4-Chapitre 32 (2/4)

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L’hélicoptère du vicomte avait été retardé par le mauvais temps, ce qui leur avait fait perdre plus de deux heures sur la fête. À peine l’appareil posé sur la piste privée du château, le vicomte avait sauté à terre pour rejoindre sa mère et l’aider à gérer cette fête immense à laquelle elle était pourtant plus que rompue. Chloé avait enfilé son costume tout en s’élançant sur les parterres fleuris pour rejoindre le cœur battant de la soirée, les veines palpitant un rythme tout aussi enjoué à l’idée du masque qui l’attendrait. Mieux : qui la chercherait.

Chloé entra dans le hall en laçant les rubans glissants de son masque de citrouille, s’emmêlant les doigts dans ses cheveux au passage. Elle avait choisi une tenue de dark-Sucendron, ce qui correspondait assez bien à sa vie au fond : petite rien obligée de trimer à toute heure du jour et de la nuit, pouvant parfois profiter de la magie de quelques fêtes hors du temps qui lui donnaient des illusions de reine avant de retomber dans sa condition déplorable. Malheureusement, elle n’avait plus de marraine la bonne fée depuis qu’elle avait perdu Adelphe, devant se contenter de ses dix doigts pour transformer sa citrouille en carrosse —même si cette fois elle avait plutôt transformé la princesse en potimarron, mais on n’était plus à un pépin près—.

Son regard fut attiré par la bouteille d’huile qui buvait verre sur verre près de la rampe d’escalier. Aussitôt, le sourire lui revint. Après ce trimestre cauchemardesque, sans même penser à l’éloignement des Bas-Endraux qui s’était révélé une suite de déboires retentissants, le masque-magie était le seul qui pourrait lui rendre espoir en l’avenir —lui donner assez de force pour endurer trois mois de plus—. Cette fois, pas question de perdre du temps en jouant à cache-cache, mais pour atteindre l’ingrédient tant désiré, il fallait slalomer entre le sel et le poivre, la moutarde, l’écrevisse, le gingembre, le persil, des touffes de laurier, un ou deux paquets de pâtes, du jambon cru, et tant d’autres encore qui lui cachaient la vue à chaque fois qu’elle parvenait à progresser d’un mètre. Chloé injuria mentalement la traîne de sa robe qui se faisait piétiner tous les deux pas et l’empêchait de se mouvoir à sa guise. Excédée, elle finit par rassembler les pans de satin entre ses bras, ce qui lui donna aussitôt la sensation de se transformer en boule de pétanque ou en citrouille bien rebondie, ce qui n’était pas très loin d’être la vérité au vu de son déguisement. Quand elle parvint enfin au pied de l’escalier, la bouteille d’huile avait disparu. C’était bien la peine de parcourir ce chemin de table !

Déprimée, l’artiste s’assit sur l’estrade habituelle de son masque-bois, suspendue au-dessus du banquet. Elle avait faim. Peut-être était-ce la raison pour laquelle il avait déserté son poste ? Ou bien était-il parti à sa recherche sans la reconnaître dans la citrouille pataude qui avait lutté pour l’atteindre ?

La musique entama un air guilleret qui lui rappelait les fêtes champêtres ; l’artiste ferma les yeux pour mieux écouter. Son sourire reprit ses droits sur ses lèvres : c’était nuit de fête, et Chloé était aussi fascinée par les débordements joyeux qu’un papillon par la lumière. Impossible de rester fâchée bien longtemps dans une telle ambiance. Ayant retrouvé toute sa bonne humeur, elle se remit sur pied et s’engagea dans le grand escalier qui montait vers les étages. Après tout, elle venait de faire six heures d’hélicoptère et n’avait pas pris le temps de passer au petit coin depuis le décollage.

En arrivant devant les toilettes, la file d’attente était si longue qu’elle réalisa qu’elle n’aurait jamais le temps d’atteindre le local avant que sa vessie ne rende les armes. Elle décida donc de faire ce qui leur avait si (peu) brillamment réussi lors d’un précédent bal : emprunter l’une des salles de bain des chambres. Se faisant aussi discrète que sa tenue le lui permettait, Chloé s’engagea donc dans le couloir des habitations, mais toutes les pièces étaient occupées. Après un coup d’œil furtif par-dessus son épaule, l’artiste se glissa sous la chaîne en laiton qui interdisait l’accès aux appartements privés de la vicomtesse et de sa famille.

Vingt minutes plus tard, c’était une Chloé fraîche et dispose qui réintégrait les couloirs autorisés et qui se figeait en reconnaissant une silhouette à la démarche vraiment trop familière sortir d’une chambre avec précautions. La jeune femme se glissa derrière une armure décorative pour épier discrètement le costume bordeaux, lequel repositionnait son masque. Peut-être, comme la dernière fois, son masque-nuit était-il à l’intérieur ? L’homme-bouteille-de-bon-vin sembla trouver le couloir assez vide pour s’éloigner à pas pressés, sa queue-de-pie se soulevant à chaque pas. Elle s’apprêtait à sortir de son abri lorsque la porte se rouvrit. Une chipolata élégante (ou une merguez, elle n’était pas très au fait de la différence) se risqua à son tour dans le couloir, jetant des regards suspicieux autour d’elle. Ou plutôt, autour de lui, car il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait d’un homme. Chloé attendit qu’il s’éloigne à son tour dans le couloir pour se risquer dans la chambre.

Rien. S’il y avait conspiration, son masque-nuit n’était pas dans le coup. La sculptrice se caressa le menton en songeant au choix d’enquête qui s’ouvrait à elle. La citrouille, allait-elle investiguer sur la bouteille de vin et la chipo, ou poursuivrait-elle sa recherche de la bouteille d’huile ?

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