3-Chapitre 30 (2/3)

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Bénédicte se glissa derrière le rosier pour laisser sortir les deux femmes sans qu’elles le remarquent. La tension était palpable entre elles. Il hésita entre les suivre ou continuer d’épier les bruits dans la maison du petit dernier, mais celle-ci avait sombré dans un silence profond. Il prit finalement le parti de suivre Chloé D. Avec un peu de chance, il découvrirait où elle habitait et pourrait se servir de cette information pour… on verrait ça plus tard.

Une fois dans sa voiture, il attendit quelques minutes avant de démarrer. Peu de véhicules circulaient à cette heure tardive : il suffisait de se laisser guider par le moteur ronronnant de la lavandière. Quand celui-ci se tût, Bénédicte se gara dans une allée et coupa le contact, guettant le ronron qui indiquerait le départ d’Adelphe. Celui-ci ne tarda pas. L’homme sortit du véhicule pour trottiner jusqu’à l’endroit d’où elle avait redémarré, juste à temps pour apercevoir les feux disparaître à l’angle de la rue.

Immeubles vétustes, portes mal jointives… l’adresse notée dans un calepin, Bénédicte s’employa à forcer la serrure du bas de l’immeuble ; celle-ci ne se fit pas prier pour céder. Les escaliers grinçaient horriblement, ce qui l’obligea à marcher sur la pointe des pieds en sautant une marche sur deux ou trois. Troisième palier : rai de lumière sous la porte. Sans doute l’appartement de Chloé. Il chercha le nom sous la sonnette, mais l’étiquette avait été arrachée. Tant pis, il chercherait. Le seul inconvénient de cette ville était que tout le monde l’y connaissait et que personne ne le portait dans son cœur. Opération délicate. L’adresse exacte et le numéro d’étage devraient suffire pour l’instant. Il plaqua l’oreille contre le battant de la porte au cas où l’artiste serait en conversation avec quelqu’un, mais seuls des grincements réguliers s’élevaient de l’appartement. Bientôt, la lumière s’éteignit et le silence tomba. Il n’y avait plus qu’à rentrer en ville et sonder le terrain pour savoir à qui vendre ces informations.

Sur l’autoroute qui le ramenait à la civilisation moderne, Bénédicte mit la musique à fond. Il n’aimait pas conduire avec le son, mais ce soir, l’idée semblait moins pire que le silence. Les paroles trop fortes noyaient la phrase qui tournait en boucle dans ses pensées.

« C’est le frère que j’aurais voulu avoir. »

Il poussa la voiture un peu plus vite, la musique un peu plus fort.

Tu as déjà un frère, luciole.



Madame Brodaux relisait sa colonne de calculs sans parvenir à se concentrer. Après les évènements de la soirée, la moitié de la ville avait défilé dans son restaurant pour savoir ce qu’il s’était passé. Pas de bagarre, cette fois. Pas de hurlements rageurs, même si ça avait failli dégénérer. Mais la petite Chloé qui avouait ça comme ça… Adelphe allait mourir de honte, c’était certain. Elle ne reviendrait pas ce soir : ce serait un de ces soirs où elle prendrait sa mobylette pour rouler le ciel seul savait où, à essayer d’oublier. Mais comment le pourrait-elle jamais ? La restauratrice ôta ses lunettes pour essuyer les yeux qui lui piquaient.

Si son bonhomme avait fait ça, aurait-elle pu lui pardonner ? C’était facile, aujourd’hui, de penser que oui. Mais à l’époque, quand Jacques vivait encore ? Aurait-elle eu la force de ne pas lui en vouloir d’avoir menti si longtemps ? Benoît y était parvenu, pourtant, alors que c’était lui qui avait subi tout ça. Avec Bénédicte, toutes ces années, puis Chloé cette fois. Alors pourquoi les autres n’y arrivaient-ils pas ? C’était facile de juger de loin, mais quand on avait le cœur au milieu des histoires, comment pouvait-on prendre le recul et débrouiller l’écheveau de la culpabilité, de la trahison, de la déception… de l’amour, aussi, surtout, qui pesait plus fort que le couperet, qui devenait souvent plus tranchant ?

Puis elle avait quand même fini par avouer, la petite Chloé, et devant tout le monde. Mais Madame Brodaux ne pouvait pas se mentir : si ç’avait été son bonhomme à l’époque, elle lui en aurait voulu. Longtemps. Beaucoup plus que nécessaire. Il ne fallait pas qu’Adelphe commette cette erreur ; pas si elle voulait éviter que ça finisse comme pour son bonhomme.

Madame Brodaux chaussa ses lunettes, abandonna son livre de comptes, puis alla chercher sa voiture pour se rendre chez Adelphe. Tout était silencieux. Elle eut beau sonner, il n’y eut pas de réponse. Elle était déjà partie. Madame Brodaux réfléchit, cherchant à reconstituer la route qu’Adelphe prenait ces soirs-là. Celle où Benoît avait eu son accident, vers le nord. Elle remonta dans sa voiture et poussa un peu le vieux moteur pour essayer de la rattraper.

Bénédicte freina brutalement au début des virages. Il connaissait bien cette portion, dangereuse par temps de pluie. Mais ce n’était pas la saison et l’asphalte était parfaitement sec. Il enchaîna trois virages, puis ralentit de nouveau avec force. C’était différent en voiture. Il fallait être un peu plus attentif.

« C’est le frère que j’aurais voulu avoir. »

Bénédicte secoua la tête, décida de ne pas couper la musique. Après tout, ils étaient encore très près des Bas-Endraux, il ne risquait pas de croiser une autre voiture à cette heure-ci. Et personne ne le suivait cette fois, pas besoin de s’inquiéter pour rien. La légère montée où il fallait pousser le moteur. Celle dont il avait cauchemardé de nombreuses nuits pendant des années. Qui le hantait encore, certains soirs.

Malheureusement pour toi, chenille, ce n’est pas le frère que tu as.

Les phares l’éblouirent. Il freina sec. Virage. Trop lent.

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