4-Chapitre 33 (3/3)

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Évidemment, Sam, Hercule et Poirot étaient en avance, chose qui n’arrivait qu’à la perspective de faire la fête. Agnès avait forcé son chemin avec deux de ses amies, Judith —Jo jeta à Ben un regard lourd de sous-entendus en la voyant— et Joséphine, parce que « Ben est un collègue de travail, mais aussi un ami et c’est pas qu’on se connaisse depuis quinze ans, mais si quand même ! ». Ben se résigna à les laisser entrer parce qu’il n’avait pas envie de commencer la soirée sur une dispute, ce qui aurait été une très mauvaise manière de débuter sa nouvelle année de vie. Sam lui fit remarquer aigrement qu’il était beaucoup trop coulant avec sa petite sœur et que, si ça ne tenait qu’à lui, il l’aurait mise à la porte, l’Agnès. Ils étaient donc casés tous les six sur les fauteuils du salon pendant que Ben et Jo répartissaient les ramequins d’amuse-bouches sur la table-basse, se disputant déjà au sujet de la musique qu’on allait passer pour l’ambiance de fond.

À neuf heures vingt-sept (vingt-neuf à l’horloge du four qui avançait un peu), la sonnette retentit de nouveau.

« Ch’est ouvert ! », invita Hercule en engouffrant une chips au piment d’Espelette.

Ben leva les yeux au ciel en allant ouvrir la porte, accueillant une Chloé qui avait enfilé une tenue beaucoup, beaucoup trop « du nord » pour ce que son esprit très Bas-Endraux pouvait encaisser à neuf heures vingt-sept un soir d’anniversaire. Parce qu’il avait oublié un détail en l’invitant : Chloé avait passé la moitié de sa vie à l’extérieur, et son sens de la fête avait très certainement occulté qu’ici, on se contentait d’un short t-shirt enfilés à la va-vite pour survivre à la chaleur sans se dévêtir pour autant.

La journée avait été étouffante puisque l’été prenait systématiquement de l’avance en cette période, mais il lui sembla que la température grimpait de quelques degrés supplémentaires tandis qu’il observait le décolleté plongeant (il ignorait que Chloé avait un décolleté, trop habitué à la chemise informe qu’elle portait systématiquement à l’atelier), le minuscule short noir qui lui faisait des jambes de plusieurs kilomètres alors qu’elle n’était pas si grande, les talons vertigineux dont les strass étincelaient comme des diamants et les orteils à la manucure noire ornés de petites têtes de mort et d’os brisés (il se demanda comment il parvenait à voir ce détail du haut de son mètre quatre-vingt alors qu’elle avait les pieds tout en bas, sur le plancher des vaches). Il fallut que Jo vienne lui taper sur l’épaule pour que son regard retrouve le chemin du sourire de Chloé, gênée à souhait.

« J’en ai trop fait ? », demanda-t-elle d’une toute petite voix en fixant par-dessus leurs épaules, sans doute les trois autres filles qui avaient enfilé les bons vieux shorts t-shirt confortables des fêtes d’ici.

« Mais non, tu es ravissante ! », la rassura Jo en se penchant pour lui faire la bise. « Tu es rentrée pile à temps pour la fête, avoues que tu savais que Ben voulait t’inviter !

— Peut-être que le vicomte s’en doutait, il m’a rapatriée en catastrophe il y a deux jours. Je suis en train de rater le gala d’ouverture de l’exposition temporaire des jeunes espoirs de la photographie.

— Oh, désolé », platitude Ben, qui n’était pas du tout désolé et se moquait éperdument des jeunes espoirs en dévorant des yeux l’artiste dont il ne croyait pas au retour, et certainement pas à point nommé pour son anniversaire.

Elle haussa les épaules :

« De toute façon, je commençais à en souper un peu des vernissages et des inaugurations. Je crois que si on me propose un nouveau canapé au caviar, je hurle.

— Zut, et moi qui venait de dépenser une fortune pour t’en faire goûter plein ce soir ! »

Jo se pâma très théâtralement sur cette tirade, puis invita Chloé à rejoindre les autres dans le salon, parce qu’elle n’allait quand même pas passer la soirée sur le pas de la porte et que les voisins avaient beau être détendus, ce n’était pas très sport de leur faire profiter de la musique en gardant la porte ouverte toute la nuit sans les inviter. Chloé entra donc pour se présenter à ceux qu’elle ne connaissait pas. Hercule et Poirot retrouvèrent soudain une position assise impeccable (ce qui soulagea la table basse de leurs pieds), et Sam vira Agnès de ses côtés pour y inviter Chloé (même s’il la connaissait déjà, sans doute trop heureux d’avoir une excuse pour ne pas côtoyer sa sœur).

Jo entraîna Ben dans la cuisine, ce qui manquait cruellement de discrétion vu que celle-ci était ouverte sur le salon, mais les autres étaient trop occupés à se présenter avec spiritualité pour faire attention à leur conversation.

« Tu l’as prévenue pour Judith ?

— Hein ? »

Ben reporta son attention sur Jo avant de comprendre l’allusion.

« Il n’y a rien entre Judith et moi, c’est Agnès qui s’est mise en tête de jouer les marieuses sans aucun sens de l’à-propos.

— Justement, tu devrais prévenir Chloé. Je sais pas si tu as remarqué, mais Judith ne te lâche pas d’un pouce en soirées, et là elle vient de réaliser qu’elle avait une rude concurrence.

— Concurrence ? Chloé ? On est… amis.

— Oh, je vois. »

Le regard que Jo lui lança montrait qu’il voyait toute autre chose, au point que Ben se sentit rougir jusqu’à la pointe des oreilles. Par chance, il avait la complexion mate, ce qui rendait la chose invisible à l’œil profane, ce que Jo n’était pas. Son cousin lui décerna donc ce fameux sourire qui en disait mille fois trop long sur les idées qu’il avait en tête, et s’apprêtait à continuer lorsque la sonnette les interrompit.

Ben fut vraiment heureux d’aller accueillir Vanessa et Albert : déjà, parce que ça lui épargnait de se pencher sur les émotions qui déréglaient les battements de son cœur depuis quelques minutes, et ensuite, parce que Vanessa était la mystérieuse inconnue du bal de Jo, ce qui orienterait les pensées de son cousin sur autre chose que lui. D’ailleurs, le regard dudit s’éclairait de mille feux en venant saluer leurs amis. Ben savoura sa victoire en allant chercher des chaises supplémentaires.

Avec un peu de chance, Jo finirait par admettre qu’il y avait un peu plus que de l’amitié entre Vanessa et lui, et Ben serait enfin tranquille pour ignorer les pensées dangereuses qui oscillaient de son Fantôme à l’artiste depuis quarante-huit heures.

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