4-Chapitre 37 (1/3)

6 minutes de lecture

*MODIFIE LE 03/10/2022*


Ils s’entassèrent tous les trois dans la voiture de Ben pour rouler jusque chez les parents de Ben. Jo adorait tante Martha et oncle Roger, toujours heureux de les voir, même pour quelques minutes. Aujourd’hui, ils avaient une bonne raison de se rendre chez eux : il fallait récupérer les chiens, la plateforme de l’oncle et le matériel pour la récolte. Jo profita du trajet pour donner plein de conseils à l’artiste, tout en lui racontant l’histoire des maisons qu’ils dépassaient. Arrivés devant la vieille ferme des parents de Ben, ils furent accueillis par les aboiements joyeux des trois chiens qui semblaient guetter leur arrivée depuis un moment.

Comme toujours lorsqu’ils venaient ici, le regard de Ben dévia vers le toit qu’on devinait de l’autre côté de la barrière, le jardinet fleuri, l’ombre des arbres entretenus avec amour qui ombrageaient une toute petite mare qu’on ne voyait pas d’ici. Mistouffle bondit par-dessus le portillon de bois pour les rejoindre, la truffe frémissant à la perspective des caresses de son Ben adoré. Celui-ci gara le véhicule puis sortit sans perdre une seconde pour saluer son chien, les yeux débordants de joie. Aussitôt, il fut rejoint par Bertrand et Fauvette, jaloux de leur confrère poilu.

Martha sortit derrière la chienne, les bras chargés par le panier de victuailles pour le déjeuner. Elle plissa un peu les yeux en voyant Chloé sortir de la voiture et caresser maladroitement Fauvette.

« Il fallait me prévenir que vous aviez une invitée.

— Elle va nous aider à la récolte. Ne t’inquiète pas, elle a un appétit de moineau, nous aurons largement de quoi manger avec ton pique-nique. »

Ben embrassa sa mère et disparut à l’intérieur de la ferme, Mistouffle sur les talons, pour récupérer les clés du semi-remorque de Roger. Jo présenta l’artiste à sa tante ; elles échangèrent quelques mots, puis Ben appela Chloé parce qu’elle n’allait quand même pas faire la récolte dans sa tenue de petite citadine. Dès qu’ils furent seuls, Martha le questionna :

« Joël, cette fille, là… Ce ne serait pas l’artiste qui devait faire la sculpture à un million pour sauver nos terres ?

— Oui, c’est un sujet un peu sensible par contre, si tu pouvais éviter de trop lui en parler.

— Elle est bien pâlichonne.

— En même temps, elle sort peu et mange n’importe quoi.

— Tu n’avais pas dit que la femme qui avait mis Benoît dans cette galère n’était pas du coin et pâlichonne ? »

Jo soupira : on y était ; la grande hypothèse que Ben ne voulait surtout pas entendre et que Jo n’osait pas regarder en face. Sauf que sa tante lui mettait le sujet sous le nez, donc, à moins de développer un strabisme divergent instantané, il était difficile de regarder ailleurs. L’incendie de la salle de bain de la vicomtesse n’était pas prêt de les laisser tranquille.

« Chloé s’est démenée pour aider Ben, et tu vois bien qu’elle continue…

— C’est elle ou pas ?

— Je n’en sais rien. Et même si c’était le cas, qu’est-ce que ça changerait ? Elle nous aide, c’est tout ce qui compte. De toute façon, Ben est le premier à dire que la femme du bal n’est pas responsable de ce qu’il s’est passé. »

Martha le contempla longuement sans relever, même si le doute persistait au fond de ses yeux clairs. Le principal concerné les rejoignit entre-temps pour les aider à charger le véhicule. La mère de Ben regarda Chloé revenir avec une chemise légère et un pantalon qui en avait vu d’autres, plissant de nouveau les yeux. Elle attendit que son fils s’éloigne récupérer le matériel pour demander de nouveau à Jo :

« Ce ne serait pas la petite d’Adelphe ?

— Sa nièce », lâcha-t-il du bout des lèvres.

« Celle qui lui a cassé la main ?

— C’était un accident. »

Martha hocha la tête lentement.

« Tu sais ce qu’on dit sur elle ?

— Difficile de l’ignorer.

— Ça commence à faire beaucoup, tu ne trouves pas ? »

Jo se baissa pour ramasser les sacs qu’elle avait posés à ses pieds et les charger dans la semi-remorque.

