’illusion se dissipa.

« Tu crois qu’Adelphe me pardonnera un jour ?

— Elle en a vu d’autres.

— Mais on parle de toi, là.

— Tu es sa nièce, moi je ne suis qu’une connaissance.

— Tu es un bon garçon, le meilleur de tous les Bas-Endraux selon elle !

— Si j’étais si bien que ça, je ne me serais jamais mis dans cette situation impossible.

— Comment as-tu fait ton compte, d’ailleurs ?

— Tu ne me croiras pas.

— Dis toujours. »

Ben hésita. C’était la soirée des grandes confessions : il était plus que temps d’expliquer à Chloé comment ils s’étaient retrouvés dans ce pétrin. Avec un peu de chance, si son esprit ne lui jouait pas de tours… Il prit une grande inspiration pour se donner courage :

« C’était pendant le dernier b… »

Des portières claquèrent. Des bruits de pas sur le gravier. Quelques secondes plus tard, Jo, et Adelphe faisaient irruption dans le salon, la mine grave, suivis de près par son frère. L’espace de quelques minutes, Ben avait oublié la situation. Ce que cela impliquait vis-à-vis de tout le reste de la ville.

« Alors, c’est toi Chloé D. ? », attaqua Bénédicte en prenant place dans un fauteuil en face de l’artiste. « Tu sais combien ils sont prêts à payer pour savoir où tu crèches, tes anciens agents?

— Tu ne vas pas faire ça ? », s’alarma aussitôt Ben.

« Ça dépend, vous donneriez quoi en échange de mon silence ?

— On est ta famille ! », s’offusqua Jo.

Bénédicte éclata de rire : un ignoble son dépourvu de toute joie.

« Ma famille ? Vous m’avez mis à la porte parce que vous pensiez que c’était de ma faute si Ben était impotent, alors que vous la défendez, elle, qui est la vraie responsable. Je suis supposé croire que c’est une raison suffisante pour me ranger de votre côté ?

— Que veux-tu, Bénédicte ? Si c’est de l’argent, tu auras compris que je n’ai plus un sou. »

Son frère le fixa avec cet éclat dur au fond des yeux, celui qu’il avait quand la colère le submergeait.

« Je ne suis pas venu réclamer quoi que soit. En fait, j’étais juste venu te rendre visite. Passer un peu de temps avec mon frère. Mais je vois que tu as trouvé un remplaçant bien mieux que moi, alors je ne vais pas t’embêter plus longtemps. Ah, et j’ai vendu ta série, au cas où ça t’intéresserait de le savoir. Mais je vais vous laisser en famille pour laver votre linge sale, parce qu’on dirait que vous en avez pas mal sur les bras. »

Il jeta un regard goguenard à la lavandière, qui le fusilla devant cette plaisanterie très médiocre, même pour lui.

« T’as intérêt à tenir ta langue sur Chloé !

— Sinon quoi, Jo ? Tu vas venir me casser le nez ? »

Jo resta interdit. Ce fut l’artiste qui se leva pour fixer Bénédicte, très calme, mais avec dans les yeux cette même lueur qui hurlait le danger.

« Tu peux me vendre, tu peux dire au monde entier où je suis. Rappelle-toi seulement que si tu fais ça, tu exposes tous les Bas-Endraux aux gens comme nous. Dans moins de deux jours, il y aura des dizaines de journalistes qui débarqueront pour remuer toute la boue qu’ils pourront trouver. Dans moins de dix, ils sauront tout de ma vie. De la tienne. Et il n’y aura plus nulle part sur terre où leur échapper. Fais ce que tu veux me concernant, je m’en moque. Mais si tu causes du tort aux autres… eh bien, tu sais que je ne suis pas faite du même bois que les gens d’ici.

— ça, je n’en doute pas. Des dingues comme toi, ça ne se rencontre pas tous les jours.

— Bénédicte, ça suffit.

— À tes ordres, coccinelle. Je m’en vais, je suis déjà parti. Adios hermanito! »

La porte se referma sur son blouson de cuir plus noir que la nuit.

« C’est ce qu’on appelle un passage éclair », tenta de plaisanter Ben, mais les autres n’étaient pas d’humeur. Adelphe continuait de le fixer comme si elle voulait lire dans ses pensées tout ce qu’il n’avait pas avoué jusque là. Il se sentit soudain écrasé d’épuisement. Il ne voulait pas se justifier devant elle de lui avoir caché la vérité, ou devant Jo de lui avoir tu son message à son frère.

« Croyez ce que vous voulez », dit-il enfin, « ça fait des années que je vous dis la vérité pour Bénédicte et que vous refusez d’entendre. J’en ai assez d’expliquer alors que vous ne voulez pas m’écouter… je suis fatigué, bonne nuit. »

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