4-Chapitre 36 (1/4)

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Le soleil semblait au meilleur de sa forme ce jour-là, tapant de toutes ses forces sur les tôles gondolées qui servaient de toiture à l’atelier. Tout le monde transpirait à grosses gouttes, les tenues protectrices loin d’être respectées. Il était encore loin de midi et les hommes avaient tombé les t-shirts —sauf Ben qui était en passe de gagner le concours du t-shirt mouillé—. Agnès se rinçait l’œil l’air de rien malgré sa grimace exagérée lorsque son frère avait ôté son propre vêtement. Les femmes se promenaient avec le nombril à l’air en râlant sur l’inégalité de ne pas pouvoir se mettre à l’aise aussi dans cette fournaise. Sauf Chloé, qui portait toujours son bonnet de laine, son casque audio et la chemise informe qui l’emmitouflaient si bien qu’on ne voyait que le bout de son nez et de ses doigts. Était-elle seulement humaine pour supporter la chaleur sans broncher dans une tenue pareille ? Ben songea à la tenue aérée qu’elle portait pour son anniversaire, estimant que ce n’était pas plus mal de ne pas la voir aussi dévêtue dans l’atelier à longueur de journée. Il faisait déjà bien assez chaud comme ça. D’autant que Jo lui lançait des regards qui en disaient trop long sur ce que Ben pourrait bien avoir en tête —ou pas— si jamais il venait l’idée à Chloé de se pavaner ventre à l’air juste sous son nez.

Pour ne pas se focaliser sur ces pensées qui dérapaient un peu trop (à croire que la transpiration rendait les idées glissantes), Ben replongea le nez sur les dessins qu’on lui avait fournis pour les restaurants de la baronne. Aucune cohérence. Certains meubles étaient si éloignés de la sculpture de Chloé qu’il se demandait si l’équipe n’avait pas juste ressorti de vieux plans au hasard pour se débarrasser de sa demande. Cette chaise ressemblait quand même drôlement à celle qu’ils avaient vendue à l’apothicaire quatre ans auparavant. Et ce guéridon n’aurait jamais sa place dans un restaurant, c’était l’évidence même. Il soupira, se massa la nuque, puis se retourna pour faire face à son équipe en sueur.

« Vous êtes sûrs que vous avez écouté quand je vous ai expliqué ce que voulait la baronne ?

— Mais oui, tu crois quand même pas qu’on t’a balancé des dessins sans réfléchir !

— Alors tu peux m’expliquer en quoi cette chaise en forme de canard est inspirée par la sculpture de l’olivier et la fillette? »

Sam soupira bruyamment, puis grommela quelque chose. Après quelques répétitions, il s’avéra qu’il n’avait aucune explication. Ben soupira en se passant les mains sur le visage.

« Bob, cette table ne serait pas celle que tu as assemblée pour la fête de l’huile de l’an dernier ? »

Son collègue se passionna soudain pour l’angle à trente-sept degrés qu’il devait découper dans sa planche de pin. Même Jo se concentra avec beaucoup de mauvaise foi sur son placage.

« Vous n’avez pas réfléchi une seconde, n’est-ce pas ? »

On aurait pu entendre une mouche voler si les mouches n’avaient pas préféré rester près des points d’eau ombragés ce jour-là.

« Moi j’ai réfléchi ! », finit enfin par admettre Agnès avec une moue boudeuse. En effet, elle avait rendu les seuls dessins qui évoquaient vaguement la sculpture. Au souci près qu’elle n’avait aucun sens des proportions, mais c’était corrigible.

« C’est vrai, merci. Pour les autres, je vous rappelle que, si nous gagnons ce contrat, nous assurons trois ans de production. Trois ans ! J’espère que je n’ai pas besoin de vous rappeler à quel point c’est compliqué de trouver des contrats en ce moment et que le vicomte se demande comment maintenir les effectifs actuels avec le peu de commandes que nous avons récupérées ces six derniers mois…

— Bah, le vicomte n’est jamais content !

— Ce n’est pas une question de satisfaction, mais de viabilité financière de l’entreprise, Sam.

— Il vient de vendre une sculpture à deux ou trois millions, non ? Ça devrait nous remettre dans le vert assez longtemps pour que Chloé nous ponde un nouveau miracle, et elle n’est pas loin d’avoir fini le prochain.

— Nous ne pouvons pas nous reposer sur ses œuvres pour garder les comptes à flots, et vous savez très bien pourquoi. »

Ben soupira en songeant à ce débat qu’il ne voulait pas entamer. Il changea d’approche : « Nous sommes avant tout une entreprise d’ameublement ; nous avons l’opportunité de gagner un contrat pour du mobilier, c’est notre meilleure occasion de montrer notre savoir-faire. J’ai besoin de vos idées pour ce soir afin de commencer la constitution du dossier.

— Tu les as, nos idées.

— Des plans en rapport avec le sujet, Bob. Viables.

— Et on le prend où, le temps de te faire tes dessins ? Je te rappelle qu’on a encore des livraisons sur les bras et le vicomte déteste les retards. Tu vas nous payer les heures sup’, peut-être ? »

Ben soupira. Il faillit lâcher son « évidemment » d’épuisement, mais ça aurait pu passer pour une approbation qu’il n’était pas en mesure de donner. Alors il se retourna vers son plan de travail et contempla l’assemblage de feuilles qui ne faisait aucun sens en se demandant comment il allait concilier tout ça.

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