« Quand on la connaît, il y a beaucoup de choses qui s’expliquent. Elle est différente des gens d’ici, c’est sûr, mais elle n’est pas aussi mauvaise qu’on le dit… Ben trouve qu’elle ressemble beaucoup à son frère. En moins égoïste.

— Et toi, qu’en penses-tu ?

— Que Ben sourit plus souvent ces derniers temps… et qu’il a moins peur de sortir de la routine depuis qu’elle est arrivée en ville.

— Sortir de la routine, c’est amusant comme façon de dire.

— Tante Martha… », Jo se passa les mains dans les cheveux sans trop savoir comment poursuivre.

« On est parés ? », demanda Ben en les rejoignant, les chiens, l’artiste et les victuailles sur les talons.

Martha eut ce sourire si particulier qu’elle réservait à son fils —celui qu’elle préférait même si elle s’en défendait—, puis aida Chloé à caler le panier dans le semi-remorque.

« Vous allez brûler avec votre peau toute blanche, vous avez de la crème solaire ? Je crois que j’ai un chapeau quelque part, venez. »

Les deux femmes s’éloignèrent, ce qui n’était pas pour plaire à Jo. Il réfréna son inquiétude en sautant sur la plateforme du véhicule pour amarrer les outils et s’assurer que les chiens ne risquaient pas de tomber durant le trajet.

« Tu conduis ? », demanda-t-il à Ben sans raison logique.

Son cousin se contenta d’un sourire en coin, sans doute étonné par cette question idiote (c’était toujours Ben qui conduisait, quel que soit le véhicule), puis monta à l’avant pour faire chauffer le moteur et vérifier la jauge d’essence. Il se retourna alors pour papouiller Mistouffle qui ferma les yeux, heureux comme un roi. Bertrand et Fauvette se collèrent contre Jo pour obtenir leur dû de caresses également.

Après plus de temps qu’il n’en fallait pour trouver un pauvre chapeau, les deux femmes revinrent enfin, le sourire tout en fossette de Chloé disparaissant sous un cercle de paille qui risquait de se révéler peu pratique durant le labeur. L’artiste prit place à l’emplacement habituel de Jo, sur le siège passager, et le semi-remorque s’ébranla.

« Soyez prudents ! », les salua Martha.

Le regard qu’elle leur adressa était lourd de sous-entendus. Jo était prêt à mettre sa main au feu qu’elle avait eu une petite conversation avec Chloé pendant la recherche du couvre-chef, et que cette injonction lui était destinée. Mais l’artiste se contenta de lever la main en guise de salut. Ils avaient à peine quitté l’enceinte des bâtiments qu’elle se contorsionnait sur son siège pour lui faire face :

« Ç a vous arrive souvent de demander de l’aide à des amis ?

— Je n’ai pas les moyens de payer tout le monde », répliqua Ben tout en fixant la route.

« Même Vanessa et Albert ? »

Jo fit les gros yeux à Chloé, trop tard : Ben leur lançait un regard mi-suspicieux mi-amusé.

« Pourquoi eux ? », questionna-t-il en reportant son attention sur le croisement désert.

« Ils ont l’air gentils, drôles, serviables… et Albert a de très jolis muscles qui pourraient servir, non ?

— Tu trouves ? »

Plus aucune trace de chaleur dans le ton de Ben ; un amusement un peu trop débordant dans celui de Chloé. Jo se sentit soudain piégé entre le marteau et l’enclume, incapable de savoir auquel répondre ni comment les faire taire sur le sujet. Il lança donc un regard bien senti à Chloé avec un geste pour lui signifier de couper là, dont elle confirma réception d’un clignement d’yeux.

« Jo, tu n’as qu’à les appeler pour savoir si ça les intéresse de se joindre à nous. Nous passons devant chez eux d’ici deux minutes, c’est sur la route. »

Les deux conspirateurs se lancèrent un regard inquiet (il a compris ? — Il est vexé ? — Il est sérieux ?). Deux minutes plus tard, ils s’arrêtaient donc devant la porte de la villa des parents de Vanessa et Albert, qui étaient en train de finir leur petit-déjeuner sur la terrasse. Le frère et la sœur embarquèrent presque aussitôt aux côtés de Jo sur la plateforme du semi-remorque qui commençait à se faire étroite avec les chiens et le panier. Ben redémarra en leur jetant un œil par-dessus son épaule :

« Je vous revaudrai ça comment ?

— T’inquiète, ton cousin se chargera de nous remercier pour toi. »

La réplique hilare de Vanessa souleva un rire général. Jo sentit le rouge lui monter jusqu’aux oreilles et n’osa plus croiser le regard de personne pendant tout le reste du trajet.

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