(SUITE du chap précédent. Ruby chez Phytammos, il lui répond)

« Je peux vous dire où se trouvent les Bas-Endraux, mais cela aura un coût.

— Je sais déjà où c’est : au pied du Château d’Ambre aux Airs. »

Le trouble de son vis-à-vis fut net, cette fois.

« Je ne vois pas en quoi je puis vous aider, dans ce cas.

— Je sais où c’est, mais je ne sais pas comment m’y rendre. Il n’existe aucune route d’après les cartes.

— Ah, vous voulez un guide. »

Phytammos retrouva sa prestance, se laissant aller contre le dossier de son divan avec cet éclat amusé dans les yeux.

« Ce n’est pas idiot, étant donné les mœurs par là-bas…

— Alors c’est entendu ? Vous me guidez à Chloé, et je la convaincs de revenir dans le nord.

— Pas si vite, madame Lelierre, ça coûte beaucoup plus cher d’enlever la plus grande artiste du pays. »

Ah ! Il venait d’admettre qu’il l’avait enlevée ! Elle aurait dû enregistrer la conversation. La bonne nouvelle était que Chloé était vivante et qu’il n’avait pas l’intention de la tuer puisqu’elle avait sa considération ; la mauvaise était que l’addition risquait d’être très salée. Il voulait rentrer dans ses frais : perdre Chloé représentait une somme très rondelette sur le long terme. Mais il voulait aussi clairement acheter son silence puisqu’il ne souhaitait pas qu’on découvre les Bas-Endraux. Ils finiraient bien par trouver un terrain d’entente.

« Combien, selon vous ? »

Il commença alors à détailler les différents aspects, entre les coûts du transport, la gêne occasionnée dans ses affaires qu’il devrait mettre en attente, le mécontentement de ses clients qui risquaient de ne pas voir leur contrat honoré, la complexité logistique du trajet… Sans compter l’impact de leur présence sur place, qui semblait valoir très, très cher. Finalement, il annonça un prix :

« Un collier, et une discrétion à toute épreuve sur les Bas-Endraux et tout ce qui s’y rapporte jusqu’à la mort. La vôtre, bien sûr.

— C’est tout ?

— C’est bien plus compliqué qu’il n’y paraît. »

Ruby frissonna. D’abord, parce qu’il avait parlé de sa mort avec une désinvolture qui prouvait son caractère impitoyable, ensuite, parce que la discrétion signifiait qu’elle risquait de voir des choses terribles qui ne devaient pas être révélées, et surtout… qu’elle risquait bien de ne pas survivre à ce voyage. L’agente ne se laissa pas désarçonner pour autant : elle savait dans quoi elle s’engageait en venant et les risques qu’elle encourait. Alors elle prit le temps de laisser son cœur retrouver un rythme normal en adoptant une expression de réflexion profonde, puis caressa son pendentif.

« Pour le collier, est-ce que celui-ci vous conviendrait ? »

Phytammos rit :

« Absolument pas ! Je veux un collier très précis, qu’il vous faudra sans doute un peu de temps à obtenir. Nous avons un marché ? »

L’agente considéra ses options : traverser la moitié du pays avec des chaussures de marche en espérant trouver une ville au pied d’un château inaccessible, au risque de mourir en route ou de se faire égorger en arrivant là-bas, ou accepter la proposition de Phytammos. Elle finit par décider qu’il valait mieux garder son ennemi à l’œil, et que le silence plus un collier n’était pas bien cher payé pour récupérer Chloé et rester en vie. Elle accepta.

Phytammos s’éclipsa alors pour chercher les informations sur le bijou dans une pièce adjacente, puis revint avec une photographie couverte de post its multicolores. Ruby regarda l’image en noir et blanc quelques secondes :

« Mais… c’est le collier de Chloé !

— Étrange… », murmura-t-il avec ce sourire presque insultant dans les yeux. « Il vaudrait mieux ne pas le crier sur tous les toits si vous voulez le récupérer à un prix tolérable. »

Ruby comprit qu’elle venait de se faire avoir jusqu’au trognon.