1-Chapitre 7 (2/2)

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Mistouffle et Fauvette s’élancèrent vers le portillon en l’entendant arriver, arrachant un sourire involontaire à Ben. Comme toujours, les deux chiens réclamaient un supplément d’affection qui leur manquait depuis qu’il s’était installé dans son propre logement. Bertrand resta un peu en retrait, guettant l’instant où Ben serait disponible pour lui donner sa part de caresses. Un peu comme l’autre. Ben songea, comme chaque fois qu’il venait ici, qu’il aurait dû emmener Mistouffle avec lui, mais le chien n’aurait pas supporté de rester enfermé toute la journée, seul, à attendre son retour de l’atelier. Il était plus heureux ici, entouré de ses deux compères et de l’attention constante de ses parents.

D’ailleurs, le visage étonné de sa mère apparut entre les rideaux de dentelle, bientôt illuminé par un léger sourire. Elle lui fit signe d’entrer, de faire comme chez lui, puis le tissu retomba. Ben traversa le jardinet si soigneusement entretenu, aux fleurs assoiffées malgré tout par la sécheresse constante de la région. Il n’avait pas atteint la terrasse ombragée que sa mère arrivait avec une carafe de jus de citron et quelques olives.

« Ça fait plaisir de te voir, je ne m’attendais pas à ce que tu passes cette semaine.

— Jo ne dîne pas à la maison ce soir, il va voir ses amis.

— Samuel, Hervé et Pierrot ? Pourquoi ne les rejoins-tu pas ? »

L’ébéniste se contenta d’une réponse évasive, ne souhaitant pas s’attarder sur les détails de la semaine qui l’avait déjà assez épuisé. Il avait besoin de calme, de la bienveillance dans les yeux de son chien. Comme entendant cette pensée muette, Mistouffle s’assit à côté de lui, le museau sur sa cuisse. Sa queue s’agitait tandis que Ben le caressait doucement.

« Où est Papa ?

— À l’oliveraie, il y a encore beaucoup de travail, avec les jeunes qui sont de moins en moins intéressés par la récolte. »

Les nouvelles générations rêvaient d’ailleurs, de voyages, de vies palpitantes dans les photographies des magazines ou les images de la télévision. Dans son enfance, aider à la récolte était une vraie fierté, un honneur, presque, et les jeunes s’impatientaient de grandir assez pour avoir le droit de mettre la main à la pâte. Plus maintenant. On parlait même d’industrialisation du procédé, même si le résultat était moins goûtu que les méthodes traditionnelles.

« Ton père aura besoin de toi pour le pressage. Il n’a plus autant de force qu’avant et il refuse d’enseigner sa technique à quiconque d’autre. »

Ben songea au travail qu’il devait déjà abattre à l’atelier, pourtant, il ne pouvait pas laisser son père seul pour préparer l’huile.

« Bien sûr, je passerai le soir et les fins de semaine. Jo pourra aider un peu, si Papa le laisse faire.

— Tu sais bien que la seule autre personne qu’il tolérerait pour cela n’est pas aux Bas-Endraux. »

L’ébéniste détourna les yeux, gêné. Les jeunes rêvaient de partir ; certains l’avaient fait. Tous étaient revenus, même Chloé. Pas l’autre.

Les fleurs semblèrent soudain moins avenantes, dans leurs couleurs mourantes. Suppliantes, presque.

« Je vais arroser.

— Laisse, je le ferai après dîner. »

Sans céder aux protestations de sa mère, le jeune homme se leva pour chercher le tuyau. Il faudrait bientôt nettoyer la façade, dont la couleur se ternissait sous la poussière. Son esprit dressait la liste des travaux à réaliser pour garder la maison en bon état, répartissait la charge sur ses quelques heures de libre, sur celles de Jo également. Peut-être qu’Albert accepterait de les aider pour réparer le toit —une sourde acrophobie poursuivait Ben depuis sa première chute.

D’un coup, Mistouffle aboya. Ben baissa les yeux vers lui, reprenant pied dans l’instant présent : les chiens cherchaient à boire l’eau spartiate qui s’écoulait du tuyau vers les fleurs. Ben siffla les canins assoiffés, riant de leurs sautillements pour atteindre le jet. Même Bertrand s’était pris au jeu et ses mimiques étaient si comiques qu’il aurait déridé un aveugle. Les trois chiens se poussaient l’un l’autre pour avoir droit à leur part.

« Benoît, ne gaspille pas l’eau, s’il te plaît. »

La voix de sa mère le ramena à la raison. À regret, Ben renvoya les chiens à leur gamelle pour finir d’arroser le jardin protocolairement.

En attendant le dîner, il monta dans sa chambre récupérer quelques CDs qu’il avait promis de prêter à Vanessa. Parfaitement propre, la pièce n’avait pas changé depuis qu’il avait quitté ces pénates. Il y avait longtemps que le lit superposé avait été remplacé par deux lits simples, mais son absence le surprit tout autant que ce second lit dans lequel personne n’avait jamais dormi. Il se demanda comment il réagencerait la pièce, lorsque ses propres enfants y vivraient. L’idée de remplacer tous les meubles par d’autres qu’il créerait lui-même germait depuis longtemps dans son esprit, même s’il aimait bien l’agencement actuel. Et qu’il n’était pas près d’avoir des enfants. À moins que…

Une idée soudaine, un peu folle, fit irruption dans ses pensées d’habitude bien ordonnées ; des images à base de danse sous un ciel étoilé et de boucles blondes comme des effluves d’écume. Il ferma les yeux en songeant à son Fantôme, imagina la pâleur irréelle de sa peau déambuler entre les fleurs du jardinet, son rire en étoile résonner d’une pièce à l’autre. Ben se reprit aussitôt : on ne s’inventait pas un avenir sur quelques pas de danse avec une inconnue. Il était bien placé pour savoir que des années de fréquentation approfondie ne suffisaient d’ailleurs pas à connaître quelqu’un, surtout si on envisageait de passer le restant de ses jours avec.

Pourtant, quand il redescendit pour le dîner, un sourire tenace s’accrochait à ses lèvres.

